Opinions - 30.09.2018

Taoufik Habaieb: Un destin tunisien

Taoufik Habaieb: Un destin tunisien

«A force de flirter avec les mêmes démons, l’édifice s’ébranle dangereusement et menace de s’écrouler». Les tragiques  inondations survenues récemment au Cap Bon ont mis à nu toutes les fragilités. De l’aménagement du territoire (à l’abandon) aux infrastructures (désuètes), de la capacité (quasi inexistante) d’anticipation et d’alerte à l’organisation (tardive et anarchique) des secours et la gestion de crise (hasardeuse). De l’attitude du gouvernement (dans la limite absolue de ses moyens) à la démission (totale) des partis politiques. Les mêmes démons politiques impactent l’ensemble et c’est le Tunisien qui en paye les frais.

Que restera-t-il des déclarations télévisées du président Caïd Essebsi? Un aveu d’impuissance face, précisément, à ces démons. Rien dans ce mouvement erratique des uns et des autres au pouvoir  ne prend en charge les préoccupations urgentes des Tunisiens. Ni vision d’avenir, ni politiques publiques, ni mesures urgentes qui s’imposent : rien que des tiraillements, une guerre de positions et d’ego.

Cette fièvre envahissante consume la démocratie naissante en Tunisie. Lassé, épuisé, le peuple est en rupture. La classe politique ne parvient pas à entrer en résonance avec les Tunisiens, aucune vibration. Elle s’y complaît, comme si elle jouissait d’en être coupée et détestée. La démocratie est déjà à bout de souffle.

Les élections de 2019 mettent d’ores et déjà le pays en effervescence. Les candidats ne craignent pas d’afficher des postures égoïstes. L’argent coulera à flots, sans laisser de trace quant à son origine. Les alliances obéiront à des raisons que la raison ne peut qu’ignorer. Le programme de chacun se limitera à vouloir vainement s’inscrire dans un signalement vertueux devant mettre en valeur sa bonne moralité. Ce qui reste à prouver.

Le corps électoral, meurtri, désabusé, répondra par son absentéisme, le pire des mépris. La voie sera alors libre aux ultras et aux opportunistes. Si le mouvement Ennahdha est assuré de constituer le socle du nouveau pouvoir qui s’installera aux commandes en 2020, quelles autres forces politiques seraient capables de constituer les étages supérieurs du pouvoir législatif et exécutif ? Sauf un raz-de-marée miraculeux, la coalition avec les islamistes est inévitable. Il est encore tôt de convenir de la répartition des charges futures, mais il est grand temps d’explorer la dose de cette alliance et d’en définir le programme, avec des engagements séculiers et modernistes non négociables.

Quel que soit le verdict des urnes, ces acquis d’un Etat laïque, de droits et de liberté et d’un modèle de société moderniste et plurielle ne sauraient être remis en question. C’est l’enjeu majeur à renforcer.

Un destin tunisien fait d’ambition, de liberté, de progrès et de prospérité est possible. Forgé dans une nouvelle vision de la société, du pays et du monde, nourri d’une nouvelle solidarité à inventer, il est à notre portée. Si nous ne le prenons pas nous-mêmes à bras-le-corps et si nous l’abandonnons aux autres, nous savons d’avance ce qu’il adviendra : le chaos et la mainmise. Inéluctablement pour de longues décennies.

Le compter-sur-soi doit se conjuguer avec le collectif. Torpillés par l’égoïsme de leurs dirigeants, voire leur incompétence, la quasi-totalité des partis politiques sont au bord de l’implosion. Le rassemblement des troupes sera éphémère, mues par l’appât des investitures, le temps des élections. L’actuelle machine à fabriquer des élus n’est pas garante de qualité, dont pourtant nous avons le plus besoin.

Ceux parmi les Tunisiens qui rechignent à rejoindre des partis se doivent de trouver d’autres canaux pour faire entendre leur voix et exercer leur poids. Cette pression salutaire, à travers notamment la société civile, mais aussi la convergence du mouvement syndical ouvrier et des corporations, tous sincèrement engagés dans l’intérêt commun, est essentielle.

C’est aujourd’hui qu’il faut concevoir le programme de gouvernement de 2020, quels que soient les coalisés qui seront portés au pouvoir. Le temps est compté pour lancer les études préalables, entreprendre les simulations nécessaires, envisager les options, procéder aux estimations, mesurer l’impact et définir l’agenda ainsi que les modalités de mise en œuvre. C’est ce contrat concerté, endossé par la plus large frange possible des Tunisiens, qu’il urge d’élaborer et de faire aboutir. Dès le mois de février 2020, date d’entrée en fonction du futur gouvernement, sa mise en œuvre doit commencer, sans souffrir le moindre retard. Pour rattraper tant de temps perdu et accomplir le destin tunisien que nous voulons pour nous et pour notre pays.

T.H.