Opinions - 26.10.2018

La réforme de l’enseignement en Tunisie: Le comment et le pourquoi

La réforme de l’enseignement en Tunisie: Le comment et le pourquoi

La réforme de l’enseignement en Tunisie fait actuellement couler beaucoup d’encre. Le problème se pose avec une telle acuité  que tous les Tunisiens  ou presque se sentent concernés par ce sujet. Nous avons jugé qu’il serait bon de participer à ce débat en présentant quelques idées susceptibles d’être utiles. Mais avant d’entrer dans le fond du sujet je voudrais préciser que les idées que je vais  présenter ne concernent que l’enseignement primaire et  secondaire car au supérieur toutes les universités et tous les instituts sont munis de leurs propres conseils scientifiques qui sont habilités à décider s’il y a lieu de réformer ou de changer leur système.

Le ministre actuel de l’éducation n’a de cesse de faire des déclarations affirmant que son ministère fait de ce sujet  une priorité primordiale. Mais depuis son avènement, il y a deux ans on ne voit malheureusement rien venir. Dans ce papier je me propose de tracer les grandes lignes d’une stratégie qui mérite à notre avis d’être prise en considération.

A cet effet, je commencerais par présenter un aperçu historique  pour rappeler que les Tunisiens se sont intéressés à  la question de l’enseignement depuis l’époque de Khéreddine, surnommé à juste titre le père de la renaissance-nahdha- en Tunisie. Nul n’ignore que l’œuvre de ce réformateur était immense dans ce domaine. S'il nous fallait citer une seule réalisation, ce serait la fondation du Collège Sadiki en 1875. Mais alors que les colons français voulaient que l’enseignement dispensé aux indigènes, c’est à dire les Tunisiens se limitât à la formation de simples traducteurs pouvant faire le joint entre les indigènes et l’autorité coloniale, les Tunisiens tenaient quant à eux à apprendre les sciences et les métiers modernes. C’est pour cette raison que le père de la renaissance s’était longuement étendu sur ce sujet dans son célèbre livre Aqwam al massalilik- le plus droit chemin. Khéreddine recommande dans son livre de s’inspirer de tout ce qui a été à l’origine de la montée économique et scientifique de l’occident,   sans bien sûr contrevenir aux préceptes de l’Islam. Dans le congres colonial de 1906 et le congres de l’Afrique du nord tenu à Paris en 1908 les  membres du Mouvement jeunes tunisiens et à leur tête Ali Bach Hamba, chef du mouvement, à savoir notamment Sadok Zmerli, Mohamed Lasram, et Abdeljalil  Zaouch s’étaient penchés sur cette question et y avaient présenté leurs revendications concernant l’enseignement en Tunisie. Au lendemain de l’indépendance, le premier président de la république tunisienne Habib Bourguiba a fait de la question de l’enseignement sa première priorité en allouant le tiers du budget de l’Etat à l’éducation nationale. Dans l’objectif d’étendre l’enseignement à tous  les Tunisiens sans  aucune exception, il a fait construire des écoles dans les régions les plus reculées du pays. Il désigna  à la tête du Ministère de l’éducation en 1958, un homme très compétent en l’occurrence Mahmoud Messadi qui se chargea d’instaurer un régime d’enseignement moderne. L a réforme entamée par ce précurseur de l’enseignement moderne en Tunisie a notamment touché  les programmes les méthodes pédagogiques les examens les congés, la formation des professeurs etc.  Mais parmi  les mesures prises par le ministre on peut citer sa décision de réduire  l’horaire de travail et ce dans l’objectif d’accepter le plus grand nombre d’enfants scolarisables  Les choses allèrent tant bien que mal au début, mais avec le temps les faiblesses dues à l’extension à outrance et la réduction de l’horaire vont apparaître avec surtout la dégradation  flagrante du niveau des élèves. Des ébauches de réforme furent introduites par quelques ministres dont notamment Feu Mohamed Sayah. Mais aucune de ces tentatives n’a été concluante. Et ce n’est qu’avec l’avènement de feu Mohamed Charfi en 1990 que la situation allait  changer. Il nous parait  utile de revenir à cette expérience pour voir comment Mohamed Charfi s’était pris pour accomplir sa réforme. Les responsables actuels de l’enseignement pourraient peut être revenir à cette expérience pour en profiter sachant que d’après ce que m’a dit un mien ami ex directeur général au ministère de l’éducation tous les documents relatifs à la réforme de Charfi sont conservés dans les archives du ministère.

