Opinions - 07.09.2018

Enseignement Supérieur: D’une charge budgétaire à rendement contesté à un secteur générateur d’investissements, d’emplois et d’exportations

Enseignement Supérieur: D’une charge budgétaire à rendement contesté à un secteur générateur d’investissements, d’emplois et d’exportations

Albert Einstein a qualifié de “folie” le fait de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent. Notre système universitaire continue à utiliser le même système d’orientation des bacheliers, le même mode d’organisation et de gestion des institutions universitairestout en adoptant une standardisation à outrance des programmes, Au lieu d’être le promoteur du système, le Ministère de l’Enseignement Supérieur reste à la fois le promoteur, le régulateur et l’opérateur du système. N’est-on pas en train de continuer à alimenter le réservoir des «Diplômés Chômeurs»?

Etant universitaire, j’ai fait ma carrière dans le secteur public et j’ai eu le privilège de diriger des institutions universitaires publiques où je n’avais aucun pouvoir décisionnel. A la retraite, voulant continuer à servir le pays, j’ai fondé une institution universitaire privée. Avec les directives et les contraintes imposées par le Ministère de tutelle, je gère beaucoup plus l’application des consignes et la satisfaction des exigences administratives duMinistère que le développement d’une institution universitaire selon les normes des meilleures universités des pays développés.

Cette situation nous interpelle et nous dicte d’adresser aux responsables de la promotion d’un secteur aussi stratégiqueun certain nombre de questions:

  • Jusqu'à quand les infrastructures universitaires du pays vont-elles rester fermées cinq mois de l’année?
  • Jusqu’à quand l’étudiant non satisfait de son institution universitaire en cours du premier semestre de l’année universitaire doit-il attendre la prochaine année universitaire pour s’inscrire dans une autre université et ainsi lui faire perdre toute une année alors qu’aucun texte juridique ne l’interdit?
  • Jusqu’à quand les profils de formation vont continuer à être déterminés par le nombre d’années d’inscription à l’université et non par le niveau des compétences et des acquis scientifiques prévus dans le programme?
  • Jusqu’à quand cette standardisation à outrance des programmes sera-t-elle maintenue, limitant ainsi la capacité des universités à innover et à adapter leurs programmes aux évolutions du marché de l’emploi et aux besoins de l’économie nationale?
  • Jusqu’à quand va-t-on imposer aux institutions universitaires de démarrer leurs programmes de perfectionnement de cadres en début d’année universitaire alors que la demande pour ce type de formation dépend essentiellement de la disponibilité des candidats qui est généralement très faible en cette période?
  • Jusqu’à quand va-t-on interdire aux universités privées d’ouvrir des filiales en Tunisie ou à l’étranger, limitant ainsi leurs capacités de développer leur offre et de contribuer
    (1) à l’exportation de services dont notre pays a un grand besoin et
    (2) au rayonnement de la Tunisie à l’international?
  • Jusqu’à quand va-t-on limiter les universités privées à une seule spécialité alors que le marché de l’emploi est à la recherche de profils pluridisciplinaires?

Le Contexte: Le nouvel ordre économique mondial se distingue par

(1) la globalisation des marchés,
(2) le rôle accru du «savoir» faisant du capital humain le principal déterminant du niveau de compétitivité des entreprises et des pays, et
(3) la rapidité des changements technologiques imposant aux entreprises et aux cadres en exercice une mise à niveau continuelle de leurs compétences professionnelles.

Sortir d’une grande école n’est plus un titre honorifique pour la vie, mais un billet d’entrée au marché de l’emploi.
Ces mutations, si on sait les exploiter, ouvrent de nouveaux horizonsà nos institutions universitaires. Elles ont permis à de nombreux pays de transformer leur système d’enseignement supérieur d’un service public destiné aux jeunes étudiants à un «secteur de services» créateur d’emplois et de richesses. Il en est résulté une amélioration significative de la qualité de l’enseignement public et privé dans ces pays.  Pour saisir l’opportunité qu’offre la forte croissance de ce marché, plusieurs universités publiques de pays développés ont internationalisé leurs programmes et ouvert des filiales dans les pays en développement. C’est le cas de la Sorbonne à Abou Dhabi et Paris-Dauphine à Tunis.

