Lu pour vous - 09.05.2017

Hakim Ben Hammouda : un ministre atypique pour une période atypique?

Hakim Ben Hammouda : un ministre atypique pour une période atypique?

Le parcours universitaire et professionnel de Hakim Ben Hammouda (HBH) est respectable. En effet, entre l’université de Grenoble, le Programme des Nations Unis pour le Développement, l’Organisation Mondiale du Commerce, la Commission économique pour l’Afrique et la Banque Africaine de Développement, le Monsieur a réussi là où il était.

A l’actif de HBH s’ajoute également une qualité inédite, celle d’être un auteur doué et un analyste habile, surtout avec ses écrits intéressants et diversifiés. Ce dernier a en effet publié de nombreux essaies dans le domaine d’économie, des finances, de la littérature et même de l’art et contribué aux débats de société à travers ses billets de presse et ses interventions médiatiques.

Parmi les dernières publications figure son livre «HBH : chroniques d’un ministre de transition» où il a essayé de relater son expérience en tant que Ministre de l’économie et des finances. Visiblement, ce livre a eu un succès implacable, ayant été réédité trois fois jusqu’à maintenant et que le rythme de liquidation des exemplaires demeure toujours rapide. Mais, ceci signifie-t-il que son passage au Ministère de l’économie et des Finances durant une période assez sensible (Janvier 2014-Janvier 2015) fut une réussite inéluctable?

HBH et ses chroniques: entre objectivité et prétention

Il faut dire de prime abord que le livre est agréable à lire, surtout qu’il permet au lecteur de vivre quelques moments importants de l’histoire d’un pays chargé d’espoirs et d’appréhensions d’une part et de découvrir de nombreuses facettes cachées d’une période transitoire assez difficile d’autre part. Cet essai facilite également la compréhension de plus près des problèmes majeurs de la Tunisie, notamment les agissements politiques et les défis socioéconomiques dont les gouvernements font face.

Avec ce livre, HBH s’est éloigné, un tant soit peu, de la posture traditionnelle d’un économiste idéaliste pour se positionner comme un praticien face à une réalité assez complexe. En même temps, il a réussi à valoriser quelques concepts de la théorie économique et les mettre au cœur de l’action publique.

Cependant, la lecture de cet essai fait ressortir un certain nombre de points mettant en difficulté l’acceptation d’un véritable constat insinué par l’auteur lui-même à savoir un bilan largement positif de son mandat à la tête du Ministère de l’économie et des Finances et une réussite inégalée du gouvernement Mehdi Jomaa dans son ensemble. D’ailleurs, au fur et à mesure que l’on avance dans la lecture des chapitres, on perçoit de plus en plus le caractère présomptueux de l’auteur. A aucun moment, HBH avoue avoir fait des erreurs (notamment celles liées aux hypothèses sur lesquelles la loi de finances 2015 a été élaborée), ni se repositionner par rapport à des décisions anodines (tel que le prélèvement imposé sur les salariés de la fonction publique), ni reculer par rapport à des propositions déplacées (à savoir le désir d’instaurer une taxe sur les actes de mariage par exemple)!  

Ce n’est qu’à l’épilogue que HBH semble enfin prendre du recul et confier à ces lecteurs que faire partie d’un gouvernement de technocrates n’est pas chose facile et que, pour réussir la gestion des affaires publiques -aussi compliquée soit-elle dans une période de transition- il faudrait réunir un certain nombre de conditions. L’auteur reconnaît explicitement dans ce cadre qu’il était contraint (ainsi que tout le gouvernement Jomaa) par le manque d’appui politique et législatif, la courte durée de vie du gouvernement et la multitude d’ajustements apportés (ou imposés) à son programme d’action.

HBH et la «feuille de route économique»: le véritable bilan

Objectivement, et loin de toute perception ou généralisation, l’évaluation du passage de HBH à la tête du Ministère de l’économie et des Finances revient avant tout à vérifier si la « feuille de route économique » de l’époque a été minutieusement appliquée ou non. Selon ses dires, son engagement fut concentré essentiellement sur trois axes : la stabilisation macroéconomique, le redressement de l’activité économique et l’accélération du rythme des réformes structurelles.