Mohamed Charfi avait commencé à s’intéresser à la question de réformer l’enseignement en Tunisie avant même d’être nommé  ministre. Il élabora un rapport y afférent qu’il remit au Président Be Ali. La guerre déclenchée contre les islamistes y aidant Ben Ali décida de désigner  à la tête du ministère de l’éducation Mohamed Charfi connu à l’époque pour être un homme gauchiste membre influent au sein du mouvement perspectiviste tunisien. En 1990 Charfi se mit à l’œuvre. Pour lui, il fallait être au diapason de ce qui se passait dans  les pays avancés et  la réforme de l’enseignement devait selon lui se fixer des finalités et   des objectifs. Pour ce qui était des finalités la réforme devait en premier lieu consolider l’identité nationale puis raffermir l’appartenance à la civilisation arabo-musulmane tout en restant ouvert aux autres civilisations  excluant tout repli aveugle sur soi et tout rejet de l’autre  La réforme devait aussi garantir l’épanouissement de la langue arabe tout en apprenant une ou plusieurs langues étrangères et surtout le français et l’anglais. Elle devait également tenir compte des conventions internationales ratifiées par la Tunisie et particulièrement celles relatives aux droits de l’homme. Quant aux objectifs de la réforme  tout enseignement devait garantir à la jeunesse une bonne formation lui inculquant les valeurs de la modération, de la tolérance, du non recours à la violence  à l’extrémisme au racisme et à la haine des races du patriotisme et de l’amour de la patrie. L’enseignement devait aussi permettre aux jeunes de pouvoir réfléchir pour eux mêmes, de prendre des décisions tout  seuls et d’avoir un esprit créateur et d’initiative. Finalement l’école devait dispenser une éduction en adéquation avec le marché de l’emploi. Pour mettre ce programme en place, le ministre fit créer une commission générale, une sorte de haute autorité, et une quinzaine de commissions sectorielles spécialisées chacune dans un domaine donné. Composée de membres spécialisés et d’experts dans les sciences de l’éducation, la commission générale contrôlait le travail des différentes commissions et leur prodiguait les conseils, les directives et les orientations nécessaires au bon déroulement de leur travail. Chaque commission sectorielle était composée de professeurs et d’inspecteurs du primaire du secondaire et de professeurs universitaires  étant donné que chaque niveau  était en rapport étroit avec les deux autres. La commission sectorielle comptait aussi des membres représentant l’UGTT, l’UTICA, l’Organisation des agriculteurs tunisiens  l’Organisation des femmes tunisiennes et d’autres experts  de la société civile. A la fin de son travail chaque commission transmettait à la commission  générale  son rapport qui devait obligatoirement  comporter des propositions. La commission générale devait alors faire la synthèse de tous les rapports sectoriels, élaborer son  propre rapport final comportant les solutions proposées et transmettre ce rapport au gouvernement pour en faire un projet de loi après l’avoir bien étudié et peut être amendé par le conseil des ministres. Le projet devait être ensuite soumis au parlement pour adoption puis transmis au Président de la république pour signature et publication au journal officiel de la République tunisienne.

S’inspirant de cette riche et importante  expérience notre ministre de l’éducation doit à notre humble avis s’atteler à la tâche le plus vite possible pour mettre en place les structures nécessaires à la réalisation de la réforme de notre enseignement qui n’a pas cessé de se détériorer au cours  des dernières décennies. La réforme doit être l’œuvre des experts les plus compétents en la matière. Elle doit être aussi au diapason de son temps et surtout de ce qui se passe dans les pays avancés. La réforme doit être également conforme aux dispositions édictées par la constitution du pays. Finalement la réforme doit avoir pour résultat  un enseignement capable de former des jeunes à même de créer des projets  ou d’être aptes à accéder sans difficulté au marché de l’emploi.

Et pour conclure disons qu’une fois cette opération mise en œuvre, il convient alors d’évaluer ses résultats. Le ministère décida d’appliquer la méthode des compétences de base initiée par le Royaume Uni dès 1980. L’expérience s’avéra si intéressante que l’UNICEF décida d’y participer et de prendre même  en charge ses frais afin de l’étendre à d’autres pays.  Une dizaine de pays africains suivirent l’exemple tunisien.    

A bon entendeur salut

Abdelkader Maalej
Ancien communicateur

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