News - 03.04.2017

Nos ancêtres les Arabes

Nos ancêtres les Arabes

«Car le mot, qu'on le sache, est un être vivant.»
Victor Hugo

L’entreprise n‘est pas nouvelle. Elle a eu des précédents prestigieux. Que l’on songe au livre de Henriette Walter et Bassam Barake, «Arabesques, L'aventure de la langue arabe en Occident», paru en 2006, à celui de Salah Guemriche, intitulé « Dictionnaire de mots français d’origine arabe (et turque et persane)» publié en 2007 et plus récemment en 2013 à l’ouvrage d’Alain Rey, «Le voyage des mots de l'Orient arabe et persan vers la langue française»…sans oublier le célébrissime et très ancien «Le soleil d’Allah brille sur l’Occident», publié en 1963 par la sulfureuse Sigrid Hunke…
L’entreprise n’est pas nouvelle, mais publier aujourd’hui, après les attentats qui ont ensanglanté la France et notamment ceux de Charlie Hebdo, du Super Cacher et du Bataclan, publier aujourd’hui en pleine campagne électorale et donc en pleine polémique sur l’identité et les ancêtres, un livre consacré aux mots français d’origine arabes et oser l’intituler, «Nos ancêtres les Arabes (ce que notre langue leur doit)»* voilà qui relève du courage, de l’audace pour ne pas dire de la témérité. Témérité car il y a fort à parier que ce titre constitue déjà une provocation aux yeux des racistes, des islamophobes et autres théoriciens du «grand remplacement démographique», ces semeurs de peur et de haine …

Cependant, l’audace ou la témérité ne signifie ni désinvolture, ni affirmation gratuite. Il s’agit ici d’un travail sérieux et scientifique dû à Jean Pruvost qui est professeur émérite de lexicologie et d’histoire de la langue française à l’Université de Cergy-Pontoise. Il est aussi président du Comité d’évaluation au CNRS et Il propose par ailleurs, chaque matin, des chroniques linguistiques sur France Bleu et sur Mouv’, où il est «Doc Dico» pour la chronique «Les mots du rap».

A chacun son barbare

Le lecteur a reconnu dans le titre de Pruvost le détournement de la fameuse expression d’Ernest Lavisse, l’historien et le pédagogue auquel est attribuée l’édification du «roman national» français.
L’auteur s’appuie sur des textes et des manuels de cet historien, certes patriote mais nullement chauvin ou xénophobe, afin de corriger la fausse image donnée du malheureux pédagogue. Il est vrai qu’il a forgé sinon popularisé l’expression «nos ancêtres les Gaulois», mais pour tout de suite les taxer de barbarie en comparaison avec le raffinement de la civilisation arabe: «suivons Ernest Lavisse du côté de la civilisation arabe, pour passer, selon ses mots, des « Gaulois qui étaient encore des barbares» aux Arabes, dont, déclare-t-il dans le résumé du chapitre qu’il leur consacre, «la brillante civilisation fut longtemps supérieure à celles des Occidentaux et influença heureusement celle-ci» (p.16)

Or les traces de cette influence heureuse, ce sont les mots arabes adoptés par la langue française et en usage fréquent voire quotidien encore aujourd’hui car comme l’explique Jean Pruvost : « Lorsqu'une civilisation prend de l'ampleur, qu'il s'agisse de son système de pensée philosophique ou religieux, de ses développements scientifiques ou techniques, des artisanats ou des arts qui la font rayonner, de fait, les langues qui sont à proximité, parce qu'elles sont confrontées aux activités d'échanges et aux fascinations diverses, empruntent invariablement des mots. » (p.58)
En fin pédagogue, souvent avec malice et par le biais de force anecdotes savoureuses, Le Professeur parvient à guider habilement son lecteur à travers les itinéraires parfois complexes et tortueux qu’empruntent les mots arabes dans leur voyage vers la langue française.

