News - 17.09.2017

Khadija Moalla, en route vers l'Ouganda: Carte postale de Kigali

Khadija Moalla, en route vers l'Ouganda: Carte postale de Kigali

Une voix off annonce notre arrivée, j’ouvre les yeux, il est 4 heure du matin et mon vol vient d’atterrir à Entebbe. Une heure avant, il avait stoppé pour une heure d’escale à l’aéroport de Kigali. Durant toute l’heure où j’étais restée dans l’avion, je n’ai pas pu m’empêcher de penser au génocide qui s’était produit sur cette même terre, pendant 100 jours, en 1994, où entre 500.000 et un million de Rwandais ont été massacrés. En effet, pour moi, ce génocide avait un visage, celui d’Etienne, un jeune Rwandais que j’avais rencontré une fois à Auroville, en Inde.

Ce jour-là, je faisais faire aux participants d’un atelier de travail, un exercice basé sur l’importance du pardon. Ce jeune homme s’était dirigé vers moi naturellement, encouragé probablement par le fait que je parlais français dans un groupe qui ne parlait qu’anglais, et je lui ai demandé à qui il voulait pardonner et pourquoi? Dans mes pires cauchemars, je n’aurais jamais cru que je pouvais rencontrer le rescapé d’un des plus horribles massacres que l’humanité ait connu.

Nous nous sommes assis par terre, et très simplement et avec une voix sereine et douce Etienne me dit que son papa avait l’habitude d’inviter son voisin à boire quelques bières chaque semaine où ils passaient la soirée à rire et à partager des histoires. Mais un soir cet ami est venu, avec d’autres hommes, des machettes à la main, le père d’Etienne compris tout de suite que le massacre avait commencé. N’ayant qu’une idée en tête, il laissa son grand garçon de 12 ans près de son voisin et lui dit qu’il allait chercher des bières pour trinquer une dernière fois avec lui, au nom de leur vielle amitié. Il courut à la cuisine et ordonna à sa femme de prendre leurs deux plus jeunes fils (5 et 8 ans) et de courir le plus vite qu’elle pouvait vers la frontière. Quelle souffrance il a dût endurer de devoir sacrifier son grand fils et lui-même afin de sauver le reste de la famille!

Plusieurs années après, Etienne, son frère et leur maman sont revenus au village et l’Etat qui organisait «La réconciliation nationale» les a réunis avec le bourreau de leur père et leur a demandé de lui pardonner.

Des années après, Etienne se retrouve par hasard dans ce workshop à Auroville, où il me demandait d’une voix étouffée par l’émotion de l’aider à pardonner car au plus profond de son cœur, il n’était pas sûr qu’il avait déjà pardonné, lors de la cérémonie organisée par leur gouvernement!

Tout mon être était à l’agonie, mon intégrité morale était soudain mise à nu, j’ai senti une douleur atroce dans mes tripes et mes nerfs écorchés vifs, et je me suis posée cette question qui a hanté plusieurs de mes nuits: à la place d’Etienne, aurais-je eu le courage de pardonner moi-même?

Je n’aurai pas pu croire qu’une simple escale dans un aéroport pouvait faire remonter des souvenirs si douloureux, et pourtant….la vie continue. Il est 5 heure, je sors de l’aéroport d’Entebbe, et me voilà replonger en Afrique, ce continent si accueillant, où j’ai hanté la majorité de ses capitales durant ces 20 dernières années.

Je n’ai qu’une hâte, prendre un bain chaud et me remettre dans un lit, car j’avais quitté le mien, à Korba, 24 heures avant! Demain je pourrai admirer le Lac Victoria du balcon de la salle de conférence où j’aurais l’honneur et le plaisir de partager mon expertise avec les membres du Parlement Fédéral Somalien. La Somalie qui connaitra un jour prochain, j’en suis sûre, la même paix dont jouie aujourd’hui le Rwanda. En attendant, il faudra que nous puissions apprendre à tous les meurtriers mercenaires de tous les pays du monde, le sens de l’Humanité.

P.S : A ceux qui utilisent des mots tels que ‘réconciliation nationale’ ou ‘gouvernement d’union nationale’ ou encore ‘cohésion sociale’…sans réellement en comprendre le sens profond ni la vision, ne jouons pas avec le feu, d’autres avant nous s’y sont brulés vifs! A bon entendeur, salut.

Khadija T. Moalla