Opinions - 14.01.2018

Tunisie : la révolution dévoyée

 Tunisie : la révolution dévoyée
"Une révolte qui ne débouche pas sur une révolution s'appelle une occasion manquée"  
Denis Langlois 2008
Par Mourad Guellaty - Denis Langlois est un écrivain français, contemporain avec de nombreux livres à son actif. C’est un écrivain engagé, qui a écrit sur la justice française, sur la police, et a suivi de nombreux procès politiques, tant dans l’hexagone, qu’en dehors de la France, dans de nombreux pays y compris le nôtre. Il est notoirement pacifiste et s’est opposé avec véhémence à de multiples entreprises guerrières dont celle du Golfe. 
 
Nous avons eu en 2011, des révoltes, pas une seule, plusieurs, qui se poursuivent jusqu’à ce jour, indiciblement ou ouvertement, dans tous les territoires de notre pays. Et ces mouvements multiples, ont abouti au renversement du pouvoir politique en place, et à son remplacement par différents gouvernements, supposés incarner la liberté, le progrès économique et la justice sociale. Ce triptyque, liberté, prospérité, justice sociale, n’a malheureusement pas résisté à l’épreuve des faits, et des réalités, et nous voici, dans une situation bien pire que ce que nous vivions précédemment.

Liberté

Elle est de quelle nature notre liberté aujourd’hui, celle d’insulter, injurier, critiquer dans tous les sens, et encenser ses troupes et soi-même dans la perspective d’une désignation improbable, et d’une chute des autres.
 
C’est quoi la liberté aujourd’hui, si ce n’est médire et vociférer sur les plateaux télévisés quitte à se retrouver parfois en prison, non pas d’avoir trop hurlé avec les loups mais d’avoir "mangé avec eux" !
 
C’est quoi la liberté aujourd’hui, si ce n’est celle de promettre ce que nous ne pouvons pas honorer, et obtenir ce que nous n’avons pas le droit d’accepter !
 
Ces anciens ministres, gouverneurs et délégués accusés de forfaitures, et la grande cohorte des fonctionnaires indélicats que les médias se font un plaisir d’exhiber.
 
Notre liberté est une facétie, une comédie, qui se déroule sous nos yeux, hagards, ahuris, incrédules devant l’énormité du spectacle qui nous est offert en permanence.

Prospérité

Notre prospérité, parlons-en : Tout se "déglingue", nous la mesurons chaque jour à l’aune des nouvelles économiques réjouissantes, qui font le bonheur des médias, audio visuels surtout et des experts qui trouvent leur bonheur dans l’émotion qu’ils font passer à un auditoire conquis par la peur, à l’instar de celle distribuée par les films d’horreur.
 
Notre prospérité, n’arrête pas de décliner si tant est que nous pouvons croire en son existence passée.
 
Les sans- emplois s’amoncellent, et les créations d’emplois s’échappent !
 
Les hommes et femmes d’affaires revendiquent un peu de paie sociale, moins d’impôts, et plus d’infrastructures. 
 
Que nenni, rien de tout cela n’est possible pour le moment ! Circule il n’y a rien à voir !
 
Certes nous faisons quelques améliorations sur les entrées touristiques par rapport à un passé récent.
 
On le clame haut et fort, hourra ! En oubliant que nous étions au plus bas depuis une décennie.
 
Que reste-t-il de notre passé, de la décennie précédente ? Rien, tous les paramètres sont en chute libre : l’inflation ronge notre pouvoir d’achat, et la baisse de notre monnaie renchérit nos biens d’équipement importés au prix fort.
 
Nos échanges avec l’étranger sont plus déficitaires qu’ils ne l’ont jamais été, c’est normal ils le seront d’avantage quand notre dinar aura cédé devant la barre psychologique de un euro pour trois dinars.
 
Sans sombrer dans le pessimisme le plus noir, à ce stade nous commencerons à préparer la résistance contre ce "foutu" euro qui veut se hausser à quatre dinars.

Egalité

Les événements qui nous ont propulsés dans cette nouvelle époque, ceux de 2011, étaient porteurs de plusieurs promesses, parmi lesquelles : liberté pour tous, égalité des chances et justice sociale.
 
Où en sommes-nous aujourd’hui ? bien loin de toutes ces promesses !
 
La liberté pour tous, c’est quoi en vérité ? Si ce n’est celle de pouvoir notamment faire scolariser ses enfants dans des établissements à peu près tous proches du point de vue du niveau de leur enseignement.
C’est de pouvoir s’exprimer soi-même en connaissance de cause, ce qui suppose une information d’une certaine tenue, une répartition équitable des temps de parole, pas seulement des hommes politiques, mais bien du contenu des sujets traités.
 
L’égalité, ce n’est pas une grande messe, qui ouvre ses portes au tout venant, mais bien un choix d’une certaine orientation dans les programmes, dans lesquels seule la qualité peut justifier des orientations préférentielles.
 
Encore, il y a lieu de faire attention à ces distinguos et  les confier à des commissions dont les membres sont au-dessus de toutes les mêlées, qui pullulent dans notre univers intellectuel, politique, économique, voire même artistique.  
 
Pour cela il faudrait recourir aux nouveaux instruments de la révolution technologique : quand nous parlons d’égalité dans un secteur fondamental, l’enseignement primaire, sommes-nous sûrs que nous avons atteint nos objectifs.
 
Dans ce domaine, seul l’enseignement à distance par le télétraitement qui s’adresse à des milliers d’élèves à la fois, est en mesure de répondre à cette exigence d’équité, en offrant à l’élève de Jendouba, la même qualité pédagogique que celle de Tunis.

Conclusion

Les révolutions sont, généralement, le fruit de l’élan des jeunes, récupéré par leurs ainés, les professionnels de la politique.
La Tunisie n’a pas échappé à cette règle, sauf que les jeunes dans leur grande naïveté, ont été effacés du paysage, alors que leurs ainés sont réapparus, encore plus présents, plus insistants, et plus gourmands.
Leur langage formaté, a perdu de sa superbe si tant est qu’elle a déjà existé, et son impact sur des oreilles attentives, s’est terriblement affaibli, proportionnellement à son déversement quotidien.
 
Tout le monde dans ce pays a son mot à dire sur tout ce qui relève du débat public ! Oui tout le monde, puisque chacun s’accorde des vertus que seule son auguste personne lui a attribuées.
 
Le débat public est devenu inaudible, et les médias, surtout télévisuels, ce miroir grossissant, offre un spectacle digne des fêtes foraines plutôt que des échanges à fleurets mouchetés.
Tout cela fait bonheur de ces médias, eux qui passent en boucle les échanges chauds, créateurs de décibels et de controverses multiples.
Le tunisien de l’après 11 janvier "ne trouve pas ces billes", dans cette foire d’empoigne dans laquelle les acteurs perdent chaque jour un peu plus de crédit et le public, celui du citoyen lambda, un peu plus d’espérance.
Une foire d’empoigne qui ressemble plus à une succession de révoltes qu’à une révolution !
Il est facile de faire disparaître des valeurs, c’est ce qui se passe depuis le début de ces années de braise, mais bien difficile de les recréer.
Et en l’absence d’un miracle, notre peuple ne cessera de se demander pendant de nombreuses décennies encore, si finalement tout ce tohu-bohu était bien nécessaire.
 
M.G