Opinions - 15.03.2017

Un mode électoral, parfaitement adapté pour les Assemblées consultatives : la représentation proportionnelle

Un mode électoral, parfaitement adapté pour les Assemblées consultatives : la représentation proportionnelle

Par Habib Ayadi - Cette idée est attribuée au Général de Gaulle, après qu’il ait entamé en 1946 la longue « traversée du désert ».

L’on sait, qu’en France, l’élection de la première constituante (loi du 2 novembre 1945) et la seconde constituante (en 1946) s’est déroulée selon le mode de scrutin : représentation proportionnelle (intégrale) qui avait à l’époque les faveurs des partis de gauche et du Général de Gaulle.

Pour limiter les pouvoirs de la Constituante, le peuple français a été consulté au préalable par référendum (21 octobre 1945) sur une question : souhaitait-il l’élection d’une nouvelle Constituante et dans l’affirmative, convient-il de laisser celle-ci jouir d’une puissance illimitée ou s’opposer à cette « souveraineté » en donnant son accord à un texte préalable (une préconstitution) destinée à organiser les pouvoirs publics ?

Cette idée était inspirée avant tout par un mobile politique : il fallait trouver un système capable d’obliger la Constituante à ne pas se laisser entraîner par des préoccupations extra-constitutionnelles et perdre de vue sa mission principale, étant précisé que 70% des « oui » décident de limiter le pouvoir de la Constituante et adoptent le projet de loi d’organisation provisoire des pouvoirs.

Inaugurée en 1945 et consacrant le triomphe des partis de gauche (P.C. et SFIO) et un parti chrétien (le MRP), la proportionnelle n’avait point donné les résultats qu’espéraient leurs partisans. Comme le soulignait M. Duverger : les électeurs détestaient le système de « listes bloquées » qui leur laissait l’impression d’une carte forcée ; un régime électoral « impopulaire » et « détesté ». Ces jugements présentés par M. Duverger résument un sentiment partagé par les observateurs.

En 1951, une réforme électorale est intervenue, essentiellement dans la perspective de réduire la représentation du parti communiste et, dans une certaine mesure, du parti socialiste, et du parti gaulliste.

La loi du 9 mai 1951 combine apparentement des listes : représentation proportionnelle et scrutin majoritaire. Le scrutin majoritaire sera à deux tours (afin de permettre les désistements) et la proportionnelle (avec des listes départementales pour maintenir l’autorité des états majors des partis sur les élus).

Il ne fait de doute pour personne, en France, que ce mode de scrutin a contribué au malaise « institutionnel », « politique » et à la crise de « décroissance ».

L’élite au pouvoir n’était pas en mesure d’intégrer les besoins du moment, de proposer, en termes de normes et de réformes, des réponses aux questions posées et à la crise économique et financière.

Avec la Vème République, ce mode électoral a été abandonné et remplacé par un système uninominal majoritaire.

Si l’on compare la IVème République avec la Vème qui a pris sa suite, le nouveau mode de scrutin a coïncidé avec une plus grande stabilité politique et une meilleure efficacité économique et financière.

I-Le cas de la Tunisie

Quand on aborde, au terme de six ans, le système électoral d’après la révolution, une première remarque s’impose à l’observateur. Si l’avènement de la révolution a été marqué par quelques crises, des difficultés, et des faiblesses, on considère aujourd’hui que la première d’entre-elles est sans doute, le mode de scrutin.

La faute à qui ? A ce système électoral qui de facto, tue la politique et exclut de la compétition tous ceux qui pourraient apporter une contre-parole, qui pourraient engager le débat, appeler aux réformes et à un certain interventionnisme contre le chômage et son cortège de désintégration sociale, qui laisse les partis, nouvellement créés, ayant pour eux une faible assise populaire et politique et une faible maîtrise des politiques économiques, financières et sociales, débattre éternellement de la transition démocratique.

Le drame actuel de la Tunisie se situe au cœur du personnel politique. Le pays tout entier souffre depuis la révolution d’un refus de prise de conscience par les élites dirigeantes, politiques et syndicales du nouveau monde.

La mondialisation de l’économie et les technologies nouvelles ont provoqué une formidable accélération de la concurrence économique, politique et un bouleversement du monde de travail, exigeant des réformes qu’aucun gouvernement depuis 2011, ni de gauche ni de droite, n’a osé entreprendre et qu’aucun parti, ni syndicat n’a osé proposé. Pourtant, les machines de plus en plus intelligentes, annoncent la fin programmée des salariés.

