Opinions - 24.04.2017

Lettre ouverte à Monsieur le chef de Gouvernement

Lettre ouverte à Monsieur le Président du Conseil des ministres

Monsieur, on vous a induit en erreur

Ayant suivi votre visite au gouvernorat de Sfax les 20-21 avril, j’étais vraiment ravi d’apprendre que vous ayez pris un faisceau de décisions salutaires et pour Sfax et pour sa région. Néanmoins, une décision m’a paru incongrue, vu qu’elle ne réponde, aucunement, à une demande réelle émanant de la société civile à Sfax, outre le fait que la prendre au sérieux ne peut qu’entrer dans le cadre de la dilapidation pure et simple des deniers publics, orientation dont je n’ose croire que vous vous y inscriviez.     

Monsieur, vous avez pris la décision de reconduire le projet de la bibliothèque numérique, projet chimérique par excellence, le mener jusqu’au bout rendrait toute notion de bon sens sujette à caution. Tout smartphone, toute tablette, tout ordinateur est une bibliothèque numérique en soi et en puissance; à quoi bon, donc, investir 18 milliards de millimes dans un projet dont la rentabilité est plus que douteuse. Tout l’argent qui lui sera alloué est un pur gâchis consumé au détriment  de projets viables, nécessaires et durables.

Monsieur, cette bibliothèque numérique est devenue une relique de la non regrettée défunte manifestation Sfax capitale de la culture arabe 2016; au demeurant, une relique à relent fétide. Comment expliquer que cette duperie a vu ses prévisions de financement grimper, sans commune mesure de 9,5 milliards de millimes à 18 milliards de millimes? Le terrain est acquis, le gros œuvre est bâti, en l’occurrence la majestueuse église catholique, parbleu, quoi faire de cette somme? Selon les concepteurs du projet et à leur suite le naïvisant comité directeur de cette manifestation pour construire au premier niveau un théâtre de poche, une salle d’exposition et un restaurant! donc rien de numérique n’y transparaît! Au niveau supérieur trois trucmuches appelés soucoupes volantes consacrées aux conférences, on cherche toujours le numérique! Finalement, dans un coin reculé du niveau médian on trouve un club internet, comme on en trouve dans les cités les plus isolées, ceci en guise de bibliothèque numérique! quel exploit? Oui, il y a exploit! Les promoteurs de ce projet ont su transformer une banalité des plus niaises, néanmoins perfide et intéressée, en un phénomène médiatique qui prend la forme d’une réponse de l’État à une demande comme étant émanant de la part de la société civile sfaxienne, ce qui est totalement fallacieux; pire, elle y est contre.

Monsieur, avec 18 milliards de millimes investis dans cette église, nous devrons avoir un condensé technologique au mètre carré qui surpasse tout ce que l’humanité ait conçu jusqu’à maintenant. D’ailleurs, pour l’anecdote, un ami m’a prévenu que normalement avec cette somme la cathédrale devrait pouvoir léviter sur place; bien sûr, toute cette boutade n’a de rôle que de frapper les esprits lucides.
Monsieur, l’État a alloué à la Sfax et à sa région dans le cadre de la manifestation Sfax capitale de la culture arabe 2016 une enveloppe initiale de 9 milliards de millimes gérée par le ministère de la Culture sur le budget de 2016; le 26 mai 2016 le Conseil des Ministres décida de rehausser la subvention à la dite manifestation à 30 milliards de millimes, le 2 juin 2016 le ministre des Finances annonça la bonne nouvelle. Les deux sommes, continuité de l’État oblige, sont devenues de jure et de fait assignées au bénéfice de la culture à Sfax, tout retranchement fait à l’une des deux sommes sera mis au compte de la méprise; tout peut mentir sauf l’État.   

Monsieur, il paraît que le comité directeur de la manifestation Sfax capitale de la culture arabe 2016 a dépensé 4,5 milliards de millimes, volatilisés dans des actions festives, parfois puériles, qui n’ont laissé que peu de traces. D’ailleurs, nous attendons le rapport détaillé moral et financier pour y voir plus clair. L’autre moitié égale à 4,5 milliards de millimes non dépensés plus la rallonge ministérielle de 21 milliards de millimes attendent toujours d’être dépensés hors d’atteinte du dit comité directeur dont le mandat a, heureusement, prit fin. 

