News - 30.08.2018

Tunisie : quels scenarios pour une sortie de crise ?

Tunisie : quels scenarios pour une sortie de crise ?

Depuis  2011 la Tunisie  est confrontée  à une crise complexe, multidimensionnelle et multiforme:

  • un faible niveau d’investissement et une croissance fragile ;
  • un  taux de chômage élevé se situant actuellement autour de 15.4% ;
  • un  approfondissement  des déséquilibres régionaux et des inégalités sociales ;
  • un déficit  de la balance commerciale en hausse continue. Il s’est établit à 8.164,9 millions de dinars (MD) fin juin 2018 contre 7.535,2 MD une année auparavant.
  • une  balance des paiements extérieurs en évolution défavorable marquée par le creusement du déficit courant, ce qui  a pesé sur les réserves de change de la Tunisie pour atteindre, le 15 août 2018, un niveau de  11013 MDT, soit l’équivalent de 71 jours d’importation ;
  • une dépréciation préoccupante de la monnaie
  • un  niveau d’inflation inquiétant se situant  à 7.5% au mois de juillet dernier.
  • un taux d’endettement public qui  atteindrait 72% du PIB en à la fin de l’année 2018 et 73% en 2019, sous l’effet d’une dépréciation constante de la monnaie, des déficits primaires persistants, et d’une hausse  des taux d’intérêt
  •  des exigences liées aux crédits octroyés par les  institutions financières internationales ;
  • une sur-bureaucratisation de plus en plus pesante ;
  • une  corruption de plus en plus étendue;

Quels scénarios?

A notre avis, nous devrions nous focaliser sur quatre volets:

  • Le premier, essentiel et incontournable, est celui de l’accélération du rythme des grandes réformes économiques et  du rétablissement de nos grands équilibres macroéconomiques. Ceci passe par des politiques sectorielles performantes orientées vers l’export  et une politique commerciale offensive qui permettrait  de renflouer les recettes en devises pour désamorcer la crise de la dette et des réserves des changes.
  • Le second concerne la conception d'une véritable stratégie de développement industriel est primordiale pour le pays. Nous croyons qu'un angle d'attaque serait de formuler une nouvelle stratégie de transformation structurelle autour des secteurs porteurs qui se développent dans notre pays comme les services aux entreprises, l'industrie aéronautique sans pour autant occulter les secteurs classiques, à l'instar de  l'agroalimentaire ou le textile.
  • Le troisième volet pour lequel nous devons œuvrer est le changement d'attitude de notre administration à l'égard du secteur privé. Il est impératif que la mécanique administrative se mette réellement au service du secteur privé et de son développement
  • Le quatrième  porte sur la reprise de l'investissement ; elle est fondamentale dans la mesure où elle relancera la croissance et l'emploi. C'est à l'Etat et aux investissements publics de rompre cet attentisme et de baliser le terrain en  termes d'investissements productifs qui serviront de signaux aux acteurs économiques et d'accélérer la sortie du tunnel.
    Relancer l'investissement, serait, le facteur de croissance le plus efficace, contrairement à la relance par la consommation adoptée durant la période 2012-2014 qui a généré des effets inflationnistes néfastes sur l’économie du pays.

Pour ce faire, des mesures de redressement à court terme devraient être prises afin de rétablir la confiance des opérateurs économiques, relancer la croissance et mettre le pays sur la voie de la maitrise des grands équilibres.

Parmi ces mesures, on peut citer:

  • Engager dans les plus brefs délais les stratégies et les mesures nécessaires pour rétablir les grands équilibres et maitriser la dette
  • Engager des procédures urgentes pour maitriser les dépenses publiques par la refonte du système de compensation, et la réforme de la fonction publique 
  • Rééquilibrer le modèle de développement vers une croissance portée par la demande extérieure et l’investissement et mettre en place une vraie stratégie de conquête des marchés extérieurs
  • Actualiser les stratégies industrielles déjà mises en place afin de développer les exportations et renforcer la compétitivité du produit tunisien
  • Mettre en place «l’agence Tunisie Trésor» pour assurer une gestion dynamique de la dette
  • Rechercher par tous les moyens la reprise rapide de l’investissement privé et notamment l’adoption d’une politique de financement sélective
  • Bien préparer la négociation de l’ALECA avec l’UE notamment en sollicitant la reformulation du soutien européen vers des programmes pertinents qui répondent de manière cohérente, aux exigences de la transition économique et politique  
  • Rétablir la politique de compensation industrielle et élargir ce processus aux franchises commerciales
  • Accélérer les projets publics déjà entamés
  • Engager la réalisation des projets d’infrastructure importants
  • Accélérer le démarrage de projets urbains dans certaines grandes villes et réaliser ces projets dans le cadre du PPP
  • Revoir les conditions du crédit logement aux particuliers en réduisant l’autofinancement requis et en acceptant ces crédits au refinancement par la BCT
  • Créer la banque des régions qui regrouperait outre la BFPME, la SOTUGAR et le FOPRODI  et donner à la CDC  un rôle stratégique dans ce dispositif
  • Allouer à la Banque des Régions des fonds qui seraient utilisés pour soutenir la création de projets à travers l’institution de dotations remboursables
  • Mettre en place le cadre juridique adéquat de l’économie sociale et solidaire et développer les capacités financières de la micro finance

Pour les grandes réformes, les principales recommandations en la matière consiste à:

  • Créer une structure à caractère consultatif ayant pour mandat d’approfondir la réflexion sur les réformes  et les mesures d’ordre économique et social à l’instar de l’ancien Conseil  économique et social
  • Poursuivre la réforme de l’administration, notamment à travers une vaste opération de redéploiement des effectifs et leur allégement à travers l’incitation au départ volontaire
  • Entamer la concrétisation du programme de restructuration  des entreprises publiques
  • Entamer la réforme des régimes de compensation, à travers la fixation d’un plafond qui ne peut être dépassé et l’adoption de mesures qui garantissent un  ciblage des catégories à faible revenu
  • Assurer l’indépendance de l’Institut National de la Statistique en lui accordant davantage de moyens et  le statut d’Autorité Administrative Autonome 
  • Adopter une stratégie de développement régional fondée sur une nouvelle vision qui considère la Tunisie toute entière comme une bande côtière
  • Améliorer les stratégies nationales dans les secteurs du tourisme, de l’industrie, de l’agriculture et adopter un programme de mise à niveau des outils de production dans ces secteurs
  • Mettre à niveau et moderniser le dispositif de la formation professionnelle
  • Approfondir la réforme du système bancaire et financier
  • Poursuivre la reforme fiscale pour combattre la fraude fiscale et l’économie parallèle

Nous pensons que notre pays a le potentiel de devenir un pôle d'émergence économique dans la région MENA comme beaucoup d'autres pays de petite taille comme Singapour. Pour cela, nous devons disposer d'une vision et d'un projet économique et social clair, capable de mobiliser les forces économiques et sociales  de notre pays.

Mohsen Hassen
Ancien ministre
Economiste