Opinions - 01.03.2018

Taoufik Habaieb: La chasse à l’incurie

Taoufik Habaieb: La chasse à l’incurie

La persistance des menaces sécuritaires est source d’une réelle préoccupation. Le reflux en Libye des combattants terroristes fuyant l’Irak et la Syrie fait monter d’un cran l’ampleur du danger que court la Tunisie. Malgré le verrouillage de plus en plus renforcé des frontières et les réussites enregistrées par l’armée et les forces de sécurité dans le démantèlement des cellules dormantes, la traque systématique est de rigueur.

C’est toute la gestion de l’extrémisme violent et du terrorisme, dans leurs différentes dimensions, qui appelle à plus de vigilance, de moyens, de coordination et d’efficience. Rassurés par l’accalmie apparente, beaucoup de Tunisiens ne se doutent pas suffisamment de ce qui nous guette. La guerre est longue, et loin d’être gagnée. La bataille se joue également au niveau de l’embrigadement des jeunes surtout, qu’il importe de contrecarrer, du discours haineux et pervers qu’il faut combattre, et des sources de financement qu’il faut tarir. Quelle prise en charge des détenus en prison? Des takfiristes placés en résidence surveillée? Et de tous ceux qui continuent à déverser leur venin? Comment agit-on sur les racines du mal et traite-t-on le terreau qui les enfante?

La stabilité et la sécurité de la Tunisie sont aujourd’hui encore plus que nécessaires. Pour protéger l’avancée démocratique, mais aussi favoriser les prémices d’une embellie économique qui commence à poindre. La bonne récolte oléicole et dattière, la reprise du textile, la relance générale des exportations et le retour de l’investissement intérieur, en attendant celui extérieur, suscitent des espoirs. Le revers de la médaille reste toujours celui du déficit de la balance commerciale, du dérapage du dinar et de la descente aux enfers des finances publiques.

Des solutions innovantes et performantes sont pourtant possibles. Ceux qui sont capables de les concevoir et mettre en œuvre ne sont pas aux commandes. Le pouvoir n’est plus attractif pour les cadres intègres sans ambition politique. Le niveau de rémunération dans l’administration publique est peu motivant pour les compétences de haut niveau. Le fameux article 96 du Code pénal est dissuasif, telle une épée de Damoclès, l’inextricable complication des procédures tue toute ardeur. Des médiocres et des incompétents qui ont infesté les circuits de décision persistent à bloquer la machine de la relance. Qui peut les en déloger?

Ce mal profond pénalise davantage les régions de l’intérieur du pays. Le déficit de cadres compétents se fera davantage ressentir dans les municipalités et lors de l’instauration du pouvoir local. La tenue, contre vents et marées, des élections municipales le 6 mai prochain et l’engouement de plus de 57 000 Tunisiens et Tunisiennes qui se sont portés candidats dans 350 circonscriptions, pour la première fois, partout dans le pays, témoignent d’un attachement à changer le quotidien et à bâtir un autre avenir. Avec quels moyens et quelles équipes exécutives ? Les bras cassés ne se priveront pas de briser l’élan.

L’école de demain s’impose en urgence pour forger les nouvelles générations qu’attend la Tunisie. La qualité actuelle de l’enseignement et des enseignants a beaucoup souffert ces dernières années de recrues en déphasage total avec la nouvelle pédagogie. Sans formation spécifique appropriée, échappant à tout contrôle, enchaînant arrêts de maladie et absences, nombre de ces nouveaux instituteurs et professeurs sont loin d’incarner le profil et les valeurs du maître et de l’éducateur d’antan, encore moins de se projeter dans la nouvelle école.

Le grand problème de la Tunisie n’est pas uniquement la dispersion des pouvoirs et leur exercice, mais l’incompétence qui sévit gravement dans divers rangs et corps. En pensant à tous ces blacklistages, à tant de ratages, et à toutes ces fausses pistes empruntées par les politiques publiques, on réalise le coût de l’incompétence, même à des positions élevées.

La tyrannie de l’incurie constitue partout une nouvelle menace pour l’essor de la Tunisie. S’il est difficile de contraindre les incompétents à décamper, le ressourcement en compétences jeunes et performantes des différents corps de la fonction publique s’érige en mission salutaire.

Le secrétaire général de l’Ugtt aurait dû aller jusqu’au bout de sa pensée en appelant à remanier le gouvernement et à réviser les politiques publiques. C’est la chasse aux médiocres et aux incompétents à tous les niveaux qu’il aurait dû lancer.

Taoufik Habaieb