News - 07.08.2016

Sadok Belaid : Ah!... Si tous les progressistes de Tunisie se donnaient la main...

Sadok Belaid : Ah!... Si tous les progressistes de Tunisie se donnaient la main...
Toutes les difficultés politiques de la Tunisie depuis les élections de novembre 2014 sont la conséquence directe du ‘POSTULAT DU BRISTOL’ (août 2013) de la prétendument nécessaire coopération entre deux partis antagonistes, par lequel le chef du parti victorieux à ces élections, Nidaa (86 sièges et, 1.270.000 voix), a conclu un arrangement inattendu et contre nature avec son adversaire déclaré d’hier, la Nahdha, en vue de l’instauration d’un ‘Duumvirat des deux Cheikhs’, au motif de la nécessité d’ouvrir avec elle une ère de ‘coexistence pacifique’ et même, de coopération positive. 
 
I - Cette entente contre nature a été dénoncée comme une ‘trahison’ par le ‘Centre-Gauche’ de l’opinion publique, et notamment, par l’électorat féminin, qui a massivement voté en faveur de Nidaa et de son chef pour conjurer le danger de l’idéologie rétrograde et antiféministe d’un ennemi commun, la Nahdha.  
 
A l’époque, il a été argué de l’impossibilité de conclure une alliance alternative suffisamment solide et durable avec les trop nombreux et trop petits partis du ‘Centre’ et de la ‘Gauche’ et ce, en dépit des tentatives infructueuses de les regrouper dans un ‘Front’ uni autour d’un certain nombre de principes ‘révolutionnaires’ diamétralement opposés à l’idéologie islamiste et rétrograde de la Nahdha.
 
La conclusion de l’accord d’août 2013, alors tenu secret, représente donc, une rupture arbitraire et anticipée avec l’idée d’une alliance ‘Centre-Gauche’. Or,  les résultats des élections ont montré qu’une alliance était possible, et parfaitement négociable : Selon la Constitution (article 89-2), en effet, il revient au parti victorieux – Nidaa – de présenter son candidat à la formation du futur gouvernement. Il n’était donc, pas impossible que ce parti, avec ses 86 sièges, puisse négocier avec les autres partis du ‘Centre’ et de la ‘Gauche’ – ou du moins, certains d’entre eux –, une alliance au nouveau Parlement, et ainsi, éviter de tomber dans les bras de la Nahdha, comme cela a été le cas. Nous avons été parmi ceux qui ont mis en garde contre cette alliance contre nature (v. La Presse, 1er novembre 2014) et, nous avons préconisé une association des forces du progrès autour d’un ‘pacte national’ arrêté d’un commun accord.
 
Dans l’analyse citée, nous avons soutenu l’idée que, tout compte fait, il n’y avait que deux scenarii possibles de constitution d’un gouvernement et que seulement l’un des deux pôles politiques est capable de réaliser cet objectif. - Quels sont donc, ces deux solutions, ‘impossible’ pour l’une et, ‘possible’, pour l’autre ? – Revenons à la situation de novembre 2014. 

Le scenario ‘impossible’ est celui de la constitution d’une majorité – et donc, d’un gouvernement – autour de la Nahdha

A notre avis, ce scenario était politiquement ‘impossible’ pour la raison suivante : Nahdha avait 69 sièges au Parlement. - Pour réunir la ‘majorité absolue’ (109 voix) exigée par la Constitution (article 89-5) pour la constitution d’un gouvernement, Nahdha aurait donc, besoin de 40 voix supplémentaires. – Or, l’analyse de la distribution des sièges entre les différents partis (13) représentés au Parlement et des divergences idéologiques qui séparent ces derniers, montre que, si on exclut les voix ‘instables’ de divers micro-partis (env. 10), il aurait été difficile, sinon impossible, pour Nahdha de réunir les 40 voix nécessaires pour combler son déficit. En d’autres termes, la constitution d’un gouvernement Nahdha ou dominé par elle, dans ces conditions, aurait été très difficile, pour ne pas dire impossible. 

Le scenario ‘possible’ – à notre avis, du moins -, aurait été celui de la constitution du nouveau gouvernement par Nidaa

Ses 89 sièges font de lui, le pôle d’attraction et de négociation le plus puissant au sein du Parlement. Pour réunir une majorité au Parlement, ce parti aurait besoin d’un supplément de 23 voix, seulement. L’observation du panorama parlementaire donne fortement à penser que Nidaa pourrait aisément obtenir le ralliement des 23 députés nécessaires pour constituer un gouvernement à la fois solide, durable et homogène : En tout cas, cela aurait été beaucoup plus facile que pour la Nahdha (déficit de 40 voix)… 

Pourquoi donc, les choses ne se sont-elles pas passées de cette manière-là?