Clairement, pour ce qui est de la stabilisation macroéconomique, HBH peut se réjouir des résultats réalisés. En effet, il a réussi à limiter le déficit budgétaire à 5% (après avoir frôlé le taux de 7% une année auparavant), à desserrer les tensions sur les prix (l’inflation est passée de 5.9% en 2013 à 4.8% en 2014), à garder une part non négligeable des ressources fiscales propres dans le budget de l’Etat (le taux est estimé à 74%) et à inverser la courbe du solde de la balance des paiements (passage d’un solde déficitaire de 1095MDT en 2013 à un solde excédentaire de 1595MDT en 2014). Mais en même temps, l’ancien Ministre ne doit pas ignorer non plus que cette stabilisation était assurée au prix d’une pression fiscale pesante (en % du PIB, le taux est passé de 21.7% en 2013 à 23.1% en 2014) et d’un endettement public accablant (en % du PIB, le taux est passé de 46.6% en 2013 à 50.8% en 2014).

A ce sujet très sensible qu’est l’endettement, il est à préciser que HBH continue d’estimer que les deux aventures liées à la sortie du gouvernement sur le marché intérieur pour mobiliser 955 millions de dinars en Juin 2014 et sur les marchés internationaux pour mobiliser 1 milliards de dollars en Janvier 2015 étaient couronnées d’un succès fabuleux. Cependant, rien qu’en sachant que la contribution des personnes physiques dans l’emprunt national n’a été que de 6% d’une part et que l’ex-ministre des Finances Lamia Zribi a fait mieux lors de la dernière sortie de la Tunisie sur le marché Européen d’autre part, on s’aperçoit que son constat est exagéré !

Pour ce qui est de redressement de l’activité économique, son bilan n’est pas très rassurant dans la mesure où le taux de croissance du PIB réel n’a été que de 2.3%. A comparer avec un taux légèrement supérieur réalisé une année auparavant (2.4%), année caractérisée par une crise politique aigue, l’ancien ministre ne doit pas être trop fier !

Il est à rappeler dans ce cadre que HBH a beau critiquer les politiques pro-cycliques et insister sur le fait qu’il a eu le mérite d’initier une politique de relance non conventionnelle à travers notamment la baisse de la TVA sur les investissements. Or, bien que l’intention soit bonne, le résultat n’a pas suivi et le taux d’investissement a plutôt reculé (passage de 20.2% en 2013 à 19% en 2014). Même le rythme d’exécution des dépenses d’investissement inscrites dans la loi de Finances complémentaire de 2014 a rétrogradé !

Enfin, pour ce qui est de l’accélération des réformes structurelles, l’ex-ministre a eu le mérite de faire des avancées dans de nombreux sujets : banques publiques, compensation, politique sociale, etc. A son actif figure surtout la finalisation des audits des trois grandes publiques, la soumission à l’ANC des projets de restructuration de la STB et de la BH, la finalisation puis le dépôt à l’ANC du projet relatif à la société de défaisance (Asset Management Company) ainsi que l’augmentation du SMIG.

Par ailleurs, au niveau d’autres réformes, non moins importantes, le travail a été limité à des consultations régionales et nationales et n’a pas pris la forme d’un engagement ferme sur des décisions stratégiques. Il s’agit notamment de la réforme fiscale dont le projet était déjà prêt, la réforme de l’administration (considérée par l’auteur lui-même comme la mère des réformes !) ainsi que plusieurs réformes sectorielles. De plus, dans sa vision pour ces réformes, il est clair que pour l’ancien ministre, la Tunisie doit s’adapter à la philosophie des institutions internationales et des agences de notation financière.

HBH et l’esprit de partage: un modèle à suivre

Hormis tout ça, le livre demeure tant bien que mal un document inédit marquant une partie de l’histoire économique de la Tunisie et pourrait être très utile, non pas seulement pour les économistes mais aussi pour les politiques, les historiens et les sociologues.
Malheureusement, depuis l’indépendance de la Tunisie, nous n’avons pas eu un foisonnement d’idées, d’essais ou de réflexions partagées par les hauts commis de l’Etat permettant aux intéressés de vivre les coulisses de l’action publique et

de comprendre le fond des décisions prises, surtout dans le domaine de l’économie et des Finances.

Il est à noter dans ce cadre que bien que nous n’ayons pas toujours cet esprit de partage chez les élites, ni souvent de belles plumes, les confrères de HBH ayant occupés (ou occupant toujours) les hautes fonctions sont appelés à suivre son exemple et à livrer aux tunisiens leur part de vérité, mais avec un peu plus d’objectivité et un peu moins de prétention !

Dr Aram Belhadj
Universitaire