News - 20.08.2017

Mohamed Hédi Zaiem : En quoi le discours de BCE est-il historique ?

Mohamed Hedi Zaiem : En quoi le discours de BCE est-il historique ?

Le discours de Béji Caïd Essebsi, ce 13 août 2017, est historique. Vous vous en rappellerez.

En Août 2013, quelques jours après la rencontre surprise entre BCE et RG à Paris, j'avais écrit sur ces colonnes : "Il n’y a que les naïfs qui peuvent imaginer qu’une rencontre entre deux leaders politiques en pleine compétition –et en plus arrangée- n’ait été consacrée qu’à des salamalecs et un échange de points de vue. Nous pensons qu’il y a eu Safka", et que l'accord va durer. Je vais m'aventurer aujourd'hui à dire que cette époque est révolue.

Le discours de BCE a engendré un tourbillon allant de l'indignation à l'encensement

La première réaction d'Ennahdha s'est faite dans le désordre et la précipitation : un rejet violent considérant que la proposition de BCE constitue un acte "Grave". La réaction est comparable à celle d'un boxeur qui aurait reçu un terrible coup de poing en pleine figure, qui a peiné à s'en remettre et réagi instinctivement en gesticulant et se jetant sur son adversaire, avant de retrouver ses esprits. Cette réaction a vite laissé place à une position quasiment totalement opposée, illustrée par les propos de soutien de Zoghlami et même élogieux de Mourou. A ce jour, les choses ne sont pas claires et le "boxeur" est toujours en état d'étourdissement. En attendant, les chiens sont lâchés. Ça ne coûte pas cher et ça peut servir : Il s'agit d'abord de mesurer l'ampleur de la réaction populaire nourrie par l'habituel "Hola" à l'Islam menacé par les mécréants, et ensuite d'espérer que l'adversaire, apeuré, ne recule et revienne à de meilleurs sentiments.

Il faut aller beaucoup plus loin que la lettre du discours. Quand on y regarde de près, l'affaire de l'héritage est somme toutes secondaire, même pour les islamistes. Mais ce qui ne l'est pas, c'est ce qui est derrière : BCE a pris une position claire sur notre rapport à la religion. En déclarant que les aspects de l'Islam relatifs à la régulation des rapports entre les hommes dans leur "commerce" quotidien peuvent et doivent être révisés même dans un sens différent de celui de la lettre du texte coranique, il ne se place plus sur le terrain de l'Ijtihad (interprétation) mais il prend une position philosophique et politique majeure. L'éternité de l'Islam n'est pas dans son contenu réglementant la vie éphémère et évolutive, mais dans son message spirituel et fondamental. Cette position heurte de plein fouet les "Professionnels" de la religion dont le commerce consiste à s'arroger le droit -quand cela ne contredit pas leurs intérêts du moment- de décider de ce qui est bien et de ce qui est mal. Il n'y a que les naïfs qui peuvent croire que ceux qui dénoncent la déclaration du Président de la République le font pour défendre l'Islam. Ils le font simplement pour défendre leur gagne-pain, et c'est le cas avant tout de l'islamisme politique. La sortie de BCE est une attaque frontale à ce dernier, elle signe, à mon avis, la fin du pacte d'août 2013. Elle est paradoxalement en harmonie avec et en continuité de celui-ci, mais cela est une autre affaire.

Ceux qui s'interrogent sur la capacité de BCE de tenir sa position, ne connaissent pas encore l'Homme. Je ne peux pas croire un instant que BCE n'ait pas analysé toutes les conséquences possibles à court et long terme d'une position aussi radicale qu'historique, et je m'aventurerai à dire qu'il ira jusqu'au bout. Et cela démentirait d'abord ceux qui voient dans cette position une manœuvre électoraliste. En déclarant de manière apparemment "légère" que son avenir était derrière lui, Beji veut dire avant tout qu'il est de par son statut et son âge capable de ne plus faire de calculs politiciens.  Quelqu'un a écrit : "Béji fait son Bourguiba", je dirai plus : "Beji fait plus que Bourguiba". Je prétends qu'il est "habité" par le fantôme de ce dernier. En s'installant par le suffrage universel à Carthage, il a en grande partie réalisé son rêve. Il sait maintenant que, le seul avenir -pour lui-même- qui vaille la peine d'être tenté, se situe au niveau de l'histoire, et ce en projetant de faire passer dans des actes majeurs une position défendue depuis des siècles par plusieurs générations de réformateurs.