Plus généralement, l’élite politique n’était pas en mesure de traduire en décisions cohérentes les besoins du moment et les attentes des masses tunisiennes, traumatisées par des décennies de despotisme et confrontée à un monde nouveau qui les contraignaient à affronter brutalement et très rapidement des rapports politiques, économiques et sociales, liés aux exigences des règles démocratiques, de la mondialisation de l’économie et des impératifs de la société technologique.

II-Le système électoral

Le système électoral n’est rien de plus qu’une machine de désignation des gouvernants. C'est-à-dire une pièce importante mais non fondamentale du système politique. Il ne peut être, par conséquent, apprécié, abstraction faite de l’ensemble institutionnel et politique qui l’intègre. Ce sont les détenteurs, à un moment donné, du pouvoir qui façonnent les règles du jeu par lesquels, ils se maintiennent au centre du processus de décisions. Ce qui revient à dire, à l’image du discours des marxistes, que le système électoral est façonné par la classe dominante pour maintenir sa domination de classe. Il est évident qu’actuellement en Tunisie, le système électoral a été forgé par certaines formations politiques aux fins de se maintenir au pouvoir et que beaucoup d’entre elles n’envisagent plus un autre système électoral qui les contraignent à se sacrifier sur l’autel de l’efficacité politique et la justice électorale.

Les débats, quand ils sont consacrés brièvement à la réforme du système électoral (même pour les élections municipales), aussi bien au niveau de la Constituante que l’Assemblée actuelle, sont d’une qualité fort médiocre. On en retire l’impression que chaque formation politique, parfois même chaque député, est prêt à sacrifier beaucoup sur l’autel de sa propre réélection. En effet, nul ne songe à remettre véritablement en question la représentation proportionnelle avec le plus fort reste. Le motif avancé est toujours le même : maintenir ce système auquel on est habitué, qui a les faveurs des grands partis et présente un avantage considérable à savoir éviter le saut dans l’inconnu d’un mode de scrutin nouveau.

S’agissant plus particulièrement des collectivités locales, le pouvoir constituant (article 131 et suivants) ne semble pas vouloir créer un véritable système politique  « local ». Les collectivités locales restent à la fois des institutions administratives et un contre pouvoir, face à l’Etat central. C’est une erreur de vouloir les politiser par un système électoral, comme la représentation personnelle, qui conduit à l’exclusion des compétences.

III-Rien ne changera

Comment dans ces conditions ne pas avoir la singulière impression que rien ne change, qu’on reste aveugle sur l’essentiel et qu’on ne tire jamais les enseignements des élections de 2014 et des avertissements des électeurs ?

Les dirigeants actuels manquent singulièrement d’imagination et d’audace. Pendant six ans, aucun des gouvernements qui se sont succédés, n’a tenu debout un projet de réforme crédible et applicable. Ils font du surplace, c'est-à-dire de l’immobilisme .

Leur manuel de survie, en matière politique, est de « décider de ne rien faire tout en donnant l’illusion de l’action ».

Les deux élections (2011 et 2014) n’ont pas de signification et n’ont pas de portée : l’électeur ne se prononce ni sur un choix d’un modèle de constitution, ni sur une politique, ni sur un programme de réformes, ni, le cas échéant, sur une majorité de gouvernement capable de proposer et d’appliquer un projet de réformes. Tout au plus, parmi les diverses formations politiques, essaie-t-il de choisir celle dont il considère qu’elle offre les meilleurs défenseurs de ses intérêts, de ses valeurs, des croyances auxquelles il adhère.

Le mode de scrutin a conduit à un renforcement du caractère idéologique des partis au pouvoir et de l’opposition. Chaque parti essaye de se constituer une clientèle, plus ou moins fidèle, en exprimant avec force les secteurs fondamentaux de ses croyances.

Le front populaire se veut la formation politique de la classe déshéritée, des ouvriers, des laissés pour compte,

Nida Tounis trouve ses électeurs dans les modernistes et dans la classe moyenne,

Nahdha : trouve ses électeurs dans les acquis aux valeurs islamiques.

On assiste à des étranges glissements des partis qui se transforment en groupes de pression mélangeant dans leurs discours, la notion d’intérêt national et la défense des revendications des catégories sociales qu’ils représentent.

IV-Le gouvernement d’Union nationale

C’est une innovation qui ne correspond pas aux réalités politiques du pays.

La chute du président Ben Ali, au terme de vingt trois ans, apparait comme l’indice frappant du décalage qui existe : un despote qui est prêt à tout pour rester en place et une société civile en plein devenir que le despote s’est acharné à étouffer, entrainant ainsi une faiblesse endémique des forces d’alternance, surtout au moment de cette rupture. Il n’y a de réel que la pesanteur d’une société imprégnée de valeurs islamiques.

