News - 18.04.2018

Houcine Jaïdi: Ces grands sites archéologiques qui sont (presque) fermés au public en Tunisie

Ces grands sites archéologiques qui sont (presque) fermés au public

Le visiteur qui dépasse l’accueil du site, commence à peine à découvrir les vestiges archéologiques que son regard est attiré par des cordes usées, attachées tant bien que mal aux vieilles pierres et à des barres de fer rouillées. Puis il découvre les nombreux étais métalliques qui soutiennent la partie haute des vestiges d’un monument imposant. En avançant encore, il se rend compte que des monuments majeurs qui comptent parmi les fleurons du site sont rendus inaccessibles (ou soi-disant) par de simples bouts de ficelles.

Cela se passe tout près des centres de décision

Cette description ne concerne pas un site archéologique tunisien mineur, situé au fin fond du pays. Il s’agit de Thuburbo Majus (Henchir Kasbat) qui compte parmi les sites archéologiques tunisiens  les plus connus et les plus fréquentés depuis plus d’un siècle. Fouillé, pour l’essentiel dans les années 1910-1937, il présente plus d’une originalité : le podium et la colonnade de son capitole sont parmi les plus monumentaux de Tunisie ; son forum, atypique de par sa forme presque carrée est l’un des plus vastes du pays ; ses trois espaces commerciaux formant un ‘’complexe commercial’’ n’ont pas d’équivalent dans tout le pays ; le portique circulaire de son temple de Mercure est très original ; les blocs plâtres qui servent de harpes de chaînage dans les murs et la polychromie de ses constructions sont très particuliers ; sa palestre est sans nul pareil, ses nombreux temples de type ’’oriental’’ (sans podium) ou à podium et cour fermée sont parmi les représentatifs du genre ; les vestiges des escaliers de son temple de Saturne, même fortement dégradés, suggèrent une monumentalité remarquable …. Les portes de la cité donnent une idée de son extension urbaine, évaluée à une quarantaine hectares, pour l’époque romaine.

Au total, le visiteur, devrait, en moins de deux heures, se faire une bonne idée de l’aménagement et de l’évolution d’une ville antique tunisienne aux fortes traditions préromaines au niveau de l’architecture religieuse surtout et qui s’est romanisée rapidement pour mériter au IIe siècle après Jésus-Christ la promotion au rang de municipe puis de colonie romaine. Si les vestiges préromains sont pratiquement invisibles, c’est parce que l’exploration du site est loin d’être achevée ; à peine un cinquième du périmètre urbain a été fouillé, sans compter les nécropoles, situées certainement au-delà des portes.
Mais, en réalité, depuis plusieurs années, la visite du site ne peut être que partielle  car d’innombrables bouts de ficelles barrent l’accès au podium du capitole, aux espaces du marché, à la maison de Neptune, au thermes d’été et au thermes d’hiver. Le visiteur est pris d’inquiétude quand il s’approche de la colonnade majestueuse du portique sud-est de palestre des Petronii soutenue laborieusement par un échafaudage métallique. Tous ces espaces lui sont interdits par des moyens, certes de fortune, mais non moins salutaires car des monuments menacent de s’écrouler alors que d’autres souffrent visiblement de l’instabilité de leur sol.

Aux multiples interdictions d’accès s’ajoutent les herbes folles qui envahissent tous les espaces, la fermeture de la cafétéria prévue dans le bâtiment  d’accueil construit, il y a quelques années, et l’indigence criarde de ce qui est présenté comme une ‘’boutique’’. Cette dernière ne peut pas proposer à la vente le seul guide existant pour le site puisque cette publication de la défunte STD, qui date de 1968, est épuisée depuis plusieurs décennies. Les multiples erreurs que comprennent les panneaux qui présentent le site, à l’entrée, finissent par révolter les visiteurs les plus indulgents (petit album photos).

Y a-t-il un pilote dans l’avion ?

Ainsi, à une soixantaine de kilomètres de la capitale et pas loin de la grande zone touristique de Nabeul-Hammamet, un site archéologique majeur dément, à lui seul, tous les discours qui se plaisent dans le ‘’façadisme’’, pour reprendre la métaphore de l’ethnologue  Habib Saïdi, promettent monts et merveilles en matière de patrimoine et de tourisme culturel et ne rassurent personne.

Il y a quelques années, une thèse de doctorat en sciences du Patrimoine, soutenue brillamment à l’Université de Tunis, a fourni un projet complet pour la mise en valeur du site de Thuburbo Majus. Il suffirait d’appliquer ce projet à la lettre (ou presque) pour que les bus et les voitures des touristes redeviennent aussi nombreux qu’ils l’étaient, il y a quarante ans, sur le parking du site.
Pour la Journée internationale pour les Monuments et les Sites 2018, célébrée le 18 courant, le Conseil international des Monuments et des Sites, qui relève de l’UNESCO, a choisi  comme thème ‘’Le patrimoine pour les générations’’. La Tunisie, qui n’a pas su valoriser son patrimoine pour en faire un levier de développement, réussira-telle, au moins, à le transmettre  sans dégradation aux générations futures ?

Il y a près de 30 ans, des décideurs tunisiens tout-puissants ont fait du 18 avril le début du ‘’Mois du Patrimoine’’ dont le programme propagandiste mais terne passerait inaperçu si ce n’était l’inventivité remarquable du monde associatif. Pour cette année,  un conseil des ministres qui se tiendrait dans le courant du ‘’Mois du Patrimoine’’,  serait fortement applaudi s’il réussissait à sortir de la léthargie et du ridicule un seul site archéologique de renom tel que Thuburbo Majus. Si par miracle, nos décideurs s’avisaient d’ouvrir sérieusement le dossier du patrimoine culturel dans tous ses aspects dans le cadre d’un vrai débat de société, il seraient portés aux nues par tous les amoureux du patrimoine qui souffrent de voir des richesses incommensurables victimes de l’incurie. Même a minima, une décision palpable en faveur du patrimoine, en ces quatre prochaines semaines censées être fastes pour ce secteur, serait une manière honorable  de fêter le 60e anniversaire de l’Institut national du Patrimoine (créé en mars 1957) et le 30e anniversaire de l’Agence de Mise en Valeur du Patrimoine et de Promotion Culturelle (créée en février 1988), passés, curieusement, sous silence, jusqu’ici.    

Houcine Jaïdi
Professeur d’histoire ancienne à l’Université de Tunis  

 

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