News - 12.08.2018

Pesticides : un jardinier terrasse le géant de l’agrochimie. Quelle leçon pour la Tunisie ?

Pesticides : un jardinier terrasse le géant de l’agrochimie. Quelle leçon pour la Tunisie ?

C’était David contre Goliath.

M.Dewayne Lee Johnson, un jardinier américain atteint de cancer qui  a répandu pendant des années,  l’herbicide Round Up (glyphosate) dans les écoles californiennes,  entrera dans l’histoire comme l’homme qui a fait condamner le géant américain de l’agrochimie Monsanto – acquis par l’allemand Bayer le 7 juin dernier. Agé de 46 ans et père de famille, M. Johnson souffre d’un cancer lymphatique non-hodgkinien et la Faculté ne lui donne plus que quelques mois à vivre.

Il s’agit là d’un jugement sans précédent et d’un vif espoir pour les 4000 autres plaignants américains qui accusent Monsanto de leurs maux.

Un procès historique et un jugement accablant

Vendredi 10 août 2018, le Tribunal Suprême de l’Etat à  San Francisco a en effet condamné Monsanto, la firme de Saint Louis dans l’Etat du Missouri,  à verser à M. Johnson la somme de 289, 2 millions de dollars. Le vote du jury a été acquis à l’unanimité: les multinationales ne comprennent que ce type de sanctions : celles qui  frappent  au portefeuille. Mais Monsanto a décidé d’interjeter appel étant donné sa forte armée d’avocats et de conseillers en tout genre.

Le jugement est absolument accablant pour la multinationale. Le jury a la conviction que les produits contenant du glyphosate visés par la plainte de  Johnson n’étaient pas aussi sûrs que les utilisateurs étaient en droit de l’attendre. Ils ont été « un facteur substantiel » de l’état de santé du plaignant et que les risques posés par ces produits « étaient connus ou pouvaient être connus à la lumière des connaissances généralement admises par la communauté scientifique au moment de leur fabrication, de leur distribution et de leur vente.»  Le jugement affirme que Monsanto a failli en  n’informant pas ses clients des risques pour leur santé.

Point d’orgue en forme de coup de massue des attendus de  cet arrêt historique du tribunal de San Francisco : la société Monsanto a agi avec « malveillance ». Elle n’a pas pris la peine d’informer ses clients sur les risques encourus lors de l’utilisation de cet herbicide. Les multinationales tiennent beaucoup à leur image et cette « malveillance » relevée par le tribunal écornera fort la réputation de Monsanto. Pour Robert F. Kennedy Jr, un autre avocat de M. Johnson, “Ils [les dirigeants de Monsanto] savaient parfaitement que ce qu’ils faisaient était mauvais et ils le faisaient sans la moindre considération et avec un total mépris pour la vie humaine. Ce jugement devrait fortement interpeller le conseil d’administration de Monsanto ». (Paul Elias, Los Angeles Times, 11 août 2018)

Un mois durant les jurés ont écoutés les exposés scientifiques des deux parties : interprétations des expériences sur les animaux de laboratoire, validité des études épidémiologiques sur les humains….

En réalité, ce sont les documents internes de Monsanto, obtenus par les avocats de M. Johnson qui ont emporté la décision du jury.  Me Brent Wisner,  l’un des avocats du plaignant a déclaré : « Nous avons enfin pu présenter au jury les documents internes tenus secrets par Monsanto prouvant que la société savait depuis des décennies que le glyphosate, et en particulier le Roundup, pouvait être une cause de cancer. Nous sommes fiers qu’un jury indépendant, en dépit de l’échec de l’Agence de protection de l’environnement (EPA) à exiger un étiquetage adéquat de ces produits, ait suivi les éléments de preuve présentés, et use de sa voix pour dire à Monsanto que les années de tromperie sur le Roundup sont derrière nous. »

Le brevet du glyphosate (US Patent n° 3 288846 datant de 1966)   est tombé dans le domaine public au début des années 2000. Il était à l’époque appelé « glyphosine » et considéré comme un agent de maturation (ripening agent) de la canne à sucre et,  sous la dénomination de Roundup, vendu  comme herbicide. Il est devenu l’herbicide le plus utilisé dans le monde avec 800 000  tonnes épandues annuellement. Depuis, Monsanto en a fait une locomotive placée au cœur de son modèle économique puisqu’il est vendu couplé avec des cultures OGM (maïs, soja…) en mesure de le tolérer.

