Opinions - 11.01.2017

Lettre ouverte aux syndicats et au Ministère des affaires sociales à propos des jeunes laissés-pour-compte

Lettre ouverte à Messieurs et mesdames des syndicats et du Ministère des affaires sociales à propos des jeunes laissés pour compte dans les quartiers populaires

Je voudrais parler de cette jeunesse des quartiers populaires de la capitale où fleurit le trafic de drogue et les différentes formes de délinquance. Ces quartiers dont on parle rarement comme «zones marginalisées» et pourtant les souffrances des hommes, des femmes et des enfants qui y vivent sont incommensurables et tristement durables. En effet ils sont les premières victimes du trafic de drogue, de la violence, de la maladie, de la suspicion des forces de l’ordre, de la pauvreté, des emplois précaires et du chômage. Pourtant l’envie de s’en sortir ne manque pas. Beaucoup investissent leurs maigres ressources qui pour l’éducation de leurs enfants, qui pour une formation professionnelle, qui pour émigrer légalement sinon clandestinement. C’est que les jeunes sont avides de modernité, et comme toute population, celles de ces quartiers renferment des talents dans de nombreux domaines qui n’attendent qu’à être détectés et développés.

Le hasard a voulu que je rencontre un jeune de 28 ans qui vit dans l’un de ces quartiers. Son vécu est on ne peut plus édifiant sauf que ce jeune a néanmoins la chance de vivre dans une famille unie, une mère éduquée et artisane et un père qui occupe un petit emploi dans une organisme public.

N’ayant pas réussi à l’école publique et après un passage à vide, ses parents l’ont inscrit dans une école privée où il est arrivé au niveau bac tout en séchant beaucoup de cours!! Mais c’est ainsi, l’école privée a des soucis pécuniaires non de formation effective. Il faut dire que la motivation de ce jeune et les conditions de l’enseignement sont plutôt douteuses. Sa seule motivation est de justifier d’un niveau pour espérer décrocher un emploi. Entre temps il a travaillé épisodiquement comme ouvrier du bâtiment. L’argent gagné, il l’a utilisé pour suivre une formation en informatique dans une institution privée. Dès l’âge de 21 ans notre jeune a commencé à cumuler les emplois précaires avec des revenus qui ne dépendent ni de l’engagement du travailleur ni de sa compétence mais principalement de l’éthique des employeurs.

Avec son niveau bac et son attestation de formation en informatique, notre jeune a pu décrocher un emploi contractuel dans une multinationale. En plus d’un contrat de 6 mois renouvelable par tacite reconduction, l’employé reçoit une formation pour assurer une fonction de contrôle qualité. Le salaire est alléchant mais le contrat est rompu dès que la velléité de titularisation a pointé à l’horizon. Une fin de contrat sans remise à l’intéressé ni d’une attestation de travail, ni d’une attestation de qualification validant la formation reçue. Donc retour à la case de départ, de nouveau chômage sinon quelques recrutements à la journée! Arrive quelque temps après une opportunité d’emploi dans une entreprise étrangère. Cette fois c’est un contrat « ouvrier » de deux mois renouvelable par tacite reconduction avec remise d’une copie à l’intéressé. Cette fois la rupture du contrat arrive après 5 mois à peine. Encore une fois l’intéressé ne reçoit ni attestation de travail, ni attestation de formation. La seule pièce dont il dispose c’est une copie de son contrat rédigé en français et une fiche de paie de son dû de congé payé.

Ce qui m’a poussé à partager cette expérience d’un jeune issu d’un quartier populaire de la capitale c’est d’abord, à travers un exemple, attirer l’attention sur le vécu d’une population dont les conditions de vie dans un univers aux horizons bouchés expose à tant de dérapages et de souffrances. Ensuite c’est le déséquilibre flagrant dans les contrats d’emploi précaire entre les intérêts de l’employeur et ceux de l’employé. A la lecture du contrat que cette entreprise qui a employé le jeune en question et qui emploie 1500 personnes on relève beaucoup d’exigences que doit respecter l’ouvrier contractuel et peu de garanties en sa faveur. Recruté en tant qu’ouvrier contractuel, il est tenu d’exercer ses fonctions « dans la société ou tout autre lieu où elle serait susceptible d’installer son siège», «d’effectuer des déplacements temporaires n’entraînant pas de changement de résidence», mais «la société n’est en aucun cas responsable des frais de transport que peuvent engendrer les déplacements entre le domicile et le lieu de travail en dehors des indemnités légales». N’ayant pas reçu sa fiche de paie, le contractuel peut ignorer ce que représentent ces indemnités. Le  tarif horaire est précisé dans le contrat soit 1,913 D ainsi que le régime de travail de 40h/semaine mais aucune information sur les tafs des heures supplémentaires ni sur le travail posté. Cependant «l’employeur se réserve le droit de répartir l’horaire de travail durant la journée ainsi que de travailler par groupe si la nécessité du travail s’impose» et le contractuel «déclare d’avance l’accepter» mais qu’a-t-il pu comprendre de cette disposition? Un horaire de travail variable? Un travail posté avec roulement de 2 postes? 3 postes? L’ouvrier occasionnel devra aussi «respecter les objectifs fixés par l’employeur. La non réalisation de l’objectif constitue, sauf circonstance exceptionnelle, un motif légitime de rupture de contrat.» L’employeur se réserve le droit d’affectation et de mutation dans l’une de ses agences. En signant le contrat l’ouvrier accepte de se soumettre à une autre demi-douzaine d’obligations professionnelles sous peine de rupture de contrat.

On peut comprendre que l’organisation a ses contraintes et ses exigences de performance et de résultats qui imposent une discipline et des devoirs à remplir par tout employé. Mais en contrepartie et lorsqu’il s’agit de recrutement « temporaire d’un personne considérée comme non qualifiée, une politique socialement responsable et équitable devrait reconnaitre au travailleur le droit de valider une expérience et de faire valoir une formation fusse-t-elle de courte durée. En refusant de lui fournir une attestation de travail mentionnant la fonction assurée et la formation reçue, l’entreprise lui enlève un moyen et une chance de trouver un autre emploi. En agissant ainsi, l’entreprise laisse planer le doute sur les raisons de rupture du contrat de l’intéressé qui pourrait être légitime ou abusive lorsque, pressentant une qualification chez la personne recrutée comme ouvrier ou après l’avoir soumise à une formation, on l’a affectée à un poste plus qualifié sans lui verser le salaire qui va avec. Elle enlève les moyens de négocier un nouvel emploi et un salaire décent en l’absence de preuve d’expérience reconnue.
Quelle leçon tirer de cette expérience?

  • Développer une stratégie nationale pour une amélioration des conditions de vie, pour l’emploi et l’éradication de la délinquance dans les quartiers populaires qui enserrent les grandes villes,
  • Introduire dans le code du travail une clause faisant de l’attestation de travail un droit des travailleurs qu’ils soient occasionnels ou contractuels.

Riadh Zghal