Opinions - 02.02.2017

Taoufik Habaieb: Ces contre-feux...éteints

Taoufik Habaieb: Ces contre-feux...éteints

Attention danger ! Face à la dégradation continue de son image, la Tunisie semble résignée, incapable de réagir. S’il n’est pas salafiste, le Tunisien est, aux yeux du monde, terroriste, immigré clandestin, dealer, assassin de la voisine, agresseur de vieilles dames, brigand, que sais-je encore ! Aussi brillants qu’ils puissent l’être, que ce soit en médecine, en sciences physiques, mathématiques et autres disciplines, beaucoup de nos compatriotes sont tout simplement occultés, victimes de l’amalgame.

Jadis sous le charme de la Tunisie et des Tunisiens, le monde s’en est rapidement dépris. Comme si nous étions à l’origine de tous les malheurs de la planète. Attisé par des médias populistes, ce faux procès se trouve nourri d’abord par les nôtres, mais aussi par ceux qu’on croyait des amis et des alliés à l’étranger.

Avec beaucoup de cynisme et de schizophrénie, certains de nos dirigeants politiques donnent libre cours à longueur de tribunes et de déclarations à la presse étrangère à un discours clivant, exhalant la haine et la rancune. Ils exportent au monde, sans le moindre scrupule, leurs attaques contre leurs rivaux, remettant en cause les avancées accomplies, entretenant ainsi un climat délétère propice à la violence et aux tentatives de déstabilisation des contrebandiers et autres hors-la-loi. Ils ne font que jeter de l’huile sur le feu déjà allumé à l’étranger par ceux qui se croient autorisés à juger de la réalité de la Tunisie, sans se demander qui en sont le plus responsables, ni mettre en exergue ses potentialités.

A la limite, une certaine presse européenne est libre de ses sentiments, même si on doit se demander ce que nous avons fait, en toute éthique, pour réduire leur capacité de nuisance. Mais que des députés, comme récemment en France, Guy Tessier et Jean Glavany, versent dans la stigmatisation, cela doit nous interpeller. De la réalité, ils n’ont perçu qu’un pan. Du potentiel, ils ont omis l’essentiel. C’est leur liberté. C’est notre responsabilité.

Pour certaines grandes puissances, la Tunisie est perçue essentiellement comme un foyer de terroristes, voire comme l’ultime rempart qui protège l’Europe contre l’immigration clandestine et l’afflux des terroristes. Au pire, l’ignorer, s’en détourner, s’en prémunir. Au mieux, renforcer son rôle de gardecôtes.

Pour les voraces dans le monde des affaires, notre pays ne vaut que par les contrats juteux qu’il pourrait leur concéder. Pendant qu’on y est, pourquoi n’exigeraient-ils pas ouvertement une discrimination positive en leur faveur?

Les dégâts en matière d’image sont catastrophiques: tourisme, investissement et candidats au voyage en sont les toutes premières victimes. Dès lors, qui se hasarderait à venir chez nous en vacancier ou pour y investir ? L’impact — convenons-en — est immédiat sur les comptes de la nation. La dépréciation de l’image d’un pays, d’un peuple, d’une nation ne se limite cependant pas à l’immédiat. Il faut compter au moins une génération – 25 ans— pour qu’on puisse espérer la voir se redresser. Par nos actes, par notre silence, nous ne scellons pas uniquement notre sort, nous condamnons aussi et surtout les générations futures.

C’est là une responsabilité de l’Etat ! Le capital-image, c’est l’essence même du capital-pays. On ne se mesure plus à l’aune de la population, de la superficie, du PNB ou du taux de croissance, mais à celle de l’image de marque, de l’attractivité, de l’appréciation…

On doit reconnaître que face à cette débandade tous azimuts, l’Etat est défaillant. Ni vision, ni stratégie, ni structures, ni compétences, ni budgets dédiés. A Carthage, comme à la Kasbah, on pare au plus pressé ! Au ministère des Affaires étrangères, la diplomatie publique reste un voeu pieux. Les ambassades et les consulats à l’étranger sont-ils suffisamment outillés pour s’acquitter de cette tâche fondamentale qui est la leur, avec l’efficience requise ? Les ministères du Tourisme et de l’Investissement, l’Ontt, la Fipa et le Cepex aussi. Il en va de même pour tous les autres départements concernés.

C’est contre-feux éteints que le pays semble avancer. Mais l’Etat n’est pas le seul responsable. Il doit rallier à cette oeuvre de valorisation de l’image de la Tunisie la classe politique, les élites et les acteurs économiques et sociaux, tant il est vrai que ce qui est en jeu, c’est en fin de compte notre capital commun.«Tirons notre courage de notre désespoir même», disait Sénèque.

