News - 20.03.2018

Tunisie 2011- 2018: l’esthétique du discours politico économique

Tunisie 2011- 2018: l’esthétique du discours politico économique

"Point de religion ni de science sans esthétique" Khalil Gibran

Khalil Gibran était un immense poète et artiste peintre libano-américain du vingtième Siècle.

Ses citations sont nombreuses, et font le délice de tous ceux qui aiment la culture belle et légère qui se comprend, nourrit l’esprit avec cette forme de légèreté et d’élégance qu’ont toujours eu les arabes d’Orient et principalement ceux du Liban.

Il considérait que l’esthétique n’est pas uniquement un art mais un besoin, un moyen de faire qu’une conversation, un débat, un discours,  soient audibles, pénétrant l’esprit des gens et influençant positivement leur comportement.

C’est justement de cet art de la parole que le discours politico économique a besoin dans notre cher pays.

Le pays souffre d’une descente vertigineuse de nos paramètres financiers et nous ne voyons pas ce qui peut mettre un terme à leur chute abyssale: production en berne, balance des paiements en déficit grandissant, chômage et secteur informel en progression ininterrompue, crimes, vols, et corruptions, au firmament.

Jusqu’ou s’arrêtera cette maudite tendance au suicide de notre si belle nation ?

Et que faire pour mettre un terme à la dégringolade malheureuse de notre économie, de nos finances, et de notre bien être social ?

La réponse se trouve dans nos comportements, de ceux surtout de l’élite politico-économique de notre pays, qui est malheureusement en panne d’idées et de vertus pour électrifier nos citoyens, leur donner le  "goût  du challenge" et la force d’agir sur leur destin.

Sortir de l’obscurité comportementale

Depuis plus d’une décennie, comme partout ailleurs les médias, audiovisuels surtout, triomphent partout dans le monde.

Ce miroir grossissant, de nos vertus et de nos péchés, nous fait découvrir un monde incroyablement féroce, y compris dans notre pays, de différents ensembles, celui des faiseurs d’opinion  en général, avec principalement les stars de la politique, des médias et  de  toutes les autres disciplines confondues.

Les programmes sportifs font recette, le citoyen lambda raffole des compétitions, des triomphes et des échecs surtout quand il s’agit d’échanges pugilistiques, qui font couler le sang, et mettre KO, ceux qui sont les moins biens préparés aux joutes oratoires, le summum de l’offensive à outrance.

Les médias adorent ces combats d’un genre nouveau, et ils ne sont pas les seuls. Les téléspectateurs le sont aussi, à la condition qu’on leur offre un spectacle de premier ordre, hurlant, dégoulinant, sans peur et sans reproche.

Quand c’est épicé l’audimat explose, pour le plaisir des uns et des autres !

Néanmoins ces combats de coqs aussi spectaculaires soient ils, laissent en fin de compte des traces de sang, bien plus que des souvenirs heureux, en raison de la litanie de discours inégaux, d’échanges souvent au "dessous de la ceinture" , de mauvaise foi souvent évidente et de l’importance de l’enjeu qui rend les protagonistes assoiffés de victoire à n’importe quel prix.

Ces derniers oublient que leurs échanges se déroulent devant des millions de personnes assoiffées de vérités sur l’avenir du pays, de leurs enfants, et des générations à venir.

Le plus paradoxal  dans tout cela est que dans ces diatribes éculées, le citoyen se complait dans ces échanges pugilistiques, mais se désole de leur  contenu politique, et de leur niveau intellectuel.

Les médias font ce qu’ils peuvent pour élever le niveau des échanges. Mais le peuvent ils, quand les intervenants politiques viennent avec l’objectif simple de faire vivre leur message et rien d’autre, et de gagner un morceau du combat électoral ?

Le discours politico économique est un message et une promesse

Les hommes politiques ignorent peut être, que l’idée que les auditeurs et téléspectateurs se font de leurs discours est qu’ils sont la main armée d’un combat de plateau, et non une pédagogie de leur action.

Ils ne mesurent pas à quel niveau de déception ils laissent leurs sympathisants attentifs, et de confirmation de leur rejet par leurs opposants.

Ils ne s’imaginent pas le fossé qu’ils créent entre eux et l’électeur lambda, qui se détourne d’eux progressivement, y compris dans les grandes élections où le pourcentage d’abstentionnistes culmine à des niveaux élevés.

Cet électeur est fatigué des querelles intestines, entre des supposés membres des cercles fermés des élites.

Il se demande si ces dernières existent encore en nombre, au vu de leur nombrilisme affiché, et de la qualité discutable de leur contribution à l’essor, tout au moins intellectuel, du pays.

Il ne croit plus désormais à leurs promesses et à l’authenticité de leur message, bon pour les autres, inapplicable pour eux-mêmes.