BCE donne un sens nouveau à "l'islam modéré". Trêve de verbiage, le seul islam modéré est celui qui reconnaîtra la nécessité et le droit non seulement à l'interprétation (ijtihad) mais à l'évolution. Ennahdha est aujourd'hui clouée au pilori, la marge de manœuvre dont il s'est fait champion se rétrécit brutalement comme une peau de chagrin. Le temps de l'hésitation se fera trop court et le choix sera terrible de conséquences. Ou, une adhésion qui minera sérieusement ses fondements, sa raison d'être et son fonds de commerce, ou une guerre dont les conséquences seront très incertaines pour le mouvement. La "nakba" risque alors d'être plus profonde et beaucoup plus durable.

J'en viens maintenant à ceux qui considèrent que ce n'est pas le moment, que la question de l'héritage est secondaire comparée à la gravité de la situation économique est sociale du pays, et que -par conséquent- ceux qui la soulèvent aujourd'hui cherchent à faire diversion, pour masquer leur impuissance à résoudre les problèmes du pays, en plus d'objectifs électoralistes mesquins.

A ceux-là, je répète -et je pense être en droit de le dire et le redire- que si les manifestations sont économiques, la crise n'est pas économique, mais profondément politique. Une crise économique peut se résoudre par des mécanismes économiques, mais une crise politique nécessite une réponse politique. Si on est incapables d'engager les réformes, c'est parce qu'on n'a pas réussi à réunir un consensus autour de celles-ci. Et même lorsqu'une action engagée comme la lutte contre le "fassad" réussit manifestement à attirer un large consensus populaire, elle doit faire face à une guerre souterraine et larvée des acteurs politiques mus par d'autres mobiles, se cachant derrière un soutien de façade, parce qu'ils ont d'autres agendas. La plupart des observateurs s'accordent à juste titre qu'il n'y a pas d'issue sur le plan économique si on ne combat pas le terrorisme, la corruption et le népotisme, et si on ne "remet pas les gens au travail"… toutes des mesures dont le contenu est profondément politique et qui nécessitent un consensus qui ne peut l'être sans qu'il y ait consensus ; et celui-ci n'est pas possible, ou l'est seulement de façade, si certains acteurs ont leur propre agenda.

Aucun mouvement politique ne dispose d'un projet pour le pays et encore moins d'un projet mobilisateur. Seuls les islamistes en ont un, mais ils se cachent bien de le dire ouvertement. Ils sont même contraints de vivre dans une situation quasi-schizophrénique en affichant une adhésion de façade à la "République civile". Dans une déclaration surprise, le Mufti de la République, déclare que "La lutte contre le terrorisme auquel fait face le monde entier commence par le renouvellement de notre compréhension de la religion et du prêche religieux, elle ne peut se limiter au côté sécuritaire. Il est du devoir de tous les gouvernements et les responsables du monde arabe de suivre cette voie pour ouvrir la porte à la rénovation, l'interprétation et le renouvellement de la religion. Les penseurs et les prêcheurs sont appelés à réagir (positivement) avec ce discours."

Avec ceux -manipulés par l'internationale réactionnaire et ses aussi réactionnaires alliés de l'intérieur- qui nous ont transformé, par le fanatisme et l'ambition de régenter le monde par le feu et le sang, en parias, nous sommes aujourd'hui arrivés au plus creux de la vague, et jamais on n'a été aussi bas. Quand on est au creux de la vague, on n'a plus le choix que de remonter, mais cela ne se fera pas sans l'émergence d'une élite intellectuelle et politique. Le moment est unique et si on ne le saisit pas aujourd'hui, nous ratons un virage historique. BCE fait plus que Bourguiba car ce dernier était porté par une vague énorme alors que Beji agit dans un contexte d'une complexité inédite dans la longue histoire de ce pays.

La bataille pour la rénovation du discours religieux est à notre avis la "mère de toutes les batailles", les forces de progrès doivent concentrer leurs énergies dans cette bataille. Si Ennahdha, ou une partie de celle-ci est capable de faire ce saut historique, un consensus durable et majoritaire pourra naître, autre que l'alliance de circonstances qui a prévalu depuis août 2013. La Tunisie inaugurera alors un nouveau printemps arabe, qui n'aura pas alors démérité de son nom.

Mohamed Hedi ZAIEM

 

Vous aimez cet article ? partagez-le avec vos amis ! Abonnez-vous
commenter cet article
11 Commentaires
Les Commentaires
Kh.mrabet - 20-08-2017 19:38

et si on ne "remet pas les gens au travail"... Voila le probleme de notre pays, la valeur TRAVAIL est dans le coma et aucun moyen de la ranimer... Aucun politicien ni parti n est en mesure de reveiller ce peuple en hibernation depuis des decenies... Tout le reste, y compris les subterfuges de ce nonagenaire, de pures balivernes...