Monsieur, au début de l’année en cours j’ai publié un article en deux parties dans un grand journal de la place où j’ai détaillé les tenants et les aboutissants des magouilles se rapportant à cette fameuse bibliothèque numérique. J’ai acquiescé à la décision du ministère des Finances de bloquer le financement du dit comité directeur qui n’a pas pu prouver le bien-fondé du gouffre monétaire que coutera la transformation de l’église catholique en espace de rencontre appelé faussement bibliothèque numérique. Grande fut ma surprise de revoir cette aberration renaitre de ces cendres lors de votre visite à Sfax!
Monsieur, aucun responsable ne vous a parlé de la magnifique médina de Sfax, normalement, ombilic des festivités de Sfax capitale de la culture arabe, le lieu vers lequel tous les regards devront être fixés. Sauf quelques endroits, tel le musée de la photographie, lequel risque de se volatiliser faute de subventions durable; autres, rien n’y est fait dans cette médina. Scandale et je souligne scandale les remparts, fierté de ville, laissés à l’abandon sont dans un état lamentable; alors que l’argent voué à la dilapidation pure et simple dans la fictive bibliothèque numérique aurait pu sauver ces murailles de la décrépitude avancée dont ils en sont victime.

Monsieur, la sauvegarde des remparts de Sfax n’est pas une action optionnelle dont l’État  peut se dérober; tout au contraire, c’est une action obligatoire. Mon argument est le suivant: jusqu’au XIXe siècle les Sfaxiens ont alloué des biens habous pour l’entretien en continu et des citernes de la Nasria et des remparts; deux binômes de voyageurs célèbres qui ont visité le pays à cette époque, les premiers Rabatel et Tirant, les seconds Servonnet et Lafitte ont témoigné que le fruit annuel de ces habous avoisinait les cent mille rials. Le 31 mai 1956, la Djemaïa des Habous fut dissoute, les habous qu’elle gérait devenaient propriété de l’État qui a pris l’engagement de subvenir au besoins des institutions et édifices dont elle était gérante; en l’occurrence les remparts de Sfax. Ne pas les entretenir malgré leur valeur historique est sentimentale pour les Sfaxiens, alors que l’État en est redevable; ou les entretenir à la va-vite, reviendrait à une virevolte honteuse de sa part, inacceptable et susceptible de provoquer des remous inattendus: Sfax sans ses remparts est une dame nue, Sfax avec ses remparts dans leur état actuel s’apparente à une dame digne et fière, néanmoins portant des habits éculés, avachis et affreux.

Monsieur, dans cette situation biscornue la responsabilité du ministère de la Culture est engagée, que ce soit au niveau central avec ses différentes ramifications ou au niveau régional  avec ses différentes antennes. On dilapide à bras ouverts dans cette satanée bibliothèque numérique, alors qu’on  estropie ce que de droit revenait aux beaux remparts de la ville. Au demeurant, les quelques restaurations faites ont laissé des murs dans un état lépreux, désagréables à la vue; alors que traditionnellement nos ancêtres, plus intelligents de ce côté-ci, protégeaient la structure interne des murailles par une épaisse couche de mortier de  type baghly très résistante aux éléments érosifs, puis ils les badigeonnaient continuellement par une couche de chaux qui donnait à la ville son surnom de Sfax la blanche, ville enveloppée dans un  sefsari de belle couleur, étincelante et immaculée, qui attirait l’admiration de tous ceux qui ont visité la ville au XIXe siècle.

Monsieur, le reliquat des subventions allouées à la ville dans le cadre de Sfax capitale de la culture arabe avoisine les 25,5 milliards de millimes devrait avant tout revenir à restaurer selon les règles de l’art les remparts de la ville et de l’extérieur et de l’intérieur, les rendre scintillant de blancheur comme ils étaient auparavant est une urgence. Ce qui resterait nous proposons qu’il soit alloué à la restauration des institutions religieuses intramuros de la même façon que celle  qui sera pratiquée sur les remparts; de restaurer la medersa de la rue el-Adoul, de sauvegarder le musée Dar el-Jallouli, de faire renaitre le théâtre de ses cendres, de transformer le local de l’ancien gouvernorat en musée archéologique, d’entretenir les maisons de culture dans les délégations. L’église sera transformée en une bibliothèque classique, sans les fioritures fantasmagoriques, prétendument numérique; une bibliothèque qui allégera le fardeau du surbooking dont est victime la bibliothèque de Chatt el-Kerekena.

Monsieur, j’ose espérer que je n’aie pas abusé de votre temps ou de votre patience. Charismatique, vif, jeune Président du Conseil, doublé d’un brillant ingénieur, vous savez, de vous-même, démêler l’ivraie de la bonne graine; influençable, vous ne l’êtes pas, ma plaidoirie n’a pas cette prétention.

Ali Bouaziz
Directeur du site Ibn Khaldoun
https://sites.google.com/site/ibnkhaldun21/
l’auteur publiera à la rentrée littéraire 2017-2018 deux livres consacrés à Sfax,
le premier: Sfax vue au XIXe siècle par huit voyageurs français;
le second, Évolution d’un site, de Taphrura à Taparura à Sfax.

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1 Commentaire
Les Commentaires
Ahmed Melki - 25-04-2017 18:45

Un texte bien construit, des idées claires et des propositions juteuses. On en demande encore.

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