A notre avis, la raison déterminante en a été que l’accord de Paris sur le ‘duumvirat du pouvoir’ a été déjà conclu (plus d’une année avant les élections législatives de 2014) et… qu’entre gentlemen, un accord conclu est sacré et ne peut être unilatéralement ‘abjuré’. – Il est superflu de s’interroger alors, sur les profondes motivations tues de l’entente entre les deux Cheikhs… 
 
Dans ces conditions, il n’était nullement surprenant que les choses se mettent à grincer dès avant la naissance officielle du premier gouvernement Essid (26 janvier 2015) et que, durant les 18 mois de son existence, ce gouvernement restera le gouvernement mal-aimé et, ensuite, le gouvernement rejeté, pour finalement, être tout simplement mis sans grand ménagement sur la voie du départ … - Une première conclusion s’impose déjà : La mésalliance des deux contraires a abouti à un cuisant et humiliant échec politique de la ‘Révolution’ et à une abyssale crise nationale multiforme d’un peuple qui a cru avoir fait une révolution dans l’espoir de connaître des jours meilleurs… 
 
II – Nous sommes de ceux qui ont la naïveté de croire que les mêmes causes produisent les mêmes effets et qu’il faut donc, tirer les leçons des expériences du passé… - Nous allons montrer que ces sages propos trouveront application dans la lecture de la crise actuelle du pouvoir et,  imposer une deuxième conclusion, incontournable : Pour sortir de la crise, il faut, purement et simplement, rompre avec le malencontreux ‘postulat du Bristol’. Cet accord, qui est un mariage contre nature entre deux contraires inconciliables, a conduit à des résultats catastrophiques pour le présent, et pour l’avenir de ce pays. Politiquement, économiquement, socialement, culturellement, ce pays est assis sur un volcan de contradictions, de blocages, de démobilisations, de désespérances et de trahisons. Il ne peut souffrir une prolongation ou une réédition des désastres passés : la ‘Troïka I’ et la ‘Troïka II’, la double ‘période glaciaire’ qui les a suivies, l’incertitude de l’avenir, le désenchantement, la pulvérisation de l’équilibre politique et partisan initial et, la grave dénaturation des lois et des institutions, déplorés par l’opinion publique, dans sa très grande majorité…
 
Cette indispensable dénonciation de l’accord de Paris est-elle faisable ? – A première vue, nous sommes au grand regret de dire que cela semble bien difficile pour les raisons suivantes :

i- Le potentiel ‘Pôle du Centre-Gauche’ est  lourdement compromis et bien difficile à reconstituer, sans parler de la perte importante de sièges (plus ou moins 19, selon le cours du jour…) subie par le noyau dur de ce pôle, Nidaa,

ii- L’intrusion dans ce ‘noyau dur’ d’intérêts mafiosi sans cesse grandissante et malfaisante,

iii- L’infiltration non démentie d’un zeste de népotisme avec ses désastreux effets partisans, institutionnels et politiques, et surtout,

iv- … La montée vertigineuse du ‘Pôle de la droite’, la Nahdha, dénoncée comme ‘un Etat dans l’Etat’. – Il faut mesurer l’ampleur du danger que cette évolution comporte. 

A l’occasion de l’éclatement de la récente crise gouvernementale, on a vu la Nahdha lancer divers ‘ballons d’essai’ et, par anticipation et en utilisant à la perfection le ‘double langage’ et les déclarations contradictoires, faire état de ses exigences pour la prochaine formation du gouvernement, qui se formulent en deux points :

i- Faire partie de la future équipe gouvernementale et,

ii- Exiger un nombre de portefeuilles ministériels quantitativement et qualitativement en rapport avec son poids au sein du Parlement : En clair, il s’agit purement simplement de transposer au niveau des institutions gouvernantes de l’Etat du ‘Duumvirat du pouvoir’ conclu entre les deux Cheikhs à Paris en 2013. 

A y regarder de près, il s’agit bien d’autre chose, encore : La monopolisation duelle du pouvoir se traduira par l’exclusion ou à tout le moins, la marginalisation des autres partis, et par l’instauration d’un état de ‘guéguerre permanente’ entre les deux ‘faux frères’, ou d’une franche prééminence de l’un des deux alliés au détriment de l’autre, avec les risques de perturbations probables et graves de l’action du gouvernement. 
 
