Opinions - 31.07.2018

Taoufik Habaieb: la Tunisie en proie à l’essoufflement…

Taoufik Habaieb: la Tunisie en proie à l’essoufflement…

Leur date de validité politique a-t-elle expiré? Le gouvernement, comme l’Assemblée des représentants du peuple, montre des signes manifestes d’essoufflement. Le premier, contesté par son parti d’origine, dénoncé par l’Ugtt et harcelé par Carthage, rechigne à solliciter un vote de confiance. La seconde, encore plus fragmentée, gérant la fin de mandat et lorgnat le prochain scrutin, renonce à son droit de motion de censure. Tous deux comptent les voix. En face, les Tunisiens comptent les coups, subissant, la mort dans l’âme, tant d’abus, d’insouciance, d’inconscience.

Ça n’arrive qu’en Tunisie. Chacun tire dans son sens, ne pense qu’à Carthage ou à empêcher un adversaire d’y parvenir, dynamitant sa rampe de lancement. Au lieu de s’additionner, les volontés se soustraient. Dans ce jeu de massacre qui n’épargne personne et éclabousse tous, les affrontements seront encore plus meurtriers d’ici fin 2019, ultime échéance électorale pour le Bardo et pour Carthage. Plus tard encore en fait, puisque c’est en février 2020 seulement que le gouvernement issu de la nouvelle majorité entrera en fonction.

C’est parti au moins pour le premier semestre 2020. Né des contingences d’une coalition majoritaire sans se prémunir contre les ministres parachutés en dernière minute, et loin de disposer déjà d’un véritable programme commun à mettre en œuvre immédiatement, il faudra attendre encore quelques mois pour que chacun découvre les arcanes de son ministère. Et que tous apprennent à travailler effectivement et ensemble. Au Bardo aussi, les députés sont dans l’imprégnation, devant évacuer une série de projets, de propositions et d’initiatives de lois en souffrance.

Est-ce le lot de la Tunisie ? Subir, pendant pas moins d’un an et demi, un climat politique délétère et s’armer de patience pour supporter stoïquement tant de souffrances et de manquements. Dans ce long intermède qui bloque l’Etat, les voies de l’aventure sont toutes ouvertes. Risques sécuritaires, dégradation économique et financière, blocage des réformes, contestation sociale, montée des extrémismes, ancrage du désenchantement, menaces sur la laïcité et la démocratie et désintérêt des amis et des bailleurs de fonds : la totale!

Rien, surtout, n’est pour autant garanti! Les Tunisiens risquent de se réveiller sur le vieux cantique ‘’on prend les mêmes et on recommence’’. Les discours seront plus charmeurs, les promesses plus alléchantes, des têtes peuvent changer, mais en définitive, les pratiques demeureront les mêmes.

Avancer les législatives au printemps 2019, entre mars et avril, est-ce la solution? L’idée fait discrètement son chemin. Ses défenseurs avancent comme arguments le gâchis à épargner et le temps à gagner. Le gâchis d’une campagne électorale déjà engagée qui, durant au moins les 16 prochains mois, mobilisera la classe politique, démobilisera l’administration publique et épuisera l’opinion publique. Le gain, c’est celui du temps et des énergies. Fort de sa majorité parlementaire, le nouveau gouvernement pourra ainsi s’atteler d’emblée à la tâche, préparer lui-même la loi de finances de 2020, débloquer les textes de loi en souffrance, et s’affirmer en interlocuteur valable face aux bailleurs de fonds. L’électrochoc provoqué sera bénéfique.

L’élection présidentielle ne présentant pas la même urgence peut être maintenue à sa date habituelle. Avec les nouvelles attributions constitutionnelles dévolues au locataire de Carthage, le scrutin présidentiel interviendra alors dans un climat apaisé.

Les partis ne sont pas prêts! Le camp des démocrates modernistes est encore éparpillé ! Ennahdha, plus structuré, risque de creuser davantage l’écart et de l’emporter! Les députés actuels ne voteront jamais l’amputation du reste de leur mandat. S’ils l’acceptaient, ils exigeraient de recevoir intégralement leurs indemnités! Les arguments des récalcitrants à cette proposition ne manquent pas. Les discussions, très discrètes entre états-majors, ne se braquent pas sur cette unique possibilité. Impérativement, le code électoral est à revoir.

En ces temps de désordre moral et politique, d’invectives entre bad boys, le retour de la sérénité et de la grandeur d’âme est l’unique voie salutaire. Tétanisés de voir un jour le pouvoir ramassé par des rapaces, les Tunisiens se refusent de broyer du noir. Ils continuent à croire… à l’impossible. Qui finira par s’accomplir.

Taoufik Habaieb