L’opportunité: Faire passer l’Enseignement Supérieur d’une Charge Budgétaire à rendement contesté à un Secteur Générateur d’Investissements et d’Exportations. L’investissement dans le secteur de l’éducation supérieure présente des avantages de taille par rapport à d’autres secteurs de services dont:

  • Moins vulnérable aux aléas politiques que le secteur touristique: à titre d’exemple, l’université américaine de Beyrouth a continué à fonctionner malgré les bombardements de Beyrouth et l’instabilité politique qui dure depuis les années 80. La demande pour ce service est continue dans toutes les conditions y compris celles les plus difficiles.
  • Générateur d’Importantes ressources en devises: Un étudiant international est un touriste résident de très longue durée (durée de son programme). Selon les statistiques de l’Institut International de l’Education (IIE), pour l’année 2017, les recettes en devises provenant d’étudiants internationaux inscrits dans des universités américaines sont de 39 milliards de Dollars US. De nombreuses villes en Europe (Lausanne, Paris, Nice/Marseille, Munich, Londres, Oxford/Cambridge, etc.) et en Amérique du Nord(Boston, Cambridge, San Francisco, Montréal, Toronto, etc.) ont bâti des économies prospères et compétitives grâce aux services d’éducation et de recherches qu’elles sont su promouvoir et faire évoluer pour attirer le maximum des meilleurs étudiants du monde entier. La demande pour une éducation de qualité existe et elle est solvable.
  • Contribution à l’intégration de l’économie tunisienne dans l’économie mondiale: Les étudiants internationaux créent un environnement multiculturel bénéfique aux étudiants nationaux. Par ailleurs, les étudiants étrangers développent des affinités avec leurs camarades tunisiens favorisant les échanges commerciaux voire même le lancement ultérieur de projets conjoints. Enfin, un étudiant international est un futur ambassadeur de la Tunisie dans son pays.

Axes stratégiques: Parmi les principaux axes stratégiques à considérer, il y a lieu de citer:

  • Favoriser dans les principales régions du pays le développement de pôles universitaires intégrés regroupant des universités tunisiennes publiques et privées et étrangères de renommée à l’image du pôle universitaire de Saclay en banlieue parisienne ou le «village du savoir» à Dubai (DubaiKnowledge Village).
  • S’inspirant de la stratégie adoptée pour le développement du secteur touristique tunisien durant les années soixante, où le gouvernement a accordé aux promoteurs d’hôtels des incitations fiscales et financières et l’octroi de terrains au Dinar symbolique dans différentes régions du pays (Nabeul Hammamet, Sousse-Monastir, Djerba….); encourager les investissements dans le secteur de l’enseignement supérieur en mettant à la disposition des promoteursdes terrains à des prix raisonnables pour développer des campus selon les normes internationales.
  • Etablir pour chaque région un cahier des charges, lancer des appels d’offres, et désigner, sous l’égide du Ministère de l’Enseignement Supérieur, une commission nationale pour l’évaluation des projets présentés et l’octroi des avantages.
  • Abolir l’Article2 de la Loi n° 2008-59 du 4 août 2008, modifiant et complétant la loi n° 2000-73 du 25 juillet 2000, relative à l'enseignement supérieur privé qui interdit aux universités privées tunisiennes d’ouvrir des filiales en Tunisie ou à l’étranger;
  • Responsabiliser les universités publiques et leur accorder davantage d’autonomie de gestion;
  • Mettre fin à la standardisation à outrance des programmes et permettre aux universités publiques et privées de développer leurs programmes et activités en fonction des besoins des entreprises de leurs régions. Il revient aux organismes internationaux d’accréditation et aux employeurs d’évaluer la qualité des programmes d’études et de recherche des différentes universités.

Mahmoud Triki
Universitaire