Ces perspectives si peu encourageantes peuvent parfaitement être conjurées par l’unique moyen de l’éclatement du ‘nœud gordien’ de l’alliance contre nature Nidaa-Nahdha, et de la nécessaire reconstruction du panorama politique de la Tunisie de la ‘Révolution’. – Jusque-là, en effet, et pour reprendre une métaphore très connue, on a l’impression que cette ‘Révolution’ tunisienne ‘marche sur la tête’ et qu’il suffit d’un geste pour ‘la remettre sur ses pieds’ !, en réunissant en vue de la réalisation d’un idéal commun, celui précisément réclamé par ceux qui ont fait la ‘Révolution’, des forces politiques qui se complètent et concourent naturellement à cette fin commune: Les forces du Modernisme, du Progrès, de la Démocratie, des Droits fondamentaux, de ‘l’Etat de droit’, de la Justice, de la Solidarité, de la préservation et de l’enrichissement des ‘Acquis fondamentaux de la Nation’… 
 
Ces forces existent. Les grandes marches dans toutes les villes du pays en 2013-2014 et les manifestations de solidarité du Bardo et d’ailleurs l’ont montré, comme elles ont montré que la Société civile est capable de peser effectivement sur le cours des choses. – Il n’y a donc, pas d’autre voie que de remobiliser toutes ces forces, ranimer en elles la flamme de l’espoir, agir sur les partis politiques, trop nombreux, trop dispersés, trop faibles pour être les victimes faciles des puissances du mal, en vue de les amener à se restructurer, de se reconstruire, de redonner foi à leur mission, qui est de conduire ce peuple sur la voie de l’espoir. 
 
Il est vrai que l’observation des réalités n’est hélas !, pas très encourageante : la corruption, le clientélisme et, le népotisme, pour ne pas parler des autres ‘démons qui dorment’, que sont le régionalisme, le tribalisme, le sexisme, le racisme, etc., sont actuellement des réalités avérées, mesurées, documentées. Il faut, tout simplement, en prendre acte, et agir… 
 
… A commencer par le nettoyage des écuries d’Augias, le cinquième des douze travaux d’Héraclès, selon la mythologie grecque. Et ce n’est pas peu dire!… 
 
Sadok Belaid
 
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8 Commentaires
Les Commentaires
abh - 08-08-2016 10:47

" des forces du progrès " si vous pensez que Nida Tounes et compagnies putschistes du Bardo sont des forces du progrès et que Nida tounes est du centre gauche, je pense que toute votre analyse est à coté de la plaque, car comme tous "les progressistes" tunisiens vous confondez "progrès" à l'opposition au religieux,en l'occurrence ennadha plus on est anti ennahdha plus on est progressiste, pour rappel s'il n'y avait pas ennahdha, nida tounes n'aurait jamais exister. BCE avait compris que le chemin de Carthage passe par Montplaisir , c'est le réalpolitik sans l'accord de Paris BCE ne serait jamais arrivé à Carthage ne serait ce que par la limite d'âge qui était facilement opposable.

Lies Busters - 08-08-2016 13:35

Cet article me fait doucement sourire... Je ne sais pas si c'est son ton péremptoire. Ou peut-être ses envolées qui se veulent lyriques, mais qui retombent platement comme un soufflé ? Non, je sais : c'est plutôt cette chanson maintes fois éculées qu'Ennahdha est la mère de tous les maux, "rétrograde", j'en passe et des meilleures... Alors quand par exemple Ennahdha a nommé des "sympathisants" - ce qui est mensonger et démagogue de présenter ainsi sans même évoquer, entres autres, le déni de démocratie dont ils ont, dès le depart (et même avant !), été victimes de la part des "progressistes" comme vous qui se posent en chantres de cette même démocratie - alors donc quand eux le font c'est un " État dans l'Éta", mais quand on nomme des "progressistes" c'est tout à fait normal, et cela n'a rien d'un noyautage de l'Administration ? Seriez-vous d'une race supérieure, ou au nom du "progrès" contre les "ténèbres" devient-il légitimement légiféré de mentir éhontément, aidés en cela par des médias que vous savez mafien Mais on ne mord pas la main qui nous nourrit, ou du moins celle qui nous tient le porte-voix... C'en devient comique ! Mais ce qu'il est encore plus, c'est sans conteste que l'auteur de cet "article" (et le mot est usurpé) se prend certainement pour l'Élite de l'Élite... Et répéter encore et toujours des mensonges à l'envi n'en fera pas plus d'eux des vérités. "Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose"...

