Opinions - 07.09.2016

Le désastre Managérial des Entreprises Publiques Tunisiennes: Un modele de management insensé

Le désastre Managérial des Entreprises Publiques Tunisiennes: Un model de management insensé

Les ministres du gouvernement d''union nationale, fraichement nommés, disposent d’un levier majeur pour améliorer considérablement la situation des Entreprises Publiques tunisiennes (EPT), et par la même occasion, leurs résultats financiers qui impactent considérablement le budget de l’état. Un ancien ministre des finances m’indiquait qu’il y a quelques années que la contribution au budget de l’Etat  d’une seule de ces entreprises s’est élevée à plus 1,7 Milliard de Dinars.  Sauf erreur, le budget de l’Etat pour cette même année était au tour de 23 Milliards de dinars, ce qui correspond à une contribution de plus de 7% pour cette seule entreprise.  Pour l’avoir accompagnéE en 2014, j’ai pu constater que cette même grande entreprise était déficitaire de plus 300 millions de dinars en 2013 et elle l’est peut-être, encore plus aujourd’hui.

Ce levier stratégique réside incontestablement dans le changement total du modèle de management de ces grandes entreprises et inévitablement de certains de leurs dirigeants, qui sont trop souvent formatés par et pour ce modèle désastreux. Il faudra aussi admettre que les grands Patrons ne sont pas légion, ni en Tunisie, ni ailleurs et que ce n’est pas avec des salaires de programmeur informatique de base qu’on pourra les attirer ou les retenir.
Ces dernières années, j’ai eu l’occasion d’accompagner quelques unes de ces entreprises publiques et j’ai pu constater que le désastre des modèles de management mis en place par ces entreprises est dramatiquement le même, tant par sa nature que par son amplitude. C’est donc une urgence de premier ordre que de changer ce modèle de management qui concerne des dizaines de milliers, voir des centaines de milliers d’employés et impacte lourdement les finances de l’état.

Modèle de management

Le Modèle de Management d’une entreprise est l’ensemble des processus et des pratiques managériaux qu’une telle entreprise met en place pour:

  • réaliser ses activités,
  • Accomplir sa mission
  • Et Gérer ses ressources

Tous les grands spécialistes du management vous diront que pour être efficace et performant, un tel modèle doit accorder une priorité absolue aux  5 dimensions suivantes:

  • Le rôle moteur de l’encadrement
  • La Gestion efficace des Ressources Humaines,
  • La satisfaction du Client (ou de l’usager en cas de service public)
  • La qualité du système d’information
  • La pertinence du processus de suivi et d’évaluation des performances

Pour ma part, cela relève de la conviction inébranlable. Cette conviction est fondée sur une expérience de 20 ans, passées dans deux grandes multinationales, à Paris, Londres et Bruxelles, dans différentes fonctions managériales  et de direction générale.
Le travail d’accompagnement, que je mène depuis 2009 auprès des entreprises et des administrations en Europe et en Tunisie, sur des questions de management, de bonne gouvernance et de gestion de Ressources Humaines, n’a fait que renforcer cette conviction. Mais, le travail avec les EPT m’a malheureusement aussi permis d’effectuer le constat suivant : Les grandes entreprises publiques tunisiennes sont toutes malades de leur Modèle de Management. Ce constat peut paraître excessif, mais Il ne l’est pas, il est seulement objectif et sans concession:

Avant de traiter un par un les principaux dysfonctionnements de ce modèle de management des EPT, voici ci-dessous une illustration du modèle de Management que je propose souvent aux entreprises :

Dans ce modèle, le « Rôle moteur de l’encadrement » et la « Gestion des Ressources Humaines » constituent le socle ;  La « satisfaction du Client » (ou l’usager dans le cas des administrations) est le centre du modèle.
Quant au « Système d’Information » et au « Processus de suivi des performances et d’évaluation », ce sont des outils indispensables pour la bonne gouvernance de l’ensemble.
Comme on va le voir dans les paragraphes suivants, ce sont en effet les 3 premières composantes qui constituent malheureusement les maillons faibles du modèle de management des EPT, et la principale source de ses dysfonctionnements.

