Opinions - 19.06.2017

Réponse à l’interview de monsieur le Chef du gouvernement: Youssef Chahed

Réponse à l’interview de monsieur le Chef du gouvernement: Youssef Chahed

Le Chef du gouvernement vient d’annoncer, dans une interview au site financier Bloomberg, que son équipe a déjà préparé un projet de loi autorisant les Tunisiens d’ouvrir en Tunisie de comptes bancaires en devises: «Le gouvernement prévoit de permettre aux Tunisiens de détenir des devises étrangères dans leurs comptes bancaires afin d’encourager désormais les transactions via les circuits officiels plutôt que le marché noir», a-t-il affirmé.

Cette mesure rentre dans le cadre, a-t-il indiqué, « (…) du projet de loi, en cours d’examen (…), sur la réforme [plutôt contre-réforme] du régime de change. » Pour rassurer les plus dubitatifs, monsieur Youcef Chahed n’a pas omis de préciser que «(…) parler d’une flottation totale du dinar tunisien est prématuré. », avant d’ajouter « les mesures relatives au change aideraient à attirer les investissements et à se conformer aux recommandations du FMI. »

1/Le FMI : Nous y sommes!

La formule est lâchée « (…) se conformer aux recommandations du FMI. » En effet, cette institution supranationale a appelé la Tunisie à resserrer sa politique monétaire pour lutter contre l’inflation, soulignant qu’« une plus grande flexibilité du taux de change contribuerait à réduire l’important déficit commercial. ». Faux !
L’inflation en Tunisie trouve ses origines justement dans la faiblisse du dinar. Il s’agit d’une inflation importée et incompressible en raison de la hausse des coûts de la facturation des matières premières, des produits semi-finis et des technologies indispensables pour nos entreprises (biens d’équipements, pièces de rechange,…). Pire encore, la dépréciation du dinar entraine de facto une augmentation du service (des intérêts) de la dette extérieure : 60% de la dette tunisienne est libellée en euro. En somme, quand le dinar se déprécie, vu la structure de notre économie, c’est la valeur ajoutée de l’ouvrier tunisien qui est spoliée !   

2/ Changement du régime de change: Evitons la tragédie monétaire égyptienne!

Notre régime de change actuel est un mode de change qui est qualifié d’"arrimage souple" : La Banque centrale tunisienne (BCT) fixe tous les matins la parité du dinar (cours pivot) en fonction du taux de change de la veille sur le marché interbancaire, mais aussi d'une péréquation très complexe connue que par certains responsables de la BCT.

Le passage à un régime de change flottant signifie le passage à un système de change où c'est la loi de l'offre et de la demande qui déterminera la parité du dinar, c'est-à-dire le taux de change par rapport aux autres devises. Même si le Chef du gouvernement se veut rassurant en soutenant que «(…) parler d’une flottation totale du dinar tunisien est prématuré. », nous restons profondément convaincus qu’in fine nous basculeront dans un système de change flottant total à l’instar de l’Egypte, qui a levé le contrôle des changes en novembre dernier. Résultats : En moins de 6 mois sa monnaie s’est effondrée, les prix ont bondi et l’inflation est à présent de 31,5%.  

Aussi, l'offre et la demande d’une monnaie sont fonctions de plusieurs paramètres macroéconomiques : le taux croissance, le taux d'inflation, le taux de chômage et surtout le taux du déficit commercial et plus généralement de la balance des transactions courantes.

Le déficit chronique de notre balance des transactions courantes exerce une terrible pression, en termes de demande de devises étrangères, sur le marché de change. Ce qui se traduit dans les faits par une dépréciation du dinar. Le risque est donc réel tant que nos fondamentaux économiques (solde commercial, taux d’inflation, taux de croissance, le taux d’endettement par rapport au PIB et par rapport aux recettes fiscales et les recettes en devises)  ne sont pas à l'équilibre. Nous risquerons l’hémorragie.

3/ Compte courant en devises: Et le risque de l’«Euroïsation»?

L’ouverture d’un compte courant en devises n’est pas sans risque. La banalisation d’une telle pratique comporte à terme le risque de "l'Euroïsation" partielle -avant qu’elle soit totale !- même de nos transactions locales. Le risque existe et il est réel : Aussi, il faudra s’attendre, sans aucun doute, à ce que le dinar se déprécie davantage car la demande de l’Euro sera sans cesse et inévitablement croissante.

Il convient d'étudier une telle proposition avec beaucoup de parcimonie. Il est possible de l'envisager sous certaines conditions et il est impératif de l'encadrer de très près! Il faut la réserver uniquement aux grandes entreprises en tant que personne morale, selon certains critères, pour les épargner des fluctuations monétaires et des risques de change. Il ne faut donc en aucun cas l'élargir aux Hommes d'affaires!

Ezzeddine Ben Hamida