Taoufik Habaieb


 

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7 Commentaires
Les Commentaires
Bouzaiane - 02-02-2017 16:04

Merci, Si Taoufik pour cet agréable article venant d’un tunisien qui veut bien défendre son petit, pauvre pays par les moyens dont il dispose. Cependant, si tout le monde attaque et agresse l’état comme il le peut, qui va la défendre, comment, et par quels moyens ? Du simple citoyen au plus intellectuel, tout le monde se décharger sur l’état. Mais qui est ce supposé méchant état qui dérange les Tunisiens ? Comment est-il constitué ? Qui l’a choisi pour nous ? N’est-il pas l’image de notre peuple? Comment faire pour le redresser ? Est-il possible? Qui va le faire ? Comment le faire ? Comment savoir que notre image s’est vraiment détériorée ? Qui a changé en nous ? Comment s’est-il produit ? Est-ce récupérable ? Comment et jusqu’à quand ? Est-ce prémédité, pour nous affaiblir et nous rendre encore plus dépendants des finances et des armes des autres ? Est-ce prémédité, en vue de faciliter l’accès à nos capitaux matériels et immatériels ? Dans tous les cas, nous devons être solidaires devant tout danger qui commence par la fissuration de notre société. La conjoncture est difficile pour tous les pays et sont nombreux nos concurrents dans tous les domaines qui ont intérêt à ce que nos images soient moins belles que les leurs. Optimisme, patience, assiduité et travail sérieux, diffusion de la concorde et réduction progressive de la haine ne peuvent que renforcer notre lutte contre les maux et les dangers endogènes et exogènes. Nous devons restaurer par tous les plus beaux moyens nos images qui étaient ravissantes aux yeux des amis, ennemis et faux amis. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Combien de temps nous faut-il pour digérer la démocratie et ne pas la confondre avec autres choses? Merci encore si Taoufik pour votre bel article.

Nejib A - 02-02-2017 17:11

Le paradox intérieur, c'est que certains considèrent qu'il s'agit de terroristes alors que d'autres les considèrent Djihadiste . On gagne le paris le jour ou le permement Tunisien vote une loiq ferme sur ce sujet

nebli youcef - 02-02-2017 18:05

L'article révèle deux maux majeurs de la Tunisie en matière de politique étrangère: - Attisé par des médias populistes, [le] faux procès [Comme si nous étions à l’origine de tous les malheurs de la planète] se trouve nourri d’abord par les nôtres, mais aussi par ceux qu’on croyait des amis et des alliés à l’étranger. Faut-il alors préciser le sujet indéterminé ON. En tout cas, certains citoyens savent bien qui sont nos véritables amis. - certains de nos dirigeants politiques ne font que jeter de l’huile sur le feu déjà allumé à l’étranger par ceux qui se croient autorisés à juger de la réalité de la Tunisie, sans se demander qui en sont le plus responsables, ni mettre en exergue ses potentialités. Nous pouvons alors nous demander pourquoi ces dirigeants ne sont pas encore jugés?

Ezzeddine Ben Hamida - 02-02-2017 18:55

Votre article est tout bonnement excellent : lucide et limpide. Toujours aussi distingué et un plaisir de vous lire. En effet, je vis en France et il est vrai que notre image souffre de beaucoup d’amalgame et de raccourcie. le pire, si l'Habib, même des universitaires font aujourd'hui cet amalgame destructeur ! Certes, nos dirigeants assument, comme vous l'avez souligné, une part de responsabilité dans la dégradation de l'image de notre pays, mais les médias français en assument, aussi au moins une partie. La surenchère médiatique de certains événements n'a fait qu' accentuer la banalisation de la stigmatisation des arabes et des musulmans. L'étiquetage des maghrébins est devenue une monnaie courante dans certaines "formulations de style" de beaucoup de journalistes. Amitiés.

Fakhri - 02-02-2017 19:47

Indeed, you have very well articulated the sad feeling of any Tunisian patriot, wherever they may be. Not sure if we could get back on our feet and say with pride again "I am Tunisian". Despite the achievements of many of our colleagues in Tunisia and throughout the world, we feel shy these days to say we are Tunisians. A minuscule portion of our politicians (especially those populist) and other lost souls, who were brainwashed to follow the "Devil" are causing the most harm to the reputation of our dear country and its peaceful citizen.

Charly - 03-02-2017 09:24

Ami de la Tunisie depuis 1966 et ayant investi en Tunisie je suis un peu déçu de l'attitude de certains cadres tunisiens. Manque de dynamisme et de décision. Au sujet du tourisme tunisien j'ai fait parvenir une idée a un ancien cadre du ministère du tourisme qui pourrai sauver vos hôtels vides. Mais pas de suite!! cg

Beltaifa - 03-02-2017 10:32

Ce n'est plus la dégradation de l'image de la Tunisie qui inquiète, c'est la dégradation de la Tunisie cher Taoufik. Je m'étonne que la Tunisie continue à attendre désespérément des gestes de ses amis qui l'aident peu sans être plus exigeante vis à vis de ses fils et notamment de ses élites qui ne font que selon leurs intérêts individuels ou partisans ! Une mascarade au vu et au su du reste du monde à l'exclusion des tunisiens eux-mêmes qui continuent à vendre une démocratie arabe sans acheteur, à faire semblant d'avancer tout en reculant, à afficher une ambition et une fierté de grands avec des moyens de petits sans être clairs ni sur la cible ni sur la trajectoire, juste une approche d'union nationale masquant des intérêts partisans ! Aucune chance de crédibilité à l'international ni sur le plan diplomatique ni sur le plan des affaires tant que l'élite tunisienne n'est pas crédible auprès des tunisiens avec des réalisations réelles au delà d'une démocratie sans programmes que nous sommes prêts à décliner au niveau local, d'une sécurité fragile, d'une administration corrompue et de politiciens ne pouvant légiférer ni même réfléchir au delà du mandat que leur donne leurs bailleurs de fonds ! Le jour où les tunisiens auront une approche collective solidaire déterminée et sincère, la dégradation de la Tunisie cessera et le progrès sera de nouveau un espoir accessible. Certains considèrent que ce serait une révolution, oui et ce serait une vraie, beaucoup plus bénéfique.

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