Opinions - 04.09.2018

Il y a 60 ans, le martyre de la famille Bechir Nebhani de Zarzis, une tragédie oubliée

Il y a 60 ans, le martyre de la famille Bechir Nebhani de Zarzis,  une tragédie oubliée

Le drame du 25 mai 1958 ayant touché la famille de Béchir Nebhani est un souvenir d’enfance resté indélébile. Je ne me rappelle pas les sentiments que je ressentais à cette époque mais je n'oublierai jamais la bonhommie et la sévérité de si Béchir, mon ex-instituteur de deuxième année  primaire, et de la blondeur des  cheveux de  son fils Abdeljalil, mon camarade de classe. Au cours de l’été  2014,  je fus stupéfait par l’état de délabrement du carré de la famille Béchir Nebhani, oublié de tout le monde et envahi de broussailles et de gravats. C’est à ce titre que j’avais décidé, qu’à l’occasion du 60éme anniversaire de cette tragédie, d’œuvrer, à travers cette modeste contribution, pour rappeler l’histoire du martyre   de cette famille et la faire connaitre aux jeunes générations.

Qui était la famille Béchir Nebhani?

Bechir Nebhani Belhiba, né  à Zarzis en1924, était l’ainé d’une famille de 5 enfants..

Avec son brevet obtenu au lycée Alaoui, Béchir obtint un poste d’instituteur stagiaire  à Zarzis, lui ouvrant ainsi les perspectives d’une belle carrière d’enseignant. Il épousa en 1946, une cousine au prénom de Mabrouka, fille du Caid Rhouma BELHIBA. De ce mariage naquirent  trois garçons et une fille.

Béchir, en bon  père de famille, entourait ses enfants d’une grande affection. Habitant la maison familiale avec ses frères et sœurs, il était devenu  ainsi, leur  soutien matériel pendant de longues années.

Béchir adhéra au Néo-Destour dès son intégration au collège Alaoui. Il fut  également un membre actif du syndicat de l’enseignement à travers lequel il était en contact fréquent avec le militant syndicaliste Farhat Hached. Après  l’assassinat de ce dernier survenu   le 05 /12/1952, Béchir très affecté, observa un deuil de plusieurs mois.
Ill était un instituteur passionné par son métier. Sa salle de classe était abondamment décorée de dessins et de cartes pour stimuler l’intérêt et la curiosité chez ses élèves.
Apres l’indépendance du pays, il fut affecté  en octobre 1956, comme directeur de l’école primaire de Remada. Selon son collègue de l’école française de Remada, M Georges Micallef, celui-ci lui avoua que cette affectation avait un caractère plutôt disciplinaire. En effet, les nouveaux dirigeants du pays sans l’avouer,  lui reprochaient sournoisement d’être le gendre d’un ancien Caid.


La famille  Bechir Nebhani partant pour le voyage sans retour

La situation politique en Tunisie en 1958

Les années 1956 et 1957 furent, en général, des années relativement calmes. Il n’en demeure pas moins que certaines difficultés commençaient à apparaitre à cause de l’appui accordé aux combattants algériens  et l’armée française stationnée en Algérie n’hésitait pas à user de son droit de suite en sol tunisien à la poursuite de ces combattants. En réalité, Bourguiba ,grand partisan de la politique des étapes, voulait l’évacuation de toutes les  forces françaises stationnées en Tunisie et son discours du 18 juin 1956 à Tataouine en fut l’illustre exemple.

L’année 1958 fut plutôt celle de tous les drames et le point de départ d’une épreuve de force entre la Tunisie et la France. En effet en apportant son appui aux combattants algériens, la Tunisie a subi les foudres de l’état-major d’une   armée française d'Algérie En effet, profitant de la crise politique chronique due à l’instabilité gouvernementale du pouvoir central à Paris, il prit l’initiative de  bombarder massivement le 8 février 1958, jour de marché, le village frontalier tunisien de Sakiet Sidi Youssef. Cet incident, ayant fait  68 victimes  civiles pour la plupart des enfants, fut porté à la connaissance de la presse internationale par le gouvernement tunisien.

Le sud tunisien théâtre de tension

En représailles, les autorités tunisiennes ont pris des mesures pour réduire la mobilité des forces françaises stationnées   dans le pays.

Dans le sud-est, le gouverneur de Médenine  commença à faire appel aux volontaires pour dresser des barrages sur les routes principales de la région en vue de contrôler les déplacements des forces françaises  qui y sont  stationnées. Les volontaires étaient composés d’anciens combattants, d’éléments du Makhzen, d’anciens militaires tunisiens de l’armée française et de jeunes. Ils étaient encadrés par des éléments de l’armée tunisienne  et de la garde nationale nouvellement crées.


Vue aérienne du bordj de Remada en 1958

Remada représentait le point nodal du dispositif mis en place par les forces françaises ,s’appelant à l’époque «Groupement Saharien du Sud Tunisien» ou GSST, pour surveiller la région. Sur ordre du Colonel Mollot, chef du GSST, les forces françaises, par défi aux provocations  des forces tunisiennes et voulant toucher à la souveraineté du pays ,coupèrent les lignes téléphoniques avec le siège du gouvernorat à Medenine, occupèrent le 19 février 1958  le siège de la  délégation et le poste de la garde nationale et ce jusqu’au   22 février 1958.


