Opinions - 13.04.2017

Une "Administration décentralisée performante" vue par l'entreprise privée

La réforme de l’Administration Publique pour une meilleure performance

A l'occasion du Tunis Économique Forum organisé par l'IACE, un débat a eu lieu sur "l'Administration décentralisée performante". Voici le point de vue d'un représentant du secteur privé, Mr. Nejib Chahed, de la commission économique, de l'UTICA.

Le but de mon propos, est d’apporter une modeste contribution, à notre débat sur « une administration décentralisée performante », à travers un éclairage du point de vue de l’entreprise. Dans le cadre de notre préoccupation d’aujourd’hui, on peut dans une première approche définir la décentralisation comme étant un processus par lequel l’Etat transfert des pouvoirs vers les collectivités locales, c’est à dire des personnes morales de droit public distinctes de lui même (et donc disposant de moyens de  budgets propres…)

Pour la commodité de l’analyse, plusieurs aspects de la décentralisation peuvent être distingués: décentralisation politique  (mise en place de collectivités locales visant à octroyer aux citoyens des pouvoirs de décision dans la conception et l’exécution de politiques)  administrative (transfert des pouvoirs administratifs), fonctionnelle (de gestion, de fonctionnement…) technique…

Il est clair, que dans le cadre de la politique de la décentralisation, la décentralisation administrative ne pourra prendre place que vers les entités composées d’élus c’est à dire que la décentralisation politique devra nécessairement précéder la décentralisation administrative  ou lui être tout au plus être concomitante.

La décentralisation administrative suppose de plus un transfert de compétences et de moyens, notamment humains. Elle implique donc de revisiter le statut de la fonction publique, ne serait ce que pour encourager les fonctionnaires « centraux » à s’installer dans les régions.

Par ailleurs, la décentralisation politique, quand à elle, est tributaire de la mise en place du pouvoir local  tel que prévue par la constitution (Art 12, 14, 65  et Art 131 à 142).

Décentralisation politique, décentralisation administrative, révision du statut de la fonction publique, réexamen de l’organisation et du mode de gestion de l’administration, reformatage du périmètre de l’Etat … tous ces éléments réunis et en interaction sont des composants d’un ensemble plus vaste : celui d’une réforme de l’Etat.

C’est par là qu’il convient de commencer en définissant un projet global, cohérent  avec les buts, les moyens, les étapes et l’horizon temporel.

Rien de plus important pour un investisseur ou une entreprise  que de pouvoir se projeter, de savoir où l’on va.

Quelles sont les attentes de l’entreprise sur ce processus?

Fondamentalement, d’être une contribution à l’amélioration du climat des affaires dans sa dimension régionale. Cela inclus non limitativement :  la diminution des coûts administratifs, la réduction des délais de prise de décision, la simplification règlementaire, l’amélioration qualitative des prestations, la réduction de l’emprise de l’Etat, la prise en compte effective de ses contraintes...

En l’absence de cet élément essentiel, que constitue le contenu du projet global de reforme de l’Etat, nous allons nous limiter,  à traiter, non exhaustivement, deux aspects portant sur:

  • Quelques uns des préalables essentiels à la mise en place d’une administration décentralisée performante
  • Les conditions minimales pour en assurer la réussite

A/ Préalables à la mise en place d’une administration décentralisée performante

  • Un Etat fort, qui se fait respecter, qui prend les décisions nécessaires et les fait appliquer sur tout le territoire de la République (ex Kerkennah), car il est le garant de l’unité nationale. Il doit également pouvoir surmonter les querelles régionales et tribales.
  • Un Etat qui doit démontrer son aptitude à juguler significativement la corruption et ses causes/conséquences tel que l’économie informelle. Le risque est grand de voir la corruption, avec ses moyens colossaux,  mettre la main sur les collectivités locales à peine naissantes
  • Volonté politique forte et affichée, avec un projet global clair et une continuité d’action
  • Très large et réelle concertation avec les intéressés : fonctionnaires, élus locaux, citoyens, entreprises…
  • Programme de communication et d’explication des enjeux (cela peut même être un thème fédérateur et mobilisateur si bien expliqué)

B/ Conditions minimales à la réussite d’une administration décentralisée performante