Bagr' Allah - 20-08-2017 20:43

60 ans de baise-main et de lèche-bottes ... encore de beaux jours pour cette sacrée habitude et toujours pas lassés . Bon Dieu arrêtez de nous masturber comme ça. L Islam est clair et strict sur plein de sujets . Pour ceux qui ont la Foi et l'Amour de Dieu et du Prophète ça ne se discute même pas . Ce n'est pas vous , ni Bourguiba , ni autres qui vont prendre la place et changer cette Religion. ... et cherchez ailleurs pour trouver des solutions aux misères de cette Pauvre Tunisie !

Touhami - 20-08-2017 22:43

Quelqu´un doit tirer les marrons du feu pour d´audtres. Rien ne se ferait sans les Etats Unis. Et le printemps arabe n´a pas reussi parce que les Etats Unis n´en voulaient pas.; ca ne l´arrangereait pas,ils ont trop d´alliées dans le monde arabe. Et puis il y en qui pense au depiècement du monde arabe maintenant. Il doit y avoir quand même un père pour "la mère de toutes les batailles" Le monde arabe n´ai pas entouré d´un mur en béton.

louait abdelkrim - 21-08-2017 01:18

Tout a fait d accord avec votre analyse .les idées que vous avez bien développées je les ai (avec toute modestie) signalé brièvement dans des commentaires.nos points de vue sur BCE sont presque superposés.A mon avis il ne faut pas lâcher ...il faut continuer jusqu à faire taire les mauvaises langues de toutes sensibilisés car on je vois qu' on est devant une bataille à ne pas perdre pour préserver notre belle image en tant que société ouverte et tolérante dans sa croyance ...Merci si Hedi

Youssef Nacef - 21-08-2017 07:04

BCE est un génie quand il veut. À son âge (~90 ans) tenir un discours fleuve, debout pendant une heure, sur des sujets tabous qui divisent la nation et avec une cohérence inouïe, relève du miracle. Il est certainement entré déjà dans l'histoire de ce pays dont il a été le serviteur depuis une soixantaine d'années. Des erreurs politiques et stratégiques, il en a fait. Mais c'est avec des erreurs qu'on bâtit de grands projets. Quant à l'article sur le discours de BCE de Mohamed Hedi Zaiem est excellent. Son analyse était méthodique et donne à réfléchir. Comme il l'a si bien dit, la crise en Tunisie n'est pas économique, mais bel et bien politique.

carthaginois - 21-08-2017 08:53

tout d'abord je vous remercie Mr Hedi ZAIM pour ton article de grande importance et qui participera certainement à une mise en valeur du projet d'égalité homme/femme. et j'adresse mon commentaires à tout ceux qui sont limités aux textes coraniques du 7éme siècle et qui ne peuvent en aucun cas s'appliquer à notre époque: A la lecture des différents écrits et commentaires relatifs à ce sujet, on s’aperçoit facilement que une grande majorité des tunisiens est encore piégée par les textes dites « sacrés », nous sommes physiquement en 2017, mais notre pensé est totalement plongée dans le 7éme siècle, une pensé stagnante et incapable d’analyser, ou de s’activer indépendamment des textes religieux, et des allégations des soit disant savants (nous avons autant de savant qu’en occident), ces savants qui ne sont que des hommes comme les autres, à une différence près est qu’ils sont plus bêtes et plus hypocrites que les autres. 4 mots (le fameux verset tant cité par les religieux et les ignorants) ont suffi pour balayer d’un revers de main tout un projet moderniste et historique, un projet qui peut participer à une démarche progressiste tant attendu. Peut-on croire que le bon dieu nous jettera dans l’enfer parce que nous avons partagé nos avoirs avec les femmes qui ne sont autres que des êtres humains ? Est-ce que à ce point on marginalise le créateur de l’univers, et on limite son rôle dans des affaires aussi simple que l’héritage ? L’absence de critique de la religion, ainsi que le positionnement des religieux, sont à l’origine de cette stagnation socioculturelle, mais se sont surtout les hypocrites religieux qui ont fait barrage aux diverses tentatives de progression guidées par des femmes et des hommes illuminés. Les religieux de toutes tendances font des espèces de mafia dans les sociétés musulmanes pour garder la main sur les affaires de la société. A mon sens, il faut s’attacher au projet de BCE, la bataille de ce n’annoncera pas facile, surtout que nous avons affaire à des idiots. L’échec éventuel de cette tentative va donner encore raison à la nakba, et freinera tout autre projet moderniste.

verbatim - 21-08-2017 08:59

Le discours de BCE est la Véritable révolution, celle du 14 janvier n'était qu'une manifestation sans aucun projet ni idéologie. Il faut une remise en cause complète du discours religieux pour nous sortit du marasme où est le pays. Nous devons faire appel à touts les moyens actuels de réflexions: philosophique, anthropologiques, linguistiques...dans l'approche du religieux d'autant plus qu'il semble vouloir nous régler tout notre quotidien. Merci pour cet article.

