News - 30.07.2016

Slaheddine Sellami : L’initiative de la dernière chance ?

Slaheddine Sellami : L’initiative de la dernière chance ?

Huit semaines se sont déjà écoulées depuis le lancement par le président de la république de son initiative pour la mise en place d’un gouvernement d’union nationale.

 
Dès le départ l’unanimité autour de cette initiative n’a pu avoir lieu .Il y a les rêveurs, et j’en fais partie, qui ont applaudi cette proposition dès le départ car ils considèrent que c’est chemin le plus court, le plus rapide et le plus sûre pour arriver à sauver le pays et éviter de nouvelles révoltes populaires. Il y a aussi les éternels contestataires qui l’ont rejeté car ils considèrent qu’ils sont les seuls à avoir des réponses à tous les maux du pays. Il y a enfin ceux qui ont soutenu l’initiative du bout des lèvres, tout en espérant que d’autres endosseront la responsabilité de son échec. Mais l’immense majorité des tunisiens se désintéressent totalement de la politique et dans tous les cas ne font plus confiance aux hommes politiques.
 
L’avenir du gouvernement de H. Essid est scellé, les chances pour que l’ARP lui renouvelle sa confiance sont pratiquement nulles, le nom du prochain chef du gouvernement est probablement connu au moins par le président de la république et ses proches conseillers, mais par respect au chef du gouvernement en exercice et afin de respecter les termes de la constitution, son nom ne sera dévoilé qu’après le vote du parlement. Les difficultés vont alors commencer avec l’indispensable accord des partis et des organisations nationales qui ont soutenu l’initiative sur le nom qui sera proposé, sur le choix des membres du gouvernement et surtout sur le programme du gouvernement. La déclaration signée par les différents partenaires est une simple déclaration d’intention et qui ne peut en aucun cas être considérée comme un programme de gouvernement même si sa préparation a nécessité près de quatre semaines. La liste des problèmes, des priorités et des préoccupations est connue de tous, mais les moyens et les choix à prendre pour résoudre ces problèmes n’ont pas été abordé ce qui laisse présager d’énormes difficultés à se mettre d’accord sur un vrai programme qui répond aux défis du moment. Gouverner c’est en fait faire un diagnostic puis faire des choix pour résoudre les problèmes.
 
L’initiative du chef de l’état est justifiée par l’échec du gouvernement, cependant il n’y a jamais eu une évaluation exhaustive des raisons de cet échec et des domaines dans lesquels le gouvernement a échoué d’autant qu’il y a eu quand même certains succès que personne ne peut nier particulièrement en matière de sécurité et de lutte contre le terrorisme.
 
L’important est de tirer les leçons des expériences précédentes afin d’assurer à ce gouvernement le maximum de chances de réussir. 
 
Malheureusement les raisons de cet échec n’ont jamais été analysées.
 
S’agit- il d’une erreur de casting dans le choix du chef du gouvernement et de son équipe ? Ou bien, de problèmes de communications, comme le suggèrent certains ? Ou encore d’un problème beaucoup plus profond de gouvernance et de choix du système politique basé sur le parlement et les partis ?
 
Il est clair que le système choisi par l’assemblée constituante est mal adapté à la situation actuelle du pays d’autant que le parti qui a gagné les élections et qui est censé gouverner s’est rapidement effondré. Ce problème a été aggravé par le poids croissant et l’importance des différents lobbies, des différents groupes de pression et même des groupes mafieux liés aux partis qui profitent de la faiblesse de l’état pour tirer le maximum de profits, quitte à hypothéquer l’avenir du pays.
 
Ainsi dès le départ le processus a pris une mauvaise tournure qui ne présage pas d’une issue favorable.
 
On est tenté de reproduire l’expérience de 2013 ou même de janvier 2015 et de choisir un chef du gouvernement consensuel qui restera prisonnier des partis qui l’ont nommé ou cautionné et qui ne pourra pas exercer la totalité des prérogatives que la constitution lui a attribué. Il sera alors facile d’attribuer un nouvel échec au chef du gouvernement. On a besoin d’un chef de gouvernement ayant une   forte personnalité , capable de prendre les décisions même si elles sont douloureuses et impopulaires et qui ne soit lié ni aux partis aux groupes de pression . Pour lui donner le maximum de chances de réussir il faudrait  garantir au chef du gouvernement la possibilité de choisir ses ministres, d’avoir le libre choix dans les nominations des hauts cadres de l’administration et des personnes dans les postes clés de l’état, le tout doit être basé sur la compétence, l’efficacité, l’expérience , l’honnêteté et l’indépendance vis-à-vis des lobbies. 
Il est important que le prochain gouvernement montre dès les premiers jours et les premières semaines qu’il est décidé à rompre avec les mauvaises habitudes qui ont détruit le pays à savoir la défense des intérêts partisans des groupes sociaux et professionnels et des cercles mafieux , il doit montrer dès les premiers jours qu’il est décidé à frapper fort pour appliquer la loi et s’opposer à l’impunité. La Tunisie a besoin d’un homme et d’une équipe gouvernementale capables de bousculer les mauvaises habitudes de l’administration et d’introduire une nouvelle manière de gouverner qui récompensera l’effort et le travail.
 
Ce n’est qu’à ce prix qu’il finira par avoir l’appui de la population , autrement tout le monde sera perdant et en particulier les couches moyennes , les couches défavorisées et surtout les jeunes qui ont misé sur la révolution mais qui ont très rapidement déchanté par tant d’immobilisme, alors qu’il fallait leur montrer que le rêve est encore permis.
 
Malgré les déboires des cinq dernières années, notre pays a les moyens de s’en sortir, il suffit d’une classe politique à la hauteur de la situation. Les compétences tunisiennes ne manquent pas aussi bien en Tunisie qu’à l’étranger. Les solutions existent, le problème se situe au niveau de la gouvernance et de la volonté politique. 
 
On espère que cette crise n’est pas motivée uniquement par la volonté de changer le chef du gouvernement, que la formation du nouveau gouvernement ne va pas montrer qu’il s’agit d’une simple rotation de personnes ou d’un remake du gouvernement H.Essid. 
 
Si on ne profitera pas de cette initiative pour tirer les leçons des précédents gouvernements et de cet électrochoc pour changer notre manière de réfléchir et de gouverner, nous risquons de plonger dans une zone de turbulences et d’orages qui va déboucher soit sur des mouvements populaires soit sur des élections anticipées qui vont nous ramener au régime du parti unique et de la pensée unique. Au lieu d’une initiative salvatrice, on dira plutôt c’est la montagne qui a encore une fois accouché d’une souris.
 
Slaheddine Sellami