Opinions - 16.04.2018

Mohamed Salah Ben Ammar: La santé…un bien commun !

Mohamed Salah Ben Ammar: La santé…un bien commun !

A l’heure où l’on nous annonce pour les jours prochains un nième conseil des ministres consacré à la santé, la descente aux enfers semble ne jamais devoir s’arrêter ! Les crises se suivent et se ressemblent.

Les décisions prises depuis 30 ans ont été pour la plupart aussi inefficaces que couteuses car les problèmes ont tous les mêmes racines. Les incohérences de notre système de santé. Elles sont à l’origine de maux chroniques comme la gouvernance chaotique qui caractérise nos structures, la corruption aux formes multiples et toujours renouvelées qui nous mine, l’absence de redevabilité envers les soignants à l’origine de nombreuses démotivations…pour ne citer que quelques causes du problème, les plus visibles.

Notre santé s’est construite après l’indépendance de façon empirique, volontariste, par des hommes et de femmes engagés qui lui ont dédié leur vie. Un hommage doit leur être rendu, c’est indéniable ils ont réussi la première étape.

Aujourd’hui une mise à plat du mode de gestion est nécessaire. Sans laquelle la dérive persistera.

Revenir aux fondamentaux. La santé est l’affaire de tous. Et pour ce faire commençons par mettre fin à la politique des silos entre les ministères en charge de près ou de loin des questions de santé. Le ministère de la santé a trop longtemps été isolé et ciblé injustement.

Les programmes de santé efficaces ont permis à notre pays de gagner les batailles contre des fléaux qui sévissent encore dans plusieurs autres pays voisins. Plusieurs générations de soignants de qualité mondialement reconnue ont été formées dans nos écoles de santé et universités. Il est de bon ton de magnifier le passé, mais ceux qui ont connu l’hôpital dans les années 70 et même plus tard savent que si la bonne volonté y était, les conditions de travail étaient difficiles. Naturellement les exigences des citoyens ont évolué. Les décisions centralisées top down ont trop duré (Dialogue Sociétal).
Aujourd’hui nous constatons que notre système de gestion de la santé a atteint ses limites. Il est devenu archaïque. La numérisation pouvait nous faire gagner en efficience et en qualité, elle a été initiée en 1991 grâce un crédit de la banque mondiale. Elle n’a pour ainsi dire jamais vu le jour.

Les décisions sont trop centralisées dans un ministère dont l’organigramme pourtant pléthorique ne répond plus aux besoins. A Bab Saadoun, au siège du ministère, il n’est pas rare de trouver trois ou quatre cadres dans un bureau de 12 m2. Les dossiers sont éparpillés à même le sol. Plusieurs directions du ministère sont éparpillées dans des quartiers de la capitale. A l’échelle régionale les incohérences ne sont pas moindres et les solutions apportées aux crises successives l’ont rendu ingérable.

Des écarts inacceptables se sont créés, nous avons une santé à deux ou trois vitesses. Il fut un temps pas si lointain où le président Bourguiba et ses ministres se faisaient soigner dans les hôpitaux publics !
En vrac, l’explosion du système de santé privé dans les années 90, l’attribution de ce qui était destiné à être le nouvel Habib Thameur à l’armée, la création d’organismes de santé dédiés exclusivement à certains corps de l’Etat, la pléthores  de spécialités créées dans la précipitation, la mise en place et le maintien de l’activité privée complémentaire (APC) et cerise sur le gâteau la mise en place à la hussarde de la CNAM ont répondu parfois des besoins urgents ou à des lobbys mais ces solutions ont été plus nocives que bénéfiques, car même si parfois l’intention était bonne, rien n’était planifié. 
Pourtant les maux qui nous rongent actuellement étaient déjà là.

Reformer ou durer disait un ministre de Ben Ali, il a préféré durer. Aujourd’hui nous payons le prix de l’immobilisme qui a caractérisé les années 1990 – 2010 où nous nous sommes gargarisés d’autosatisfactions et de médailles internationales attribuées au dictateur. Faute de courage politique la situation est devenue critique.

Actuellement nos hôpitaux sont gérés par une réforme avortée, celle des EPS de 1991, ils croulent sous les dettes. Toutes les incohérences de cette réforme inachevée ont été mises à nu par la liberté de parole récemment acquise.

