News - 08.12.2018

Mohamed Larbi Bouguerra: Protéger Israël envers et contre tous n’est plus si facile!

Mohamed Larbi Bouguerra: Protéger Israël envers et contre tous n’est plus si facile!

Sitôt élue en novembre dernier à la Chambre des Représentants pour l’Etat du Michigan, la démocrate américano-palestinienne Rachida Tlaib a décidé de conduire une délégation du Congrès dans les territoires occupés de Cisjordanie. En fait, ce voyage est une percutante réaction aux pratiques instituées par le  département « Education » (!) de l’AIPAC, le lobby pro-israélien aux Etats Unis. 

Une lionne nommée Rachida Tlaib

L’AIPAC, en effet, offre depuis des décennies, un voyage - en Première Classe svp ! - tous frais payés d’une semaine en Israël aux nouveaux élus de la Chambre des Représentants comme à ceux du Sénat. Ainsi, ces législateurs fraîchement élus, sont soigneusement endoctrinés par des politiciens, des hommes d’affaires et des militaires israéliens. Exposés au seul point de vue sioniste sur le conflit, ces représentants voteront donc dorénavant les yeux fermés en faveur des textes bénéficiant à l’occupant israélien comme par exemple ces 4 milliards de dollars annuels d’aide militaire américaine soutirée aux contribuables yankees alors que 45 millions d’entre eux sont sans couverture médicale ! 

Mettre fin à ce formatage et à ce lavage de cerveau de ses collègues, voilà ce que vise Rachida Tlaib. Et d’expliciter : « Je veux que tous voient la ségrégation à laquelle sont soumis les Palestiniens et comment tout cela porte atteinte à une paix effective dans la région… L’approche de l’AIPAC est partiale car à sens unique. Ils réalisent ces fastueux voyages en Israël mais ils ne montrent guère la face que je connais [de la situation faite aux Palestiniens], la face réelle, celle dont souffre ma grand’mère et tout ce qui arrive à ma famille là-bas »,  dans le village de Beit Ur al-Foqa, dans le nord de la Cisjordanie.  D’entrée de jeu, Rachida Tlaib a refusé de se joindre au voyage servi sur un plateau d’argent en Israël aux nouveaux élus de la Chambre et s’est déclarée pro-BDS car « ce mouvement permet d’attirer l’attention sur le racisme d’Etat d’Israël et sur les violations des droits de l’homme ». Sa collègue démocrate, élue du Minnesota, Ilhan Omar, a aussi déclaré être en faveur du BDS d’où la violente colère des suppôts d’Israël qui, comme à l’accoutumée, l’ont qualifiée d’ « antisémite. » Critiquer Israël, c’est de l’ « antisémitisme » pour ces gens sourds et aveugles aux souffrances des Palestiniens sous la botte sioniste. Par contre, critiquer la Chine, le Japon ou la Thaïlande plus toute l’Afrique ne fait pas de vous un contempteur des Asiatiques ou un raciste et  un négrier. Non ! Israël est à part. Unique parmi les nations !

La preuve ?

L’Union Européenne est sur le point d’adopter une définition de l’antisémitisme, bénie par IHRA (International Holocaust Remembrance Alliance), ce qui fait dire à Bertrand Heilbronn (Président de l’AFPS-Association France Palestine Solidarité) : «…Nous savons très bien que toute « adoption » de cette définition, quelle qu’en soit la forme, permet de déchaîner le lobby des inconditionnels de la politique israélienne contre toutes les voix qui critiquent l’Etat d’Israël et sa politique. »

Ces deux courageuses femmes que sont Rachida Tlaib et Ilhan Omar - tout comme la représentante démocrate Betty McCollum qui critique vertement les menées de l’AIPAC - prouvent qu’un vent aigre en provenance du Congrès souffle maintenant sur le puissant lobby pro-israélien aux Etats Unis. D’autant qu’un récent sondage montre qu’un quart des Américains « libéraux » considère Israël comme un allié - un chiffre bien en retrait comparé au 36% de cette cohorte qui voyait en Israël un allié,  pas plus tard qu’en 2017 (Lire Alex Kane et Lee Fang, The Intercept, 3 décembre 2018).  Il est clair que, désormais, le soutien à Israël croît au Parti républicain de Trump alors qu’il diminue au Parti démocrate. 

Le lobby pro-israélien mis a nu

A côté de l’AIPAC, d’autres officines pro-israéliennes s’activent pour vendre aux médias une image ripolinée de l’Etat sioniste.

Dans un bel article intitulé « Espionnage et intimidation. Le lobby israélien, le documentaire interdit » en première page du Monde Diplomatique  (septembre 2018), Alain Gresh révèle comment le journaliste d’investigation d’al Jazira, Anthony Kleinfeld, « un jeune Britannique juif », bardé de diplômes et bien sous tous les rapports, a piégé le lobby israélien et dévoilé les méthodes d’espionnage et de flicage des groupes de pression américains favorables à Israël. Leurs dirigeants confient à M. Kleinfeld « qu’ils se livrent à des opérations d’espionnage de citoyens américains, avec l’aide du ministère des affaires stratégiques israélien. Créé en 2006, ce dernier dépend directement du premier ministre Benyamin Netanyahou. » Ils n’en ont  pas moins essuyé quelques retentissants échecs. Leur  espionnage de hautes personnalités a été piteusement dévoilé à Londres ;  l’ambassade sioniste a dû platement s’excuser et un diplomate israélien de haut rang a été contraint de faire ses valises. Mais comment arrive-t-on à défendre Israël envers et contre tous ? Israël est-il si admiré ? Israël a-t-il des atouts qui manquent aux autres ? « Comment influence-t-on le Congrès ? » La réponse du lobby sioniste américain est précise comme le scalpel du chirurgien mais d’une désarmante banalité : « Les membres du Congrès ne font rien si on ne fait pas pression sur eux, et la seule manière, c’est l’argent. »

C’est donc un documentaire explosif que l’équipe d’investigation d’al Jazira a réalisé et qui devait être diffusé début 2018. Mais, suite à ses déboires avec ses voisins, le Qatar n’a pas diffusé ce document… après accord avec le lobby sioniste américain et la promesse de ce dernier de le protéger et de défendre ses intérêts auprès des autorités américaines. Le responsable de la cellule d’investigation de la chaîne, Clayton Swisher, dégoûté par la désinvolture de son employeur vis-à-vis de son travail, a pris « un congé sabbatique » !