Jamila Ben Mustapha - 21-08-2017 10:40

Il est triste qu'on n'ait plus le droit d'approuver une décision présidentielle sans être traité de lèche-bottes: d'un extrême à l'autre, voilà où nous en sommes. Aujourd'hui , nous avons la chance d'approuver ou de critiquer une décision gouvernementale ou présidentielle en toute liberté. Nous abstiendrons-nous de dire du bien du lancement d'un projet aussi important que l'égalité dans l'héritage rien que par peur d'être accusé d'être un béni oui-oui? Quand au texte sacré qui devrait être intouchable, pourquoi n'appliquons-nous plus la lapidation, l'adultère, la coupure de la main du voleur, comme cela a déjà été dit ? Nous devrions vivre comme au 7ème siècle sans que rien ne gouge lorsque le monde fait des sauts gigantesques en avant? L'Histoire est une discipline qui existe ! Rien que le simple bon sens nous interdit de faire le déni de 14 siècles d'Histoire !

Slim Bel Hadj Ammar - 21-08-2017 11:55

Chapeau bas Monsieur Zaiem pour votre analyse du discours du Président Sil Beji. Espérons qu'il poussera les nahdhaouis à laisser tomber leur masque et mettra fin à leur double language.

Anasmaribi - 27-08-2017 21:43

ارى ان كاتب المقال اخطا في تبني اقتراح ر ج الذي هو فاشل ولا ينتظره الا الفشل..لانه مس وصية خاصة لكل فرد من ربه فما دخل الساسة فيه...هذا اولا...ثانيا..علماء الامة واساتذة الجامعة الزيتونية وجمهور الخطباء واكثرية الشعب التونسي وقفت ضده..ثالثا.يتكلم الكاتب وهو يجهل ما يكتب عنه..وهذا افة بعض الكتاب القافزون على الحدث..انواع الميراث 34حالة.وليس كما يظن البعض الاخ مع اخته فقط.4فقط لصالح الذكر والبقية اما متساوية او ترث الانثى اكثر او ترث ولا يرث..ولكن انى للانسلاخيين ام يعرفوا ذلك..مزيدا من التواضع من فضلكم..

Mohamed Hedi ZAIEM - 10-09-2017 19:18

لم يكن في خاطري أن أرد عليك لأني أقول لنفسي و أنا أقرؤك: "ياجبل ما يهزك ريح" لولا أني رأيت أن في ردي بعض المنفعة لجماهير القراء. و سأركز على النقطة الأساسية التي بنيتم عليها. قلت: "تكلم الكاتب وهو يجهل ما يكتب عنه. وهذه آفة بعض الكتاب القافزون على الحدث". و بما أنك نعتني بالجاهل فإني -و من باب المعاملة بالمثل- سأثبت لك في ما يلي أن الجاهل هو أنت. إن أحكام الميراث رغم تشعبها في متناول العامة أما علم الإحصاء فهو عصي عليك و على جل أئمة الجوامع و "علماء الزيتونة" الأجلاء لا استنقاصا في قيمتهم بل لعدم الإختصاص. تقول: "انواع ميراث الاخ مع اخته 34حالة.وليس كما يظن البعض 4 فقط لصالح الذكر والبقية اما متساوية او ترث الانثى اكثر او ترث ولا يرث.ولكن أنى للانسلاخيين ان يعرفوا ذلك" هذا ظاهريا صحيح لكنه في الحقيقة مغلوط. لأن المهم هو ليس عدد الحالات بل مدى تواترها في الواقع المعاش. ما يعني هذا الكلام؟ يعني بكل بساطة أن الأربع حالات التي تتحدث عنها تمثل بكل احتمال على الأقل 90 بالمائة من حالات الميراث في الواقع وذلك باعتبار التركيبات الأسرية المتواجدة. بينما لا تمثل الثلاثون الأخرى إلا أقل من 10 بالمائة من حالات الميراث في الواقع. و هذه النسب تقديرية و يمكن احتسابها بصفة دقيقة لو توفرت لنا عينة كافية من حجج الوفاة. وإني أتحداك أن تنظر في العشرين عائلة حولك لعلك تجد حالة واحدة ترث فيها الأنثى أكثر من أخيها. تلك الثلاثين حالة هي في علم الإحصاء من الشواذ. و الشاذ يحفظ ولا يقاس عليه. دمتم ذخرا للوطن و منارة للعلم و شوكة في حلق "الإنسلاخيين".

X

Fly-out sidebar

This is an optional, fully widgetized sidebar. Show your latest posts, comments, etc. As is the rest of the menu, the sidebar too is fully color customizable.