Les mots et les choses

En effet, l’apport lexical arabe au français se situe en troisième position après l’anglais et l’italien et il est, paradoxalement et étonnamment, cinq fois plus important que l’apport gaulois.
Afin de couvrir ce lexique qui concerne tous les aspects de l’existence, J. Pruvost en a dressé un abécédaire qui va de A comme abricot, algèbre ou alcool, jusqu’à Z comme zénith, zellige ou zéro, en passant, par exemple, par bardot comme Brigitte ; camelot comme certains hommes politiques ; douane que redoutent les trafiquants et les contrebandiers ; épinard dont raffole Popeye ; fatma comme la main et comme la psychiatre franco-tunisienne Fatma Bouvet de la Maisonneuve ; fanfaron comme beaucoup de nos compatriotes et la plupart des Arabes ; guitare, instrument que les intégristes veulent interdire ; gazelle comme la femme que les mêmes intégristes veulent voiler ; hasard qui n’existe pas pour certains et qui pour d’autres s’oppose à nécessité ; houri pour qui les Djihadistes se font exploser en vain puisqu’elle est éternellement jeune et surtout éternellement vierge donc qui ne fait pas l’amour à la grande frustration des autoproclamés martyrs ; imam qui doit se limiter à sa seule compétence, la direction de la prière ; jasmin comme la Révolution et comme l’odeur de ma nostalgie ; jupe, longue ou mini comme le désire la porteuse et non comme veulent l’imposer les moralistes et les ennemis de la vie ; café où la jeunesse tunisienne tue le temps et attend ; luth voir guitare, madrague voir bardot Brigitte ; moka voir kawa ; nénuphar dont une récente réforme de l’orthographe vient de lui faire perdre le ph ; ouate pour atténuer la puissance du haut-parleur qui appelle à la prière de l’aube ; poutargue en souvenir de la Kémia des anciens bars du Passage à Tunis ; quintal, au lecteur de compléter, je ne trouve rien ; le roque, valse entre le roi et la tour mais rien à voir avec le rock ; sucre, sorbet, sirop à éviter pour les diabétiques trop nombreux dans nos contrées; truchement, incroyable transformation de Tourjman ; tarif voir douane ; usnée, varan, uléma, wali , je sèche, je n’ai plus d’inspiration…

L’odyssée des mots

Ces mots viennent en français par différentes voies : les Croisades, les conquêtes arabes, le commerce, le rayonnement de Bagdad, de Damas et surtout de Cordoue, la colonisation, la décolonisation et enfin l’immigration. Par ailleurs, les emprunts peuvent être regroupés en deux types : les emprunts nécessaires qui concerne des objets, des concepts ou tout élément culturel ou civilisationnel inexistant dans la langue qui emprunte : ainsi en est-il de coton, orange, camphre par exemple et l’emprunt de luxe qui vient ajouter une plus-value à l’existant comme baraka, algarade, azimuts, truchement… Signalons enfin que les mots empruntés connaissent deux destins distincts : certains restent tels quels en français, gardant en quelque sorte leur identité comme les humains ainsi en est-il de Hammam, mufti, baraka. D’autres se transforment en s’adaptant à la langue d’accueil et parfois deviennent méconnaissables, ils s’assimilent en quelque sorte toujours comme les humains : amiral, aubergine, nacre…
Livre donc savant et agréable à la fois qui nous rend conscient de ces emprunts qui concernent tous les domaines de la vie et toutes les périodes et qui constituent des traces et des témoignages d’un passé et d’un présent communs.

Livre à la fois savant et savoureux qui administre un magistral démenti à ceux qui nient l’héritage arabe de l’Europe et de la France et qui montre la myopie des puristes de tous bords qui condamnent voire interdisent les mélanges, les métissages et les emprunts de toutes sortes. Il nous rend conscient des
mécanismes d’emprunts, de néologie et de lexicalisation à l’oeuvre dans toute langue et donc dans le parler tunisien et nous donne une idée de ce qu’il sera peut-être un jour : une langue à part entière. D’expression. De création. De culture. De science!