Rappelons que c’est au printemps 2017 que ces documents internes dits « Monsanto Papers »  (courriels, rapports internes, correspondances avec l’administration, avec les rédactions en chef des revues scientifiques et avec les consultants…) ont été rendus publics par la justice américaine. On apprend, grâce à ces documents, que, dès 1980, la firme avait de sérieux doutes sur son produit phare….mais n’en a soufflé mot (Le Monde, 11 août 2018). Ils ont révélé que les produits à base de glyphosate n’ont pas fait l’objet de tests de cancérogénicité. Pour satisfaire les exigences de la réglementation, Monsanto n’a fait les tests que sur le principe actif seul, isolé. Or, tous les chimistes et tous les toxicologues savent que les mélanges posent des problèmes et sont souvent une « terra incognita » pour la science  car les formulations contiennent une multitude d’additifs (adjuvants) à côté du principe actif : produits mouillants, tensioactifs, anti-émulsions….Monsanto a essayé de « dézinguer » les expertises et de mettre à mal toutes les recherches incriminants ses produits.

En mars 2015, une agence de l’ONU basée à Lyon en France a placé le Roundup sur la liste des substances des substances probablement cancérigènes. Aux Etats Unis mêmes, le Roundup a été interdit en Californie car susceptible de provoquer des cancers. 

Cet herbicide a fait l’objet de vives polémiques clivantes notamment au sein de  l’Union Européenne qui a prolongé son usage de cinq ans seulement. L’Allemagne a beaucoup hésité avant de voter cette prolongation. Du coup, le gouvernement est divisé : la ministre de l’Environnement, Barbara Hendricks est vent debout contre la chancelière Mme Angela Merkel. Quant à la France, elle a pris une mesure « originale » : elle l’interdira dans  trois ans, en 2012 comme promis par M. Emmanuel Macron et M. Hulot, le ministre de la Transition écologique et solidaire,  a dû mettre de l’eau dans son vin. 

Le bien-être de l’humanité ou celui des actionnaires ?

Suite à la condamnation de Monsanto, Médiapart écrit : « La décision historique rendue par le tribunal de San Francisco contre Monsanto démontre que notre ministre de la transition écologique n'a pas le courage politique nécessaire pour bousculer l'ordre ou plutôt le désordre établi. Le seul résultat obtenu étant son interdiction dans un délai de trois ans. Trois ans, ça laisse le temps à Monsanto d'engranger encore quelques milliards de bénéfices. Mais en trois ans, combien de nouveaux cas de cancers seront diagnostiqués à cause de ce poison? Un bon paquet! Le rendement politique de Nicolas Hulot est donc clairement insuffisant voire inexistant. »

En France, Ségolène Royal et Nicolas Hulot ont salué ce verdict historique, le ministre français allant même jusqu’à parler de « l’impérialisme de Monsanto.»
M. Hulot devait déclarer à BFM TV : "Nous avons pris une première décision en France mais ce ne doit être que le début d'une guerre que nous devons mener tous ensemble pour réduire massivement les molécules les plus dangereuses". Si "on attend, les poisons auront fait leurs effets". "Qu'ils comprennent bien une bonne fois pour toutes qu'une entreprise comme Monsanto n'a en aucun cas comme volonté le bien-être de l'humanité mais simplement le bien-être de ses actionnaires". Qualifiant l'affaire Monsanto de "cas d'école du principe de précaution", - il ne s’agit pas d’attendre la preuve scientifique irréfutable de la nocivité du Roundup - il a rappelé qu'il ne s'agissait pas d'un combat contre les agriculteurs et les agricultrices mais pour eux.

Quid de la Tunisie ?

Nul n’ignore que notre pays est actuellement obnubilé par le débat sur le COLIBE et le prix du mouton de l’Aïd. Pourtant, la question des pesticides est aussi importante. Ces composés toxiques menacent nos concitoyens, agriculteurs et consommateurs réunis, les premiers lors de l’épandage des toxiques et les citoyens lors de la consommation des résidus de ces composés sur les fruits, les légumes, le pain…. Pour ne rien dire des effets sur les générations futures. Une plainte contre Monsanto  a été déposée par une femme qui a mis au monde un enfant handicapé suite à l’utilisation du Roundup  pendant sa grossesse.

Il est nécessaire et urgent que nos responsables de l’agriculture, de la santé, de l’environnement….prennent la mesure des dangers des pesticides et définissent une ligne de conduite qui tiennent compte de la santé des Tunisiens et  leur environnement. Les associations environnementales et leurs militants devraient se mobiliser pour cette cause avant  que le cancer ne prenne le dessus !

On notera enfin que si le Roundup et les formulations qui en contiennent étaient interdits chez les pays riches, méfions-nous ! Les marchés du Sud risquent alors d’être inondés par ces formulations.  Ne soyons pas les dindons de la farce. Interdisons-les immédiatement !

Mohamed Larbi Bouguerra

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