Marioul Fadhila revient en force!
Qui l’aurait imaginé décliné en bikini ! «Marioul Fadhila», habituellement associé à un habit traditionnel d’intérieur un peu vieillot, sera bientôt vendu sous des formes plus affriolantes. Dépoussiéré, ce tricot vieux de plus d’un siècle est remis au goût de la mode. Version plus cintrée et déclinaison du motif qui caractérise la marque à des vêtements branchés et des accessoires féminins. L’initiative entend répondre à un raz-de-marée de messages médiatisés appelant à sa réhabilitation. Car depuis peu, le fameux tricot rayé à col rond, qui est à l’origine de ce que les stylistes du monde entier ont baptisé le «col tunisien», fait l’objet d’un véritable engouement viral sur Internet. A l’origine de ce regain d’intérêt se trouve «Be Tounsi», un collectif d’amateurs d’artisanat tunisien qui fait fureur sur les réseaux sociaux…
«Be Tounsi» n’a toutefois pas agi seul. Pour fêter le cinquantenaire de l’adoption de la marque Fadhila par l’entreprise de textile Bacosport, la remise au goût du jour du tricot dans une perspective de régénérescence du patrimoine tunisien était déjà prévue par les designers du groupe. L’initiative est prometteuse. Car en même temps qu’elle émane d’une volonté d’insertion de l’habit traditionnel dans la modernité, elle entend également opérer un retour aux origines en restituant à ce tricot tunisien le pouvoir de séduction dont il se prévalait au moment de sa création.
Aux origines du tricot, une histoire d’amour…
L’histoire originelle du tricot Fadhila est entourée de mystère. Selon la légende, il a été rendu célèbre par l’attractive femme de théâtre, comédienne et chanteuse Fadhila Khetmi, pour qui ce tricot à rayures a été spécialement conçu au début du siècle dernier par un artisan juif amoureux d’elle. L’élégance innée de cette femme publique ne manquera pas de hisser le tricot en véritable symbole de féminité.
Jusqu’à la fin des années 1960, l’exclusivité de la marque Fadhila était détenue par une entreprise de textile fondée en Tunisie par l’homme d’affaires tunisien David Sitruck. En 1957, lorsque celui-ci s’installe dans l’Hexagone, le tricot à l’aspect soyeux commence à achalander les boutiques des stations balnéaires prisées du sud de la France, notamment à Saint-Tropez. Et finit par être emporté par un véritable mouvement de mode, faisant ainsi office d’emblème du patrimoine vestimentaire tunisien. Dix ans plus tard, en 1967, Mohsen Ben Abdallah fonde le groupe Bacosport et acquiert la marque et l’exclusivité de la fabrication de «Marioul Fadhila» avec le dessin à rayures qui la caractérise.
«Premier habit tunisien à s’exporter, Marioul Fadhila a suscité l’engouement des amateurs de mode étrangers et fut arboré par des célébrités icôniques – Brigitte Bardot, Claudia Cardinale, Catherine Deneuve, etc., rappelle Sami Ben Abdallah, P.D.G. du groupe Bacosport. Mais l’intérêt porté par le public étranger pour ce tricot évolue de manière cyclique. S’il se vend depuis toujours à environ 5 000 pièces par mois, la répartition de la production entre marchés local et étranger varie selon le vent de la mode. S’il faut faire une moyenne, je dirais que le marché étranger absorbe 20% de la production.»
Vague Be Tounsi
Octobre 2016, le cinquantenaire de l’adoption de Fadhila par Bacosport approchait à grands pas. Le P.D.G. de Bacosport, Sami Ben Abdallah, accompagné de sa styliste Lamia (qui préfère rester anonyme), songe à remettre le tricot au goût du jour... sans se douter qu’un collectif d’internautes férus d’artisanat et d’habits traditionnels tunisiens l’aiderait spontanément dans sa démarche. Le collectif «Be Tounsi» commençait en effet à ameuter des milliers d’internautes tunisiens et à partager sur son compte Facebook fort de 38 500 abonnés des centaines de publications appelant à la renaissance (et la reconnaissance) des métiers de l’artisanat. Parmi ces dernières, des photos affichant des ribambelles de jeunes femmes vêtues de tricots Fadhila colorés et portés sur des jeans et des jupes. «L’enthousiasme suscité par ce mouvement de sensibilisation fut tel qu’il a permis une légère dynamisation des ventes du tricot dans la région du Grand Tunis», avoue Sami Ben Abdallah. Extériorisé après n’avoir été qu’un tricot d’intérieur, voire parfois une pièce agrémentant des tenues traditionnelles, le tricot change désormais de fonction. Il est en passe de devenir un pull stylé se mariant très bien avec des vêtements plus actuels.