Il fut un temps où tout le monde de la santé se connaissait dans le secteur, ce n’est plus le cas, on ne gère pas une corporation de quelques centaines de personnes comme on gère 100 000 personnes. La gestion des ressources humaines en matière de santé a été laissée au hasard des circonstances, la reconnaissance du mérite ou de la compétence sont aléatoires. Les grèves, les manifestations de mécontentements, les convictions des ministres ont guidé la création de structures ou de services, la majoration de salaires ou de primes, l’affectation de personnel…

Le financement de notre santé est totalement décalé par rapport à la réalité (voir article de Mme Ayadi dans Leaders du 10 / 04 / 18 ; Sauvons le soldat Pharmacie centrale de Tunisie). Le système d’assurance maladie mis en place est au mieux un énorme mensonge. Le prépaiement qui réduit l’obligation de payer les services de santé au moment où ils sont dispensés est loin d’être la règle. La protection financière des citoyens des dépenses de santé catastrophiques n’est pas assurée.  Car rappelons-le, la santé dans un pays démocratique doit être une et indivisible. C’est un bien commun tout comme l’éducation.
Elle peut s’exercer dans le privé ou dans le public ceux qui ne l’ont pas intégré ont une bataille de retard. Parce qu’elle concerne toute la société, parce qu’elle doit être un outil d’équité et de cohésion sociales, les responsables politiques doivent travailler en permanence pour en faire système unique qui obéit aux mêmes règles, nonobstant son mode ou son lieu d’exercice. Il ne doit y avoir ni rivalités, ni opposition des modes de pratique mais une complémentarité planifiée et transparente, rigoureusement contrôlée ; c’est possible à l’ère du tout numérique. Ceci est aussi vrai pour les moyens matériels utilisés que pour les ressources humaines. Bâtir un système de santé unique, performant, efficient, équitable qui ne divise pas et qui répond aussi bien aux besoins de tous, des régions côtières que les régions de l’intérieur, des populations vulnérables, des minorités voilà ce qu’il faut atteindre.

Abattre les cloisons entre le privé et le public, sans livrer le secteur public au privé.

Une chimère ? Plus facile à dire qu’à faire ? Un choix risqué ? Pas tant que ça !
Les pays qui ont les meilleurs résultats en santé n’ont pas fait autre chose. Ce système unique n’est pas une utopie.

C’est la seule façon de moraliser le secteur et de lutter contre les écarts de pratiques, réduire les écarts de rémunération inacceptables qui existent entre deux professionnels de santé qui font le même travail…Et nous n’allons pas réinventer la roue. Inspirons-nous des expériences réussies à travers le monde.

Un système de santé unique ne pourra pas tolérer que le privé soit uniquement dédié au curatif par exemple ! Le préventif, la promotion de la santé, la réadaption sont indissociables du curatif. Abattre les cloisons suppose un rééquilibrage et des mécanismes de contrôle au-dessus de tout soupçon.

Comment expliquer que les remboursements de la CNAM envers le privé soient plus importants que ceux vers le public qui pourtant soigne deux fois plus de malades ? L’infrastructure et le matériel ? Oui mais pas seulement. Aujourd’hui 80% des équipements lourds se trouvent dans le secteur privé qui pourtant ne prend en charge que 25% de la population ! Ce parc est souvent bien mieux exploité que celui du secteur public et fréquemment par des agents du secteur public.

La politique ne fait pas bon ménage avec la santé. Les promesses de construction de nouvelles structures alors que les anciennes tombent en ruine, ne répondent à aucune logique si ce n’est à la facilité. Construire, inaugurer fait plaisir mais… (Leaders le 02 / 02 :18 ; Dr S. Sellami ; Nouveaux hôpitaux, nouvelles cliniques : les fausses pistes de la politique de santé en Tunisie)

L'institution de la médecine de famille offre une opportunité unique. Nous ne devons pas rater ce virage. Rappelons au passage que la réforme des études médicales tant décriée n’était pas seulement académique loin de là (Dr M.A Chehida. Le Malentendu. Leaders du 05 /04 /18). Un chiffre parlant, 70% des centres de santé de base ouvrent moins de deux jours par semaine, ils sont dans un état de délabrement indescriptible. C’est pourtant dans ces structures que l’essentiel doit se passer. L’éducation sanitaire est une autre priorité. La lutte contre le tabagisme, la détection précoce des cancers, la lutte contre le surpoids, la détection et le suivi des maladies chroniques comme le diabète sont le pilier de la réussite de toute réforme en santé. Elles doivent être assurées par les médecins de famille.
Ce système doit pouvoir assurer un développement professionnel continu à tous les acteurs sans distinction, c’est un droit et une obligation.
Réussir une réforme de la santé en profondeur nécessite une volonté politique clairement exprimée que le technique met en pratique. Chacun dans son rôle.

Mohamed Salah Ben Ammar
Médecin
 

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