Opinions - 10.11.2018

Habib Touhami: Périalisme et césarisme

Habib Touhami: Périalisme et césarisme

Devant l’insécurité, l’affaiblissement de l’Etat et l’aggravation de la situation socioéconomique, des Tunisiens en nombre expriment ouvertement leur adhésion à une réforme constitutionnelle. Ils pensent que le salut passe par la mise en place d’un système de gouvernement dans lequel le pouvoir exécutif sera confié à un seul homme, un dictateur «élu» en quelque sorte. Le problème est que la Tunisie a déjà connu ce type de régime et qu’il a vite tourné au périalisme et au césarisme.

La Tunisie indépendante a vécu d’abord sous la férule d’un homme exceptionnel, au sens littéral du terme, tout à la fois «libérateur», éducateur et «père». Elle a vécu ensuite sous la férule d’un homme banal, au sens littéral du terme aussi, tout à la fois brute épaisse, accapareur et «parrain». Les deux régimes, quoique différents sous plusieurs aspects, appartiennent à la catégorie du «césarisme démocratique» et ont montré leur incapacité à évoluer en harmonie avec l’évolution socioéconomique et culturelle du pays et ce malgré des réalisations remarquables. Mais la leçon n’a pas été tirée. Un demi-siècle de présidentialisme a manifestement laissé des traces —syndrome de Carthage oblige— au point d’ancrer dans l’esprit d’un large public l’idée qu’un régime présidentiel, fût-il méprisant et absolutiste, est préférable à un régime parlementaire.

On peut se méfier du parlementarisme - c’est mon cas -, surtout s’il tourne à la partitocratie, mais pour porter un jugement équitable sur la Constitution en vigueur, il aurait fallu l’appliquer dans des conditions «honnêtes» par des partenaires «honnêtes». Il aurait fallu que tous jouent le jeu, loyalement, à commencer par le président de la République. Or celui-ci n’a pas cessé d’interpréter les textes à sa guise, de choisir des chefs de gouvernement à sa main, de nommer des ministres-conseillers à la Présidence, acte sans équivalent dans les démocraties modernes, et d’empiéter sur les domaines relevant constitutionnellement du chef de gouvernement. Jouant sur le penchant atavique de la classe dirigeante tunisienne à la division, le président de la République est allé plus loin encore dans la désagrégation de la vie démocratique en phagocytant élus, représentations intermédiaires, partis politiques (dont le sien) et organisations socioprofessionnelles.

Aucune Constitution ne peut fonctionner correctement dans ces conditions d’autant que le problème réside davantage dans le mode de scrutin aux législatives et dans le choix des  dirigeants politiques que dans l’équilibre des pouvoirs. Et pour déloyal qu’il soit, le comportement du président de la République ne fait que répondre finalement à l’attente de beaucoup de Tunisiens. Ceux-ci aiment être dirigés «d’en haut» et jugent trop «communs» les régimes parlementaires bien que ces régimes prévalent dans la majorité des pays démocratiques. Ils préfèrent vivre, semble-t-il, sous le césarisme «démocratique», quitte à abdiquer leur libre arbitre et à s’asseoir sur leur dignité. En d’autres termes, la modification de la Constitution ne changera pas fondamentalement les choses si les Tunisiens restent majoritairement des citoyens-sujets.

Habib Touhami