abh - 08-08-2016 18:46

"tous les progressistes" joli titre mais il faut s'retendre sur la définition de progressistes Je sais que pour vous Nida Tounes et les Putschistes du Bardo sont "les progressistes", malheureusement ill n'en rien, ce cocktail d'opportunistes ne s'entendent que sur deux objectifs : l'amour du pouvoir et la haine de Ennahdha et de tous ce qui se rapporte à la religion, "tu les crois unis mais leurs coeurs sont multiples" comme le dit le verset du coran.بَأْسُهُم بَيْنَهُمْ شَدِيدٌ ۚ تَحْسَبُهُمْ جَمِيعًا وَقُلُوبُهُمْ شَتَّىٰ ۚ ذَٰلِكَ بِأَنَّهُمْ قَوْمٌ لَّا يَعْقِلُونَ (14) Les vrais progressistes malheureusement sont minoritaires car la vie politique est minée par l'argent sale et les médias des caniveaux comme celui ci , les vrais progressistes sont ceux qui croient que la Tunisie est pour tous ses citoyens qui croient à la diversité d'opinion au respect de l'autre qui ne partage pas les mêmes convictions, les vrais partis du "centre gauche" ceux qui veulent ramener les islamistes vers le jeu démocratiques et non les pousser vers l'intégrisme et le terrorisme. Quand ce clan aura du poids en Tunisie on pourra être optimiste. mais malheureusement ce ne sera pas pour demain car les enjeux régionaux et mondiaux sont compliqués

Sarra - 08-08-2016 21:47

Évidemment, l'analyse limpide du Prof. Belaid ne peut qu'irriter les "kouangia" lesquels ne peuvent tromper personne avec leur nouveau "cutis", vernis pseudo-démocratique-islamique. Leur passé de violence et de haine des tunisiens leur colle et leur collera. Qu'ils commencent par leur mea culpa et leurs excuses sincères et franches face à notre peuple qui a subi leur violence, leurs crimes et leurs liens avec les terroristes. Nous verrons alors...

Lies Busters - 09-08-2016 08:06

"Leur passé de violence et de haine DES TUNISIENS"... C'est bon, je me posais la question de savoir si vous les gentils "progressistes" vous vous croyiez issus d'une race supérieure, mais le commentaire de Sarra est plus qu'édifiant à ce sujet ! Ah oui, et j'oubliais le génial : "Qu'ils commencent par leur mea culpa et leurs excuses sincères et franches face à NOTRE peuple" !!! Enfin, la diabolisation des islamistes et le terme "khouanjia" que vous utilisez est digne de Ben Ali est de son appareil tortionnaire, ce qui en dit long sur votre conception de la démocratie...

Sarra - 09-08-2016 13:40

@Lies Busters: La démocratie est un objectif et l'effort continu, soutenu des aspirants(es) démocrates. Évidemment, les Khouangias n'en font pas partie du fait de leur histoire passée de violence et ce qu'ils ont pu nous faire subir, NOUS PEUPLE TUNISIEN: au gouvernement des Troikas et dans la rue et dans les attentats et les meurtres...et les jeunes tunisiens embrigadés dans Daesh!!! la liste est longue et notre mémoire demeure fraiche!

Lies Busters - 10-08-2016 01:19

Ma chère Sarra, les erreurs historiques et scientifiques que vous faites sont aussi grandes, sinon plus, que votre agressivité. Sachez que l'amalgame que vous faites entre "al Ikhwan al Mouslimin" et les mouvements salafistes d'une part, et les mouvements salafistes et les organisations takfiristes d'autre part, est aussi grave d'un point de vue académique que de dire que les socialistes, communistes, et trotskistes/maoïstes révolutionnaires procèdent de la même idéologie. Ceci n'est ni acceptable historiquement, politiquement, et encore moins moralement. Mais j'avoue que de parler de morale, ça c'est une erreur spatio-temporelle... Je terminerai en vous enjoignant à contenir votre haine et à habiller vos opinions (lesquelles sont votre droit qui appellent, sinon mon empathie, au minimum mon respect) par plus d'arguments. Et malheureusement, je suis contraint de vous dire non pas "par plus d'arguments", mais "par des arguments" tout court. Was salamou aaleykoum wa rahmatoul Allah wa barakatouh, sincèrement.

selwa - 21-08-2016 20:17

Voici donc un appel à la sagesse URGENT et à la perspicacité politique que les membres du Front Populaire et autres forces démocratiques devront méditer et prendre comme PHARE dans la nuit actuelle, d'autant plus à la suite du refus du FP de participer à un gouvernement élargi pour sauver le pays de la catastrophe.

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