* Nos ancêtres les Arabes : ce que notre langue leur doit, Jean Pruvost, JC Lattès, 2017, 300p, 19€

Slaheddine Dchicha
 

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4 Commentaires
Les Commentaires
Touhami Bennour - 04-04-2017 00:38

Monsieur Dchicha ´merci de faire connaitre l´apport de la langue arabe á la Francaise etc. Le comble des denegations de l´Óccident de cette évidence. lá où je suis au nord de l´ Europe. on nie même les periodes historiques de civilisations. ( Mesotamie-babylone- Egypt, Grec.arabe et Occidentale. Tout est bon pour pouvoir denigrer les arabes. Ils nous disent qu´est.ce que vous avez fait maintenant, rien , Vous êtes en retard etc. mais je leur dis la civilisation arabe s´ est arretée en 1492 l´année de la decouverte de l´amerique. Ils ne veulent pas entendre parler de cette division historique en civilisations. Même si ils connaissent les ottomanes, pourtant eux ont pris la direction du kalifat aprés la chute des arabes. D´ ailleurs ce que vous avez annoncé datent du temps "arabe", c´est-á-dire du 8 eme siécle au 15 eme siécle. Ibn Rushd, Al Hasan, Avicenne etc sont de cette periode.

Salah Guemriche - 05-04-2017 00:48

Merci d'avoir signalé mon Ddictionnaire des mots français d'origine arabe". J'aimerais que l'auteur de l'article aille plus loin : il découvrirait combien l'ouvrage qu'il nous présente ici a puisé dans le mien sans sourcer ses références, notamment littéraires. Et il n'est pas le seul, hélas : un dossier est déjà entre les mains d'un avocat...Ma bibliographie fait 35 pages. Celle dudit auteur est inexistante. Et pour cause !... Cordialement Salah Guemriche

Slaheddine Dchicha - 08-04-2017 09:10

Cher Si Salah Guemriche Je ne manquerai pas de suivre votre conseil et de consulter plus attentivement votre Dictionnaire. En effet, M. Jean Pruvost, désirant peut-être s’adresser à un large public, a pris le parti de ne pas dresser de bibliographie et s’est limité en fin de son ouvrage, sous le titre « Parmi mes éveilleurs » à rendre hommage à ces personnes : Assia Djebar, Amin Maalouf, Bernard Cerquiglini, Claude Hagège, Xavier North, Alain Rey, Henriette Walter et son collaborateur Bassam Baraqué. Cependant, sans pour autant m’immiscer dans ce différent ni contester vos droits, je dois signaler comme vous l’avez bien sûr remarqué, que Jean Pruvost ouvre son premier chapitre et donc l’ensemble de son livre avec la mise en exergue d’un extrait de votre dictionnaire comme suit : « Il y a deux fois plus de mots français d’origine arabe que de mots d’origine gauloise ! Peut-être même trois fois plus… » Salah Guemriche, Dictionnaire des mots français d’origine arabe, 2007. Bien à vous, Slaheddine Dchicha

Jean Pruvost - 08-04-2017 15:12

Tout d’abord merci bien sincèrement, monsieur Dchicha pour l’appréciation chaleureuse de mon livre, pour sa lecture si précise et si fine, je l’ai en effet écrit avec cette volonté intense de rappeler combien la langue et la civilisation arabes ont été fondamentales pour la langue française et la culture européenne. Ensuite, le propos de M. Guermelich résulte sans doute d’une méprise, je n’ai pas du tout utilisé en effet son dictionnaire, mes seules sources ayant été les dictionnaires monolingues du XVIe au XXIe siècle (R. Estienne, Richelet, Furetière, l’Académie, Féraud, Larousse, Littré, le Grand Robert, le TLF) et mes lecteurs trouveront toutes les citations que j’ai présentées dans ces dictionnaires. J’imagine que l’ouvrage de M. Guermelich, que je n’ai pas consulté au-delà de la lecture de la préface,, et ce par principe propre à chacun de mes livres, ne souhaitant partir que des sources historiques, a déniché aussi et à bon escient chez Littré notamment, l’un de nos maîtres, de belles références communes à tous. Au reste, son intervention n’est sans doute pas menaçante, sinon j’y aurais perçu de la diffamation à ne pas laisser passer, et je pousse les lecteurs à se procurer les deux livres, totalement différents, une démonstration personnalisée et un grand dictionnaire, avec un même objet : souligner la beauté et l’influence capitale de la langue et de la civilisation arabes

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