Dysfonctionnement n°1: Le poids excessif de la tutelle et l’absence du Rôle moteur de l’encadrement

Dans un modèle efficace, La Direction générale est responsable pour définir  la vision, la mission, les objectifs, la stratégie et les valeurs de l’entreprise. L’encadrement est la courroie de transmission de toutes les décisions stratégiques de la Direction Générale, vers l’ensemble des collaborateurs de l’entreprise. De sa capacité à intégrer, supporter et communiquer la vision, la mission, les objectifs et les valeurs de l’entreprise et à donner l’exemple dépendent les degrés de motivation, d’engagement et de satisfaction des collaborateurs.

Si, ni la Direction Générale ni le reste de l’encadrement ne sont ni préparés, ni formés, ni même chargés d’effectuer ce travail, il n’y aura pas de rôle moteur de l’encadrement. C’est malheureusement le cas dans la plupart des EPT.
Ceux qui persistent parmi les dirigeants de ces grandes entreprises, et qui s’aventurent à vouloir changer des choses se heurtent systématiquement à la sacro-sainte approbation préalable du ministère de tutelle, même lorsque cela relève profondément de leurs fonctions de dirigeants d’entreprises. J’ai personnellement vu un PDG d’une grande entreprise nationale attendre plus de 18 mois l’approbation de son organigramme par un service administratif de son ministère de tutelle. (en 18 mois, j’ai aussi vu un groupe de 100 000 salariés décider et  déployer un changement total de son organisation et sa stratégie à travers le monde. C’est un paquebot géant dont on a changé l’orientation et j’ai eu la chance et la fierté d’être sur ce paquebot et de participer comme tous les cadres supérieurs de  l’entreprise aux manœuvres).  Il  y a de quoi décourager les dirigeants les plus motivés et de quoi les pousser  vers l’indifférence et le désengagement. 

Par effet de dominos, le désengagement de la Direction générale amène celui de l’encadrement, qui amène à son tour celui des collaborateurs.

La règle est simple: Si un manager est exemplaire ses collaborateurs finiront par le copier, s’il ne l’est pas ils commenceront par le faire.
Une deuxième règle que j’aime souvent citer : Gérer le changement dans une entreprise, c’est comme nettoyer un escalier ; c’est de haut en bas que cela se passe, pas l’inverse.

Dysfonctionnement N° 2: L’administration du Personnel n’est pas la GRH (Gestion des Ressources Humaines)

Une administration du personnelle, n’est qu’une partie infime de la GRH. Elle ne permet pas d’assurer le développement, la motivation et l’engagement des salariés. Pour cela, Il faut des vraies politiques appropriées de recrutement, de formation, de gestion des carrières, de rémunération, d’évaluation des performances, de communication et de suivi de la satisfaction des salariés.
Seules des telles politiques, soutenues par des valeurs partagées d’entreprise (concernant l’éthique,  l’effort au travail, le travail en équipe et la recherche de la performance) peuvent garantir la motivation et l’engagement des salariés et par conséquent assurer ou du moins faciliter grandement l’atteinte des bons résultats.
Comme la nature a horreur du vide, lorsque ces politiques et ces processus de GRH sont inexistants, ce sont d’autres mécanismes, souvent conflictuels qui gouvernent la relation entre le management et les salariés et la confiance entre Direction Générale et salariés est tout simplement rompue. 
La GRH est un métier qui requiert des réelles compétences et sans être une vocation, elle exige un état d’esprit et une sensibilité importante aux questions sociales. Elle est loin d’être une pure question administrative.

Dysfonctionnement N° 3 : Dans «Entreprise publique» il y a «Entreprise»

Il faut aussi s’arrêter quelques instants sur cette similitude insensée qui fait qu’on applique aux entreprises publiques  le même modèle de management (à quelques variantes prêt) que les services et administrations publiques.
Cela aussi est un non sens!

