Opinions - 27.12.2017

Taoufik Habaieb: Le génie tunisien comme unique salut

Taoufik Habaieb: Le génie tunisien comme unique salut

La politique, exécrable dans ses basses pratiques, comme en ces derniers temps, ne saurait nous détourner de l’essentiel. Qu’avons-nous fait pour préparer l’avenir des générations montantes ? Quelles politiques publiques avons-nous déployées pour transformer l’école et embrasser les métiers de demain ? A-t-on suffisamment encouragé la recherche scientifique pour rattraper le gap et prendre pied dans le concert de la science et du savoir ? Où en sommes-nous dans le numérique, l’intelligence artificielle et toute cette nouvelle déferlante qui est en train de bouleverser le monde ? Quels projets d’envergure avons-nous initiés pour favoriser les sources renouvelables dans notre bilan énergétique et la préservation du climat ?

Sur l’avenir, nous manquons de vision et prenons du retard ! Sur le stratégique, nous risquons d’être défaillants. Les pénalités seront lourdes à assumer. La jeunesse de demain ne le pardonnera pas aux dirigeants d’aujourd’hui.

L’émigration, subie ou choisie, de près d’un millier de jeunes médecins tunisiens, rien qu’en 2017, en France, en Suisse, en Belgique, au Canada et dans des pays de l’Afrique subsaharienne, nous interpelle doublement. Elle apporte la preuve que la qualité de l’enseignement et de la formation scientifique en Tunisie est prisée par des pays qui savent l’apprécier.  Le revers de la médaille, c’est que nous n’avons pas pu ou su les garder. Désenchantés, déçus, sans perspectives d’avenir, confrontés à la violence, la précarité et la déliquescence des soins dans les établissements publics et à la taxation dans les cabinets privés, les meilleurs n’ont d’autre choix que de partir.

Les médecins ne sont pas les seuls dans cet exode. Ingénieurs, financiers, universitaires, chercheurs, juristes et autres managers de haut niveau prennent eux aussi le chemin de l’expatriation, dans un flux migratoire jamais observé auparavant. Ambition, désir de mobilité et de changement d’horizon ? Aucun Tunisien n’est convaincu qu’il pourra trouver ailleurs dans le monde un pays meilleur que sa terre natale. Mais ceux qui partent, s’ils regrettent la douce Tunisie, ne peuvent plus supporter y travailler.

Incapables de les retenir, qu’allons-nous faire pour entretenir avec eux ce grand lien affectif, patriotique ? Comme pourrions-nous faire bénéficier le pays des dividendes de leur nouvelle situation ? L’unique discours officiel prononcé à leur adresse est celui d’envoyer de l’argent au pays et d’y investir. Aucun réceptacle n’est ouvert pour tirer de toute la valeur ajoutée que ces Tunisiens de l’étranger peuvent faire profiter la patrie. Chefs de service dans de grands hôpitaux et de prestigieux laboratoires de recherche, analystes et décisionnaires dans des banques et fonds d’investissement, ingénieurs aux commandes d’éminents centres de développement, dirigeants dans des multinationales et autres constituent pourtant un capital précieux. Ne sont-ils pas en mesure d’accueillir des stagiaires, de faire embaucher des compatriotes, d’établir des ponts entre leurs institutions et celles de leur pays, de prodiguer des conseils aux décisionnaires tunisiens, de souffler des idées, de signaler des opportunités... Qui, en Tunisie, s’en soucie ? Qui s’en occupe ?

Dans cette insouciance générale, le grand virage de l’intelligence artificielle n’est pas pris à bras-le- corps par les décisionnaires tunisiens. Le numérique, sa culture, son enseignement, sa recherche et développement, son économie et son essor se dispersent entre l’Education nationale, l’Enseignement supérieur, le Commerce (électronique) et le ministère des TIC. Sans coordination, sans synergie, chacun est sur sa planète.

Tout favorise pourtant la Tunisie dans cette voie de l’intelligence artificielle. L’engouement quasi-intuitif des jeunes, la multiplication des institutions d’enseignement et des laboratoires de recherche, la qualité de l’enseignement et de l’encadrement font de notre pays et de notre jeunesse des atouts majeurs dans cette conquête du futur.

Que manque-t-il alors ? La volonté politique ! Au-delà des discours, point de détermination affirmée, de plans d’action avec des dates précises, de moyens conséquents et de financements garantis. Les quarante « grandes options » issues des récentes assises nationales de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique (regrettablement boycottées par l’Ugtt), sans programmation fixe, risquent d’être renvoyées aux calendes grecques. Et nous voilà retomber dans la politique politicienne.

Au lieu de s’agacer de ce qui se dit ou s’écrit, de s’étaler sur les commentaires au détriment de la conceptualisation de sa politique et de son explication pour convaincre les Tunisiens, le gouvernement n’a d’autre devoir que de privilégier dans ses politiques publiques les grands choix d’avenir. Le génie tunisien - scientifique, technologique, managérial, culturel et artistique - est notre précieux capital. Sachons-le cultiver et en faire le pilier de notre futur.

Bonne et heureuse année.

Taoufik Habaieb