News - 07.06.2018

Moncef Zouari: La Franchise de Hedi Baccouche

Moncef  Zouari: La Franchise de Hedi Baccouche

La récente publication par Hedi Baccouche de ses «mémoires» ressemble fort à un recueil de confessions… Celui qui cherchait à se rapprocher de Bourguiba pour faire partie de son cercle proche a finalement raconté «en toute franchise» ses efforts, ses prestations et avoué ses échecs. En expliquant le plus souvent implicitement certaines erreurs ou échecs de Bourguiba, ce sont les siens qu’il a en fait mis en lumière.

La succession des échecs est impressionnante. Le militant Destourien, se placera dès le début et tout au long de sa carrière, dans la position de Second ou de l’Influent. Il attend le moment où celui-ci commettrait une imprudence, une erreur, pour lui expliquer comment il aurait dû procéder.

Il lui fallait pour réaliser ses ambitions, faire partie du cercle étroit des collaborateurs du « Combattant suprême ». Il ne réussira pas. A défaut, il cherchera à s’en approcher et à s’allier à l’homme le plus fort dans ce cercle. Ce sera une constante dans sa carrière. Ce sera en fait, son « échec permanent ».

Aussi, et si les réformes modernistes ne soulevaient pas de problèmes majeurs pour Bourguiba, qui était quoi que l’on dise, à l’aise pour les mener à terme, c’est dans son parcours pour le développement économique qu’il avait besoin d’expertise.

Le Système Coopératif fut proposé, sous couvert de l’UGTT, et de son éloquent Secrétaire Général Ahmed Ben Salah qui a réussi à embobiner Bourguiba. Le Congrès de Bizerte du Parti Socialiste Destourien, l’adoptera à côté des secteurs privé et public. Ahmed Ben Salah est désormais l’homme fort du régime. Hedi Baccouche sera son proche conseiller, et parmi ses lieutenants sur le terrain notamment comme gouverneur à Sfax.

Mais ses conseils n’étaient pas de se limiter à l’application des résolutions du Congrès, ni de freiner la généralisation forcée du système coopératif. Pas même lorsque des grincements commençaient à se faire entendre, pour dire que spolier les citoyens de leurs biens en les intégrant malgré eux, dans des coopératives (soi disant pour que le pays aille mieux) n’était pas légitime.

Des commerçants, opprimés et déprimés, dont mon père, ont perdu la vie en voyant leurs commerces « noyés » dans des coopératives hors de leurs contrôles. Du jour au lendemain, il se trouvait salarié dans une entité dans laquelle il ne se reconnaissait pas. Délaissant le Commerce, il vit dans l’agriculture, un refuge pour son esprit d’initiative pensant que ce secteur restera en dehors du système coopératif. Hélas, quand la décision de l’y inclure a eu un début d’application, ce fut la fin pour lui comme pour beaucoup d’autres à travers le pays.

Des agriculteurs ont dû mener leur bétail à l’abattoir ou l’ont vendu à des prix dérisoires espérant sauver ce qui pouvait l’être…

L’on n’entendra point Hedi Baccouche tirer la sonnette d’alarme. Ni de rappeler que le congrès de Bizerte n’avait pas prévu ni recommandé cette généralisation brutale…ni de proposer une pause pour évaluer les réalisations et proposer une démarche qui tienne compte des réactions et des doléances des intéressés…L’on ne trouvera nulle trace d’un avis ou d’une simple allusion de Hedi Baccouche dans ce sens. Bien au contraire il était parmi les farouches exécutants du projet. La mascarade sera poussée par quelques-uns jusqu’à la simulation de l’existence d’un puits qui aurait permis l’irrigation d’arbres fruitiers… grâce à une coopérative, et inviter Bourguiba et Ben Salah pour l’inaugurer, avec à l’appui des fruits et des légumes sur l’étalage !!