Les entreprises publiques (particulièrement celles relevant d’un secteur concurrentiel) sont d’abord des entreprises ; elles ne peuvent donc être gérées comme des services publics.  Elles sont destinées à faire des profits, même si ces profits sont réalisés pour le compte de la collectivité nationale, représentée par l’état.  Alors dans ces entreprises, la performance, le profit et la satisfaction du client doivent être des valeurs fortes de leurs cultures d’entreprise. Mais, encore faut-il en avoir une culture d’entreprise.

Il est évident que celles parmi les entreprises publiques, qui assurent aussi un service public vital pour la population, comme l’eau, l’électricité ou le transport ferroviaire,  doivent être gérées selon un modèle de management spécifique qui tient compte de leur rôle de service public, mais aussi de leur réalité d’entreprises ; Il doit allier Efficience pour protéger les intérêts de l’état représentant la collectivité nationale et qualité de service pour protéger les usagers (clients).

Dysfonctionnement N° 4: L’ingérence excessive des Syndicat dans des processus clés de management

Entendons-nous bien, je fais partie des gens qui sont profondément attaché au droit syndical et convaincus du rôle indispensable des syndicats pour la protection des salariés et l’amélioration des conditions de travail. Je suis persuadé que dans les grandes entreprises Européennes, que je connais bien, les conditions de travail des salariés n’auraient jamais étaient aussi développées aujourd’hui, sans le travail syndical passé et présent.
En Tunisie et avec l’UGTT, cela prend une dimension encore plus grande, compte tenu du rôle historique de la centrale syndicale dans le mouvement de libération et de son leadership dans le quartet qui a permis l’aboutissement du dialogue national de 2013.

Cependant, il faut veiller à ce que ce que la belle histoire écrite par des générations de syndicalistes patriotes ne puisse être émasculée  par une conduite irresponsable, perpétrée par certains au nom du droit syndical. Une attitude dépourvue de tout attachement à l’entreprise et à l’intérêt collectif réel des salariés.

Cette attitude anéantit le rôle moteur de l’encadrement  et la relation de confiance entre le management et ses équipes et même entre les équipes.
A titre d’exemple, on m’a rapporté à plusieurs reprises, dans différentes entreprises publiques tunisiennes que j’ai pu accompagner, que la note attribuée à un collaborateur par son manager directe, dans le cadre du processus d’évaluation des performances, a été changée par la direction du personnel à la demande des syndicats, ou que les notes d’évaluation ne peuvent être baissées en cas de baisse des performances, car les syndicats s’y opposent. Lorsque j’entends cela,  je ne peux m’empêcher de dire qu’on marche sur la tête. C’est celui qui travaille plus et mieux qui est pénalisé, on ne reconnait pas son effort.

Conclusion

A la fin de cette analyse, et par analogie au modèle normal de management présenté précédemment, on pourrait presque présenter le modèle de management des entreprises publiques tunisiennes comme suit: 

Nous sommes en effet en présence d’un problème réel de gouvernance qui ne peut durer. S’agissant d’entreprises d’Etat, la volonté politique devient la clé principale, si on veut sauver ces entreprises, garder des dizaines de milliers d’emplois et améliorer les finances de l’Etat, qui trouvait autrefois dans certaines de ces entreprises une source financière non négligeables pour boucler son budget.