Les batailles de Remada  du 18/02 au 25/05/1958

Les autorités régionales sommèrent le délégué et le directeur de l’école et leurs familles d’évacuer les lieux et d’aller à Dhibat jusqu’au  retour au calme à REMADA.  Ceci est confirmé par le témoignage de M. Georges Micallef, qui affirme avoir vu et discuté avec M.Nebhani, en train de charger sa voiture pour partir avec sa famille à  Dhibat. Il confirmera aussi le retour à son poste de M.Béchir Nebhani avec sa famille.

Le drame du 25 mai 1958

A la fin de l’après-midi  du 24mai 1958, des éléments de l’armée française  venant de la caserne de Remada et se dirigeant vers  Bordj- Lebœuf furent arrêtés par un barrage des forces tunisiennes à Gambout. Un échange de coup de feu s'engagea, se soldant par des morts et des blessés des deux côtés et l’escalade allant jusqu’à l’encerclement du fort. L’affrontement se poursuivra jusqu’aux premières  lueurs du jour suivant. Les forces tunisiennes prirent pour appui les bâtiments de l’école primaire se trouvant en face du fort.

Tous les témoignages concordent sur le fait que le Colonel Mollot, pris de panique devant le rapprochement des forces tunisiennes, décida d’envoyer un groupe de goumiers pour réduire au silence une mitrailleuse installée sur le toit de l’école, qui menaçait ses soldats .Pour y parvenir , il fallait passer par la résidence dont la porte était verrouillée. Elle fut défoncée et des grenades furent lancées à l’intérieur tuant  sur le coup tous les membres de la famille Nebhani. Le Colonel Mollot, pour justifier cet acte  odieux de ses soldats, dira par la suite à la presse que Bechir Nebhani fut tué alors qu’il combattait l’arme à la main avec d’autres combattants. Ces affirmations ne concordent pas avec celles de M. Micallef  qui avait été informé par un goumier français de  la mort de M. Béchir Nebhani avec sa famille, décimés tous  par les grenades   lancées  par les assaillants.  La visite effectuée, par la presse nationale et internationale après les évènements, à l’école primaire  confirma bien que la résidence du directeur avait été bien violée par le défoncement de sa porte d’entrée, le  grand désordre et la présence de taches de sang. Elle fut également dépouillée par les assaillants de tous ses objets de valeur et principalement les nombreux  bijoux en or de Mabrouka Nebhani.

Les pertes humaines tunisiennes de 58 personnes furent évacuées à la hâte par les forces françaises et inhumées sommairement à différents endroits à l’extérieur de la ville.

La portée de l’évènement

Lors de sa réunion du 2 juin 1958 le conseil de sécurité des Nations Uunies a examiné la plainte de la Tunisie. Le représentant de la France, Georges PICOT, chercha à décharger son pays de la responsabilité de la mort du directeur de l’école primaire de Remada et de sa famille, en précisant qu’il s’agissait de malheureux  tirs croisés ayant atteint la résidence des  concernés provoquant leur mort.

L’arrivée du Générral De Gaulle au pouvoir  a abouti à l’accord du 17 juin 1958 entre la Tunisie et la France décidant l’évacuation dans un délai de 4 mois  de toutes les forces françaises  stationnées en Tunisie sauf Bizerte.

Compte tenu des faits évoqués, plus haut, on peut dire  que la mort de Bechir Nebhani et de sa famille est de la responsabilité directe de la partie française, à cause de la réaction démesurée de ses troupes.

Que peut-on dire alors  de la partie tunisienne? A notre  humble avis? la partie tunisienne est aussi responsable  mais indirectement, par l'appel injustifié du Gouverneur de Bechir Nebhani à rejoindre  son poste, alors qu’il savait que la situation allait dégénérer, d’une part. D’autre part, par la négligence manifeste des   combattants  tunisiens ou du moins ceux qui les dirigeaient, en ayant pris l’école comme point d’appui pour leurs opérations militaires, n’avaient envisagé aucune mesure pour mettre à l’abri Bechir Nebhani et sa famille.
Des interrogations  qui méritent des éclaircissements et  Il appartient aux historiens de les trouver.


La décoration de l’ordre de l’indépendance de Bechir Nebhani

Conclusions

Il est vrai que Bechir Nebhani   fut décoré  à titre posthume de l’ordre de l’indépendance et qu’une rue à Zarzis porte son  nom, il n’en demeure pas moins que lorsqu’on évoque les évènements de Remada on  en  parle peu. Ceci   est injuste dans la mesure où le martyre de Bechir Nebhani, par son impact médiatique, avait précipité le départ des forces françaises  du sol tunisien .Pour réparer  cette injustice et apporter plus de lumière sur les circonstances de la mort de cette famille, il est proposé  les actions suivantes :

  • Déplacer les cendres  des membres de la famille bechir Nebhani dans un lieu public en centre-ville pour être plus accessible aux visites et recueillements
  • célébrer à Zarzis conjointement  avec Remada les anniversaires des évènements du 25 /05/1958.
  • Organiser un colloque international pour le 61 eme anniversaire des évènements de Remada.

Med Noureddine Dhouib
Ingénieur ESE