Il risque de basculer prochainement, oui bientôt, à la croyance regrettable dans le "tous pourris".

Les Tunisiens pour une grande part d’entre eux sont des gens pétris de culture, ils ont eu connaissance des discours enflammés de Churchill,  De Gaulle, Pompidou,  Mendes France et François Mitterrand.

Et dans notre belle langue, de Nasser et Habib Bourguiba, un orateur hors pair, au contenu social et politique du discours époustouflant.

Ils se retrouvent avec des échangeurs de paroles, d’admonestations, et de tireurs de couvertures à soi, sans grand éclat.

Ils regardent les échanges, regardent, regardent, car il faut bien tuer le temps, et en sortent souvent très désabusés.

Et pourtant leur attente  est toute autre, ils veulent comprendre par une pédagogie simple, élégante et honnête comment le pays qui est dans la panade pourrait s’en sortir.

Parler en adulte a des citoyens qui le sont

Les problèmes de notre pays sont nombreux et difficiles à résoudre dans l’immédiat. Tous nos concitoyens  ont appris à le comprendre.

Et où qu’ils sont,  nous ne pouvons plus les berner d’illusions.

Il y a lieu de se demander dans les cercles de nos gouvernants, et de leurs opposants s’il n’est pas plus crédible de leur tenir un discours de raison et de vérité.

Rappelons-nous Churchill juste au moment où il venait d’être nommé Premier ministre en 1940 : "Je n'ai à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur ".

C’était au moment  de la seconde guerre mondiale, finalement gagnée par les alliés au milieu desquels figurait en premier lieu Churchill et ses hommes.

Le discours politique en Tunisie est hélas tout le contraire de cette exigence.

Nos hommes politique, membres des partis au pouvoir, et de ceux de l’opposition se livrent quotidiennement, sur les ondes des radios, et sur les plateaux télévisés, à des échanges d’un niveau pas très reluisant : déballage de critiques à l’encontre des partis concurrents, et absence de propositions concrètes, en contrepartie.

Il en résulte, généralement des oppositions musclées et force décibels, mais point de clarté dans les échanges, et seulement un mauvais exemple donné aux téléspectateurs, que le dialogue au sein de la classe politique ne peut être qu’un échange verbal qui ne cherche qu’à abaisser l’autre, à le violenter à l’achever

Le personnel politique et les médias, oublient souvent leur rôle éducatif et ne pensent qu’à l’espoir d’engranger un succès immédiat.

Ils sortent l’armement lourd, qui ne cherche que l’abaissement de l’autre, alors qu’il est souvent plus payant d’user de pédagogie, en haussant le niveau des débats.

Cet armement lourd c’est bien la traduction de l’inesthétique du discours politico économique, qui accapare notre écoute à tous, et qui nous remplit de regrets et de déceptions.

C’est un mauvais exemple donné à notre peuple, de toutes les obédiences et tranches d’âges, qui  alimente les oppositions stériles, et qui paralyse le vrai travail de terrain, qui ne peut s’entreprendre que dans la tranquillité et l’harmonie entre toutes les forces vives du pays.

Conclusion

Le parler et l’écrit sont un art, celui de construire ou a contrario de détruire.

Bourguiba, De Gaulle, Kennedy, Mitterrand, et bien d’autres hommes politiques, ont utilisé leur art oratoire, pour arriver au sommet de l’Etat.

Leurs discours étaient des morceaux d’anthologie, qui faisaient que forme et fond s’accouplaient pour  convaincre.

Aujourd’hui, dans notre pays Bourguiba n’est plus, et derrière lui, à l’exception de notre  actuel Président de la République, c’est le désert oratoire.

Mais ce n’est pas le désert politique, c’est plutôt le trop plein.

Tout le monde s’essaye à la course d’obstacles, qui devrait mener qui au parlement et qui au pouvoir suprême.

Course, semée d’embuches et surtout d’excès en tous genres, que la petite lucarne phénomène incontournable popularise à l’excès.

Le verbe y est prépondérant, les oppositions sévères, parfois même injurieuses, et le résultat final est un grand brouhaha, irrespectueux de l’auditeur et du téléspectateur, qui n’y trouvent  pas leurs  attentes, à savoir des échanges constructifs qui permettent de départager sur de bonnes bases les protagonistes. 

Pourtant le discours est la colonne vertébrale de l’action politique, car il est explication, éclaircissement, convaincre et vaincre.

Et la seule manière d’y arriver, est pour nos politiques de mettre le frein dans les débats qui les opposent, sur les querelles stériles qui les abaissent, d’élever le contenu de leurs échanges, et d’en faire une musique et une esthétique, à l’usage des téléspectateurs et  auditeurs, en grande partie leurs futurs votants.

Mourad Guellaty