Dans les medias américains, Israël est intouchable

Le journaliste Gideon Lévy conte, sous ce titre, dans Haaretz (2 décembre 2018) la symptomatique mésaventure de Marc Lamont Hill, cet écrivain et communicant américain de l’Université Temple à Philadelphie. Notre homme remplit aussi la fonction d’analyste à la chaîne de télévision CNN. Lors d’une conférence des Nations Unies, Hill a appelé à « une action internationale qui nous donnera ce qu’exige la justice : une Palestine libre du fleuve [le Jourdain] jusqu’à la mer. »

En l’espace de quelques heures, le ciel est tombé sur la tête de Hill dans une « hystérie bien orchestrée » écrit Lévy. Le consul d’Israël à New York bien entendu mais aussi Fox News et d’autres officines pro-israéliennes  lui ont collé la sempiternelle étiquette d’ « antisémite », de « nazi » et de quelqu’un qui appelle à la destruction d’Israël. Le jour même CNN a mis à la porte cet analyste trop franc à son goût.
Et, goguenard, Gideon Levy de s’étonner, interpellant Hill: «  Comment ose-t-il ? Où pense-t-il qu’on vit ? Dans une démocratie dotée de la  liberté de parole ou dans un pays où le dialogue à propos d’Israël est sous l’implacable censure de l’establishment juif et de la propagande israélienne ? Hill a essayé de dire qu’il est contre le racisme et l’antisémitisme et que ses remarques visaient à apporter son soutien à l’établissement d’un Etat binational, séculier (non laïque) et démocratique…  Aux Etats Unis, il n’y a pas la moindre place pour des expressions qui puissent offenser l’occupation israélienne. Il est toutefois permis, certains jours quand  flotte un semblant de « libéralisme » de parler de « deux Etats » mais à condition que cela soit dit à voix basse, dans un chuchotement. »

Et Levy de poursuivre : « Que serait-il arrivé si Hill avait parlé de l’établissement d’un Etat juif entre le Jourdain et la mer ? Il aurait continué à travailler normalement à sa place. Rick Santorum, l’ancien sénateur, a dit en 2012 qu’ « aucun Palestinien » ne vit en Cisjordanie. Personne n’a pensé à l’obliger à démissionner. Ben Shapiro [analyste chez Fox News] qui blâme aujourd’hui Hill a appelé, il y a quelques temps, au nettoyage ethnique des Palestiniens des territoires (il s’est repris quelques années plus tard). Il ne lui est rien arrivé non plus. Aux Etats Unis, vous pouvez attaquer les Palestiniens sans relâche, voire nier leur existence. Mais faites bien attention à ne pas toucher à Israël qui est le Saint des Saints : c’est un  pays  au-dessus de tout soupçon. » La clé du secret qui permet de tels dépassements scandaleux : c’est le mot ANTISEMITISME. Et Levy d’écrire : « Tout est antisémite : Hill est antisémite car il est pour la solution à un Etat… l’UNRWA est antisémite et, bien entendu, le mouvement BDS. Le monde entier est contre nous. »

La publication d’un sondage mondial sur l’antisémitisme commandé par CNN a fait beaucoup de vagues. Il en résulte,  d’après Gideon Levy,  que « les juifs ne sont pas aussi haïs que le voudrait Israël… 28% des sondés affirment que, dans leurs pays, l’antisémitisme est le fruit de la politique israélienne. Un tiers pense qu’Israël profite de l’Holocauste pour faire avancer ses positions et un cinquième est d’avis que les juifs ont trop d’influence dans les médias. »

Et de conclure : « Mettez à la porte plus d’analystes qui osent critiquer Israël ou qui suggèrent seulement des solutions à l’occupation et ainsi, il y aura plus de sondés qui diront ce que chacun sait : les juifs et Israël ont une influence incroyable dans les médias occidentaux. Maintenant, allez-y, dites que je suis moi aussi un antisémite. »

On notera pour finir que de nombreux membres du corps professoral de la Temple University déclarent soutenir leur collègue Marc Lamont Hill qui a « la liberté académique d’exprimer ses vues sur l’occupation israélienne de la Palestine…. Nous pensons que la liberté académique est un principe et un socle  intangible de l’Université.  » Ces professeurs affirment que « le président de leur université, Patrick O’Connor, a trahi ce principe et ne font plus confiance à son leadership à la tête de l’institution…. Ses remarques ont manqué de mesures et ont manqué aussi de respect pour les opinions de Hill. Il a, de manière flagrante, mal interprété ses vues et celles de tout un chacun à la Temple University. O’Connor a mis grossièrement à mal les libertés académiques en insinuant que son exclusion du corps professoral était « souhaitable ».

Comme on le voit, il existe  des femmes et des hommes libres aux Etats Unis. Ceux-ci sont imbus des libertés qui ont présidé à la naissance de la Nation américaine et sur lesquels  le lavage de cerveau sioniste et ses dollars se cassent  les dents.

Mohamed Larbi Bouguerra