News - 20.12.2016

Mohamed Yalaoui reçoit de beaux hommages posthumes à Jendouba

Mohamed Yalaoui reçoit de beaux hommages posthumes à Jendouba

Le Professeur Mohamed Yalaoui était, incontestablement, une très grande figure de l’Université tunisienne. Dans le domaine des lettres et des sciences humaines, rares sont ceux qui, comme lui, ont marqué la scène académique, pendant près d’un demi-siècle, par une activité aussi intense  et aussi fructueuse en matière de production scientifique et d’encadrement. Son magistère s’étendait avec un bonheur égal à l’enseignement, la recherche en littérature, l’édition des textes et la traduction. Même ceux qui ne partageaient pas ses choix, en certains domaines, reconnaissaient, sans hésitation, au grand disparu sa grande science, son altruisme exemplaire et son abnégation sans limite. Le cercle de ses grands amis dépassait largement le domaine de sa spécialité.

Sa disparition, le 1er juillet 2015, a affligé tous ceux qui l’ont connu de près à l’Université, à Beït al-Hikma ou dans les fonctions politiques qu’il a assumées pendant de courtes périodes. Lors des oraisons funèbres prononcées à l’occasion de ses funérailles, dans les jours qui ont suivi ses obsèques, au cours de la cérémonie du Quarantième de son décès et au cours de l’hommage qui lui a été rendu à Beït al-Hikma, le 4 décembre 2015, des témoins  de premier rang ont rappelé utilement les grands  mérites de celui qui a toujours travaillé  dans la discrétion à laquelle se tiennent les vrais savants.

La reconnaissance méritée des autorités universitaires

Une plaque commémorative a été inaugurée, le 17 novembre dernier, au campus de Jendouba, par le ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique. Elle rappelle, en plus du parcours académique du Professeur  Mohamed Yalaoui, les attaches qu’avait le grand universitaire avec Jendouba, sa ville natale ainsi que les éminentes fonctions académiques et autres qu’il a assumées tout au long de sa vie marquée par le labeur. S’y trouve aussi la mention du don de la bibliothèque de Mohamed Yalaoui à l’Institut Supérieur des Sciences Humaines de Jendouba. Ce geste est doublement significatif. Il signifie un don post mortem d’une part de soi-même, quand on sait ce que représente une bibliothèque de recherche dans la vie d’un savant. On y trouve aussi la sensibilité d’un homme de science à l’indigence cruelle des bibliothèques des établissements d’enseignement supérieur tunisiens, particulièrement en dehors de la capitale. De la part de Mohamed  Yalaoui, le geste ne constituait pas une première. En 2004 puis en 2008, il avait offert à l’Association des Anciennes du Lycée  de la rue du Pacha (AALP) deux lots de sa bibliothèque constitués, au total, de près de 500 ouvrages.

Dans un geste de reconnaissance supplémentaire, les autorités universitaires ont décerné le nom de Mohamed Yalaoui au campus de Jendouba. L’initiative est assurément louable. Elle vient s’ajouter, à une trentaine d’années d’intervalle, à un geste comparable entrepris en faveur de Amor Saïdi, un éminent historien natif de Jendouba, disparu tragiquement alors qu’il faisait, lui aussi, partie de l’équipe scientifique de Beït al-Hikma et dont le nom a été donné au complexe culturel du chef-lieu des ’’Grandes plaines’’.

La troisième initiative, en quelques semaines, est venue des disciples et collègues de  Mohamed Yalaoui qui ont organisé, le jeudi 15 décembre, une demi-journée d’étude à l’occasion de la Journée mondiale de la langue arabe. Au cours de la deuxième partie de la rencontre, a été mis en exergue le soutien apporté par Mohamed Yalaoui à la langue arabe. Cette rencontre avait été précédée de la publication d’une belle brochure dans laquelle ont été consignés les actes des hommages rendus au défunt à Beït al-Hikma particulièrement par ses disciples et ses collègues. Le meilleur hommage rendu aux savants n’est-il pas celui de leurs pairs?


De son vivant, Mohamed Yalaoui avait reçu plusieurs hommages : en 1998, de la part de ses disciples et collègues de l’Université ; en 2010, de la part de Beït al-Hikma dont il allait devenir membre en 2012 ; en 2014, de la part de l’Université de Jendouba. Plusieurs décorations et prix lui avaient été décernés. Mais l’hommage posthume de l’Université de Jendouba a une connotation particulière. S’y exprime la reconnaissance d’une jeune université de l’intérieur au fils prodige de la région qui, en plus de sa dimension nationale et universelle, avait un ancrage dans le terroir qui l’a vu naître et dont il s’est toujours montré digne.   

N’est-il pas possible de faire plus et mieux?

N’aurait-il pas été bien mieux de donner le nom de Mohamed Yalaoui à l’Université même de Jendouba plutôt qu’à son campus? Ainsi, la visibilité de l’hommage aurait été plus grande : le nom aurait été célébré partout et continuellement, y compris dans les documents officiels, urbi et orbi.

Jusqu’ici les universités tunisiennes, qui n’ont généralement pas de véritables campus, ont eu des appellations très discutables se limitant à l’indication des villes qui les hébergent et affublées parfois de ’’précisions’’ préjudiciables. ’’L’Université de Carthage - 7 novembre’’ en a été une triste illustration. Les figures les plus illustres de notre longue histoire, y compris celles du monde des Sciences, des Lettres et Arts ont eu, au mieux, droit à un amphithéâtre ou à un couloir. C’est le sort réservé, entre autres, au célébrissime Ibn Khaldoun.

N’est-il pas temps de donner aux conseils élus des universités tunisiennes le droit de choisir les  noms de leurs établissements à l’image de ce qui se fait sous d’autres cieux ? Ce serait là une preuve de maturité, six ans après l’institution de l’élection des présidents des universités censée inaugurer la grande marche vers une vraie autonomie de ces institutions académiques. Une telle initiative pourrait avoir à affronter la frilosité des autorités gouvernementales certainement jalouses de leurs prérogatives traditionnelles. Mais il y aurait, pour le moins, moyen de transférer l’attribution étatique au Conseil des Présidents des Universités, la plus haute autorité académique du monde universitaire, qui entérinerait les choix faits par les conseils des universités. La Coordination des Présidents des Universités pourrait œuvrer en vue de cette évolution.

Houcine Jaïdi
Professeur à l’Université de Tunis