Le 15 janvier, il n’existait que deux pouvoirs debouts : l’armée et l’UGTT auxquels, il faut ajouter un autre en puissance : les islamistes, bénéficiaires de cette pesanteur. A ce niveau, la décision de convoquer une Constituante est de lourdes conséquences. Elle a conduit, non seulement à la transformation d’une révolution socio-économique en une révolution politique, mais également à priver les partis d’opinion encore en formation d’agir en confiant le pouvoir au seul parti organisé : la Nahda. C'est-à-dire un parti fondé sur une idéologie. Or un gouvernement islamiste, vertueux par conviction, ne peut normalement être soumis aux contrôles d’une assemblée élue, mais seulement à la propre conscience de leurs leaders. On s’en remet, pour apprécier l’intérêt public, à la vertu considérée comme étant le grand ressort du système islamique, oubliant cependant que le changement brusque de la société politique a pour conséquence l’expression de revendications nouvelles (surtout en matière économique et social) et d’impatiences populaires, jusque là non formulées ou du moins tenues, à l’écart des centres de décisions.

Quant à Nida Tounès les circonstances de sa victoire étouffent sa victoire. Il était bénéficiaire en 2014 de l’humeur des tunisiens du moment, c'est-à-dire le rejet par  fatigue, agacement ou allergie de l’immobilisme de la Troika et l’agitation du président de la République. Il constitue aujourd’hui une majorité disloquée et désaccordée qui ne cache plus aucune de ses divisions, ni de ses divergences. Il gère le pays sans unité et sans vraie légitimité.

La gauche de son côté, a bénéficié depuis le début de la révolution, de l’indulgence de la plupart des médias et de la complicité de nombreux intellectuels. Parce que cette frange de la classe politique monopolise le romantisme du pays et une bonne part de l’espoir, il est difficile de la critiquer sans être qualifié, au mieux de cynique, au pire de fâchiste.

Elle semble, pourtant, n’avoir pas compris que son discours tourne à vide. Elle est, jusqu’à présent, incapable d’offrir un scénario cohérent, une vision qui aide les tunisiens à surmonter les craintes de la situation de crise actuelle. Elle le sait fort bien et elle est donc inapte à gouverner.

La cohabitation difficile dans le gouvernement d’union nationale de partis qui, d’une part n’ont pas de masses pour tenir le pays et procéder à des réformes et d’autre part, restent enfermés chacun dans son univers idéologique, n’aident pas à la mise en œuvre des réformes.

Précisément, l’expérience montre que ces partis sont à la fois des associés et des rivaux et plus la majorité se croyait solide, plus chacun des partis qui la compose est tenté de défendre ses intérêts propres.

Est-il possible, à l’heure actuelle, d’être aussi sévère à l’égard du mode électoral en vigueur ? La réponse affirmative semble seule s’imposer. Nul ne doute, au moins dans l’opinion, de la nécessité d’un changement de ce mode électoral.

Sur un échiquier politique, devenu méconnaissable, les tunisiens jouent leurs parties sans grande conviction. Jamais le rejet de la politique ne s’est autant manifesté. Aujourd’hui, il se complique, car aucun des partis en présence n’est en mesure de promettre qu’il puisse gouverner et procéder aux réformes « drastiques » et non « cosmétiques » nécessaires pour faire sortir le pays de sa crise.

Traitant de la responsabilité du mode électoral sous la IVème République, J. Georgel considère que  « les trois plans : gouvernement, parlementaire et électoral sont indissolubles parce que unis par un même ciment : l’incohérence, germe de l’instabilités. Pour détruire cette gangrène, il faut prendre le mal à sa base et s’attaquer au problème électoral ».

La situation en Tunisie n’est pas différente. Il est urgent de réformer le mode électoral, de dissoudre l’Assemblée actuelle et de procéder à de nouvelles élections. En effet, en présence d’une constitution qui semble avoir remis l’exercice du pouvoir aux partis politiques, considérés comme seuls aptes à l’exercer, parce qu’ils expriment seuls les attentes des tunisiens, tous les partis doivent normalement converger vers deux buts essentiels : la restauration de l’autorité et du prestige de l’Etat et la sortie du pays de la crise économique et sociale. En fait, il n’en est rien. La faiblesse actuelle de l’assise populaire de ces partis et par voie de conséquence de l’absence d’un consensus général, est la cause de toutes les difficultés du pays. L’effectivité nécessaire de la démocratie conduit forcément à retourner au peuple, seul détenteur du pouvoir.

Habib Ayadi
Professeur émérite à la Faculté des sciences
juridiques, politiques et sociales
Tunis II

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