Dr Houcine ABAAB
Expert auprès des organisations internationales (Banque Mondiale et BERD)
Enseignant universitaire auprès de l’Ecole Centrale Supélec Paris
Consultant et formateurs auprès des entreprises et des administrations publiques
Ancien cadre supérieur et dirigeant des groupes Xerox Europe et Manpower Europe Moyen orient et Afrique


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7 Commentaires
Les Commentaires
DOGUI Mohamed - 08-09-2016 09:17

Bravo pour cette analyse! La notion même de "management" et de gestion des ressources humaines me semblent absente de entreprises publiques tunisiennes. Je le constate quotidiennement dans les EPS (entreprise publique de santé), appelées aussi CHU.

sami - 08-09-2016 09:32

18 mois pour un organigramme monsieur que est ce que vous dites que l'attendons depuis plus de 5 ans

Fathallah Bechir - 08-09-2016 10:40

Je remercierais beaucoup Leaders de bien vouloir me communiquer les coordonnées de l'auteur de cette opinion laquelle se rapporte à un Secteur censé contribuer à la dynamisation effective de la vie économique dans le pays, mais lequel se trouve bloqué par la suite de la bonne-mauvaise volonté de la Tutelle, non pas pour la concrétisation des objectifs assignés à l'Entreprise , mais plutôt pour garder le P-DG sous sa coupe. Ancien P-DG non pas d'Entreprises Publiques, mais Semi Publiques et même Anonymes avec une participation négligeable de l'Etat au Capital des Entreprises que j'ai eu à gérer : STIL, SERGAZ, SODEPS...

RAYAN - 08-09-2016 17:32

Le diagnostic est pertinent... Aujourd'hui la situation du pays impose des sacrifices pour pouvoir imposer un modèle de management acceptable par le haut et par le bas dans nos entreprises publiques..... - l’état d'esprit pour accomplir sa mission déplorable..... - l'engagement et le professionnalisme de chacun faire semblant de faire son travail.. - le respect de chacun pour réussir ensemble un esprit collectif pour le bien de tous....

Slah kanoun - 09-09-2016 12:46

Les conseils d'administration des banques publiques ont été composés toujours des hauts responsables de l'administration ou de PDG d'autres sociétés nationales.quant aux PDG,ils étaient nommés par les collaborateurs de Ben Ali selon leur allégeance aux membres des familles régnante. Lorsque en 2015, le ministère des finances a lancé son appel à la candidature, pour le recrutement de nouveaux membres des CA des 5 banques publiques, j'ai cru que c'est une démarche rationnelle qui va ouvrir une nouvelle ère pour l'instauration de la bonne gouvernance. J'ai participé et j'étais retenu au CA de la BNA pour soit disant une période de3 ans et j'étais avec un autre membre avec moi les deux uniques banquiers dans les CA des 3 grandes banques publiques. Le reste des membres sont soit des hauts cadres des ministères soit des professeurs universitaires. Et avec tous mes respects aux uns et aux autres ,leur apport ne peut être efficace qu'avec la présence de banquiers qui disposent d'une connaissance approfondie des spécificités des métiers de la banque. Mais,et ce qui était étonnant, c'était la décision bizarre et insensée de M Slim chaker d'écourter mon mandat et celui du deuxième banquier et de nommer à nos places un prof universitaire et un haut cadre de l'administration. Pire encore , le ministre n'a voulu dévoiler les raisons de sa décision bizarre et a refusé ma rencontre malgré mes multiples requêtes. Autre bizarrerie :jusqu'à ce jour les 3 banques publiques n'ont pas de président de CA.!!!

adil boutda - 09-09-2016 18:15

Au Maroc : 1/ Les patrons des grandes entreprises publiques, sont nommés par Dahir et "échappent" ainsi à l'emprise de leurs ministères de tutelle. Leurs salaires sont alignés sur le privé dont ils sont souvent débauchés. 2/Les syndicats ont été domestiqués depuis une dizaine d'années.

chachia mohamed lotfi - 17-09-2016 07:15

désormais:les P-DG/Ou encore les président des CA des entreprises publiques ou semi publiques (comme les banques) sont et seront toujours " chargée de mission" améliorer ou mettre à genou l'entreprise en Possession, et ce pour servir le pouvoir ( à tord ou a raison)" el bilik" est malheureusement présent dans l’esprit du dirigeant et du citoyen employer, cadres compris .

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