Nouvelle collection en partenariat avec des designers tunisiens
L’enthousiasme suscité par la réhabilitation du tricot par «Be Tounsi» impulse au sein de Bacosport une volonté de renouveau et un regain de créativité. Pour l’été 2017, un ensemble de déclinaisons du motif de la marque Fadhila a ainsi été prévu. Bacosport compte pourvoir maillots de bain, sacs à main et robes de plage du signe distinctif du tricot tunisien. Avec toutefois une originalité : l’entreprise a décidé de ne pas agir seule pour s’engager dans le processus de réhabilitation de ce vêtement âgé de plus d’un siècle. Elle s’est entourée de stylistes et d’artisans parmi les plus reconnus en Tunisie afin que la modernisation du tricot ne trahisse pas son identité d’origine. Un repositionnement a également été prévu et les circuits de distribution des futurs produits Fadhila seront organisés en fonction de la clientèle ciblée. Si les souks continuent à commercialiser le tricot classique, à terme, tongs, tenues, sacs et autres accessoires haut de gamme qui se marient avec le produit de base seront disponibles dans certaines boutiques sélectionnées. «Avec des designers partenaires, nous avons conçu des maillots de bain intégrant à la fois le motif Fadhila et d’autres marqueurs visuels provenant notamment du design de la céramique tunisienne», précise le P.D.G. de Bacosport.
Un avant-goût de cette future collection a d’ailleurs été présenté au Salon international de la lingerie à Paris du 21 au 23 janvier 2017. «Les produits exposés ont trouvé un très bon écho chez les visiteurs, qu’ils soient tunisiens ou français, se réjouit Sami Ben Abdallah. Les photos de l’événement, largement relayées sur Facebook par le collectif ‘Be Tounsi’, ont recueilli des commentaires encourageants. Il est clair qu’il faut que nous poursuivions cette dynamique !»
Défilé de mode en avril
Et pour cause, un défilé sera organisé au mois d’avril à Tunis pour présenter la collection de l’été prochain. La collaboration de nombre de designers servira à donner un souffle nouveau au tricot, voire à le «sensualiser». L’idée est d’intégrer une réplique de la séquence de rayures de la marque dans la conception de toute une gamme tendance de nouveaux produits. Parmi les stylistes qui se sont associés à Bacosport figurent les marques «Stoushi», pour la conception de sacs, paniers et pochettes à motifs Fadhila, «Nuqush », pour les tuniques et sorties de plage en lin, et «Jasmin», pour la création de bijoux rappelant le tricot. Autre nouveauté notable : une version premium plus cintrée du tricot a été prévue. Un resizing du tricot classique est par ailleurs à l’ordre du jour. Il s’agit de répondre à une demande croissante exprimée par des femmes dont la taille n’est pas représentée dans le sizing actuel de la marque (pour le tricot classique, le seul produit Fadhila à être vendu actuellement, seules les tailles 2 et 3 existent). «J’ai décelé parmi les jeunes femmes une demande pour une version plus sexy et proche du corps du Marioul Fadhila, explique Sami Ben Abdallah. Raison pour laquelle nous avons déjà mis en vente une quantité réduite du tricot en version cintrée dans deux boutiques de prêt-à-porter de la banlieue nord. Cela nous a donné un avant-goût encourageant du futur écoulement de ce produit.»
L’artisanat tunisien s’inspirera-t-il de cette dynamique?
Pimenter un vêtement traditionnel pourrait faire de la marque Fadhila un modèle à suivre pour l’ensemble des métiers de l’artisanat en mal de reconnaissance dans un monde où les modes de consommation sont de plus en plus déterminés par l’hégémonie des produits industriels uniformisés. La ferveur dont font preuve les aficionados tunisiens face à la perspective de voir renaître un habit traditionnel séculaire servira-t-il alors d’accélérateur à un mouvement global de modernisation des produits issus de l’artisanat? Sami Ben Abdallah et ses partenaires l’espèrent. Autant qu’il a été une première dans l’histoire de l’exportation de l’artisanat tunisien, «Marioul Fadhila», grâce à sa réhabilitation branchée, pourrait fournir un précédent pour l’avenir du patrimoine tunisien. Le caftan marocain, dont la revalorisation et l’exportation ont été rendues possible grâce à sa remise au goût du jour, est à ce titre un exemple éclairant dont les artisans tunisiens devraient s’inspirer.
Néjiba Belkadi