A aucun moment d’ailleurs, l’on n’entendra Hedi Baccouche procéder à une analyse critique de l’échec de l’expérience tunisienne de collectivisation, ni regretter son caractère chimérique. Il n’a pas relevé que le système coopératif était peut-être un mode d’organisation économique propre aux pays développés où des opérateurs économiques pourraient trouver l’intérêt et l’opportunité de s’organiser en coopérative…

Le conte raconté par Bourguiba, plus tard, concernant l’échec de la coopérative créée par trois meuniers pour le transport des grains et de la semoule de leurs clients, par un seul baudet, opérant à tour de rôle pour chacun d’eux, est un conte bien connu qui remonte aux Mongols !!! Ahmed Ben Salah et Hedi Baccouche ne pouvaient pas l’ignorer… Aucun pays n’a adopté le système coopératif, d’une manière aussi générale et brutale, aucun.

Avec le système coopératif, j’ai perdu mon père. Ni les explications de Hedi Baccouche ni celles de Ben Salah n’y feront rien ! Mais c’est aussi la Tunisie qui a perdu la possibilité de recourir aujourd’hui au système coopératif notamment pour mettre au travail des jeunes dans l’agriculture sur les terres domaniales !!!

Hedi Baccouche voulait apporter à Ben Salah et à Bourguiba une contribution efficace et sans faille. Ce fut en tout cas son « deuxième échec ». Il prétendra que c’est à cause d’une intervention de Wassila Bourguiba qu’il était aux côtés de Ben Salah devant le juge… Il n’a même pas eu le courage de reconnaître ses positions.

Si Ben Salah avait réussi, Hedi Baccouche aurait été propulsé plus haut. Ce sera peut-être possible avec Hedi Nouira… (Il l'appellera comme conseiller politique). Nous retrouverons par conséquent notre «Héros socialiste» aux côtés de Hedi Nouira « l’économiste libéral ». Quel grand écart !Subhan Allah ! Mais aucune éclaircie politique n’apparaîtra… Un autre échec.

Le Coup d’État «médical» de 1987 écartant Bourguiba sera ainsi l’aboutissement de l’action politique de Hedi Baccouche. La fonction de Premier Ministre lui est enfin confiée. Il n’est pas loin du but ultime.

Des élections législatives sont organisées. Des pourparlers sont menés avec Ahmed Mestri Président du MDS et chef de l’opposition…

Ils ne se mettront pas d’accord. Peu importe et on continue comme avant…

Encore un échec. Cette fois, il en assumera les conséquences puisque peu de temps après, les élections anticipées, qui devaient engager une ouverture et s’étant soldées par une assemblée RCD monocolore, Ben Ali se séparera de lui. Aucune ouverture politique alors n’aura vu le jour malgré les espérances légitimes.

On retrouvera Hedi Baccouche à la Kasbah au lendemain de la révolution du 14 Janvier, cherchant à conseiller Mohamed Ghannouchi… On aura du mal à le persuader de ne plus chercher à conseiller… Puis, n’ayant pas pu accéder à la tête de la deuxième Assemblée à la place de Abdallah Kallel, il choisira de quitter définitivement la scène politique.

Hedi Baccouche mettra près de trente ans pour présenter ses mémoires. Mais on est bien en peine de déceler une quelconque performance politique ou économique dans sa carrière.

Pour ma part, son nom reste lié à la perte tragique de mon père (un certain 14 Janvier 1969 suite à une crise cardiaque à 52 ans) et de ceux que l’on voulait comme lui « Coopérants malgré eux ».

Aussi, le ratage des élections de 1989 a causé un préjudice énorme au Pays. Après l’enthousiasme général avant ces élections, ce fut le désenchantement total. Cela a empêché le pays d’emprunter la voie de l’ouverture politique et de l’apprentissage de la démocratie, qui nous ont cruellement manqué depuis et durant toutes ces dernières années.

Moncef  Zouari
 

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