Opinions - 02.08.2018

Neila Charchour: De l’impératif d’une société civile organisée

Neila Charchour: De l’impératif d’une société civile organisée

Le fondement d’une République est la citoyenneté. Celle-ci  se traduit par des droits mais aussi par des devoirs afin que le peuple soit toujours souverain et maitre de toute situation.

Concernant les droits, il s’agit :

  • D’être juridiquement reconnu comme membre d’un Etat ayant un territoire clairement défini,
  • D’accéder au droit de propriété et au respect de ce droit,
  • D’accéder à l’égalité des droits quels que soient la race, la religion ou le genre,
  • D’accéder aux Droits de l’Homme  et à tous les droits civils et civiques.
  • D’accéder aux différentes libertés dont les libertés d’expression,de croyance et de conscience. 
  • D’accéder au droit à l’information,
  • D’accéder enfin à la démocratie qui permet le regroupement des citoyens afin d’assurer la redevabilité de l’Etat envers ses citoyens.

Concernant les devoirs, il s’agit

  • De payer ses impôts,
  • D’exercer ses droits politiques dont le vote qui est directement lié à la citoyenneté,
  • D’accomplir le service militaire même si dans beaucoup de pays ça se professionnalise,
  • De s’engager dans la société civile, pilier incontournable de toute démocratie naissante.

A l’aube de l’indépendance et de l’instauration de la République, le premier Président Habib Bourguiba s’était  surtout concentré sur les droits civils laissant les droits civiques se construire autour d’un parti unique. Ce dernier avait fusionné  tous les pouvoirset les tendances politiques de sorte que la citoyenneté avait été réduite à l’appartenance à l’un des différents clans politiques au sein du parti unique.

Rappelons-nousque la notion de République n'est pas la création de l'intellect tunisien. C'est une notion qui a été copiée sur l'occident, puis l’on a cherché à enraciner ses fondements en remontant à l’époque de Carthage qui avait connu la toute première République.  Mais comme  nous ne maitrisions pas notre Histoire, la notion de République demeura très vague dans l’esprit du citoyen tunisien.

Pour la plupart, le Président  est l’équivalent d’un Bey  mais qui ne pouvait  plus transmette son pouvoir par héritage à un membre de sa famille. Quant à la soumission du peuple, elle était dans l’ordre des choses, dans la culture musulmane du Tunisien.  C’est pour cela que l’on parlait de dictature éclairée concernant Bourguiba, puisque le peuple était dans sa large majorité soumis au pouvoir naturellement. On s’assura de faire taire le peu de voix dissidentes.

Les hommes politiques, quant à eux, tiraient leur légitimité exclusivement  de la personne de Bourguiba ou  au mieux de son parti. Il faut néanmoins reconnaitre à Bourguiba qu’il leur accordait une marge de manœuvre décisionnelle leur permettant d’acquérir del’aura et une certaine notoriété.

Après une courte expérience socialiste, Bourguiba avait vite compris que pour parler de démocratie, il fallait d’abord instruire les Tunisiens et ancrer graduellement les fondements d’une économie libérale susceptible de faire évoluer les mentalités vers la notion de citoyenneté.

Puis vient l’ère de Ben Ali. Ce dernier  n’avait retenu de la politique de Bourguiba que ses mauvais aspects. Ainsi, il fut tenté lui aussi par la présidence à vie. Il cloisonna le parti unique dans sa vision personnelle et le transforma en une grande machine électorale corrompue. Les seuls clans politiques se réduisirent à la famille présidentielle et ses ramifications de trafiquants qui ont touché tous les secteurs d’activités.  Le commerce parallèletolérépar l’Etat a créé une dualitéà la fois économique et sociale.L’éducation se dégrada jusqu’à atteindre la médiocrité.

La citoyenneté n’avait sa place que dans le discours présidentiel et dans la soumission au système. Les ministres étaient méconnus par le commun des citoyens. Des partis d’opposition de vitrine nourrissaient un semblant de démocratisation.

Seulement les Tunisiens finirent par s’éveiller à leurs droits. La corruption et l’injustice aidant, ils prirent sur eux de dégager  le vil dictateur grâce à un soulèvement  populaire spontanéet sans aucun leadership.

Depuis, dans la seconde République, la liberté d’expression et la liberté d’association et de rassemblement sont acquises.  Sauf que nous sommes encore très loin de nos attentes et de nos revendications à une vie meilleure.

En effet nous en sommes seulement aux  premiers balbutiements de la démocratie  avec des acteurs du siècle dernier qui n’ont connu que la dictature. Tous les Partis sont à l’image du RCD ou au mieux du PSD et ne sont que des machines électorales au service exclusif de leurs fondateurs. Certains sont à la tête de leur parti depuis des décennies  sans aucune alternance et prétendent vouloir instaurer la démocratie.

La nouvelle constitution est globalement correcte  même si elle a démontré ses limites sur quelques aspects notamment concernant la loi électorale et le mode de gouvernance. La légitimité des élus est réduite à son minimum engendrant des gouvernements très faibles.

Tout cela a ouvert à l’UGTTqui a dévié de sa vocation première de syndicat de travailleurs, pour s’immiscer dans la vie politique. Il est vrai que c’est l’UGTT qui a su canaliser toute l’énergie du sit in du Bardo vers un Dialogue National mais Dieu merci, à Stockholm le Prix Nobel de la Paix fut accordé à l’ensemble de la société civile à travers les quelques institutions civiles que nous avons. Le fameux quartet. Personnellement,  le message de Stockholm me semble très clair : « Société civile organisez-vous ! »

Aujourd’hui,le pouvoir est partagé entre beaucoup de personnes. Chacune cherche à délimiter son territoire et à augmenter ses prérogatives. 

Seul le peuple souverain reste spectateur et subit les différentes dérives d’autant  que nous n’avons pas encore une Cour Constitutionnelle ni une justice totalement indépendante. De là découle l’impératif, pour la pérennité notre transition démocratique, de construire une société civile capable d’influer pacifiquement sur la scène politique et d’assurer l’irréversibilité de notre transition démocratique.

En conclusion, la nouveautéd’après le 14 Janvier réside dans la maturité citoyenne du Tunisien.Le mouvementTunisie en Avant, qui n’est pas un parti, compte sur le bon vouloir et la confiance du Tunisien en lui-même  pour faire en sorte que le pouvoir demeure entre ses mains et qu’il soit maitre de son destin. 

Neila Charchour