  • Encourager l’appropriation du projet par la Société civile
  • Définition claire de ce qui est attendu de la décentralisation.
  • Formation préalable des élus et agent publics, en insistant sur la nécessité de considérer l’Enterprise comme un partenaire incontournable et sensibilisation des citoyens à la nouvelle donne.
  • Promotion d’un partenariat actif avec le secteur privé en dynamisant le PPP actuellement peu attractif pour la décentralisation, particulièrement par élargissement de son champ (actuellement réservé à la continuité du service publique) ainsi que de son mode de gestion, et en favorisant une coopération accrue avec le secteur privé local qui peut apporter son expertise dans des domaines aussi variées que la formation des élus, services d’appui logistiques, services culturels, sportifs, informatisation des services, exploitation communes des ressources locales...
  • Mise place de mécanisme de concertation et d’évitement de conflits entre l’Administration Centrale et l’Administration Régionale pour contourner le risque de blocage.
  • Eviter la prolifération réglementaire car la décentralisation administrative doit concourir à raccourcir les délais et les coûts et à contribuer à l’amélioration du climat des affaires .
  • Résister à l’inflation fiscale locale en mettant en place un observatoire des coûts de la décentralisation 
  • Progressivité dans l’introduction de la décentralisation administrative, avec utilisation intensive des TIC
  • Utilisation du droit à l’expérimentation (droit constitutionnalisé en France) qui est une faculté donnée  à titre d’essai à une entité  pour appliquer une politique qui ne fait pas partie de ses prérogatives en attendant sa généralisation éventuelle. Ce droit est divisé en droit de l’expérimentation des compétences (permet de sélectionner les collectivités « avancent » et en droit d’expérimentation normative (réglementation).
  • Engager une culture de résultat avec redistribution d’une partie des économies au profit de l’administration décentralisée.
  • L’évaluation des performances nécessite une définition claire de la mission, d’objectifs, de moyens et d’un système de mesure  et de corrections. Les moyens à mettre à la disposition devront être en adéquation avec les missions  et objectifs assignés, particulièrement pour les  TIC.
  • Valoriser un climat d’émulation entre les régions, notamment grâce à la publication des  performances
  • Décentralisation réelle et concomitante des entreprises publiques (industrielles et administratives) constituant des services publiques.
  • Mécanisme de consultation avec la société civile sur la qualité des prestations.
  • Mécanisme simple et rapide de résolution des abus et autres excès des autorités régionales par mise en place d’un « médiateur » par district  pour solutionner le problème pouvant apparaitre lors de la mise en place et ultérieurement lors de l’entrée en vigueur affective de la décentralisation administrative

Conclusion

Bien sur, tous les aspects n’ont pas été abordés. Des éléments importants tel que les contours du découpage régional, le système de péréquation des ressources, l’exploitation des ressources naturelles ou le degré de décentralisation ont volontairement été laisser de coté afin de ne pas alourdir notre intervention et ont été bien mieux traiter par ailleurs. Nous nous sommes cantonnés aux plus significatifs à l’heure actuelle pour l’Entreprise.

De ce rapide  et non exhaustif survol, vous pourrez notamment observer, que pour toutes ces modalités, il n’a été à aucun moment question de quémander  de quelconques prébendes, contrairement à ce que l’on entend ici ou là. Juste une amélioration des conditions d’exercice de l’activité économique.

On le voit, réussir une décentralisation administrative performante n’est pas chose aisée.

C’est un processus dynamique, sans cesse renouveler, toujours perfectible car très sensible à son environnement et à  des aspirations nouvelles.
 
Cependant, la route est longue et périlleuse:

  • longue car c’est une œuvre de longue haleine qui nécessite beaucoup de travail, d’énergie et de moyens financiers. C’est probablement une affaire de générations
  • périlleuse car soumise à de nombreux et puissants intérêts et ambitions antagonistes

Mais cette route peut être aussi pleine de promesses: elle peut être une chance pour notre pays puisque c’est une page vierge qui s’ouvre en permettant d’améliorer significativement les conditions de vie locales, le climat des affaires et d’occasionner un surcroît de croissance si elle est convenablement managée, de la conception à la gestion opérationnelle en passant par la mise en œuvre. Et bien entendu si les éléments de succès cités précédemment sont présents.

 

 

Nejib Chahed
UTICA Commission Economique

Contribution au débat sur la réforme  de l'administration  publique
pour une meilleure performance dans la cadre de  "Tunisia Economic Forum"  organisé par l'IACE Tunis  le 6 avril 2017