Opinions - 14.07.2016

De quoi le «gouvernement d’union nationale» serait-il le nom?

De quoi le «gouvernement d’union nationale» serait-il le nom?

Comme il fallait s’y attendre le gouvernement d’union nationale n’est toujours pas constitué. Pas plus d’ailleurs que sa feuille de route dont les priorités semblent encore faire l’objet de tractations.
Pouvait-il en être autrement? Probablement pas si l’on veut bien prendre en compte la conjoncture politique proprement dite: Une usure prématurée d’un gouvernement manifestement à la peine. Une subite accélération des dérives déficitaires pouvant déboucher sur «un incident de crédit». Une impatience sociale manifeste se traduisant par une multiplication des conflits durs ou s’éternisant.

Des blocages en tous genres…et dont le Président a souhaité mettre un terme.Nulle question ici de discuter de la légitimité constitutionnelle et politique de l’initiative présidentielle. Depuis son élection au suffrage universel le «vieux renard» (expression qui se veut affectueuse) a su présidentialiser le régime avec l’approbation manifeste des uns et le consentement silencieux des autres. Resterait, toutefois à s’interroger sur deux questions subsidiaires: pourquoi maintenant? Et pourquoi faire?

Sans doute le Président plus vite que le reste de la classe politique a-t-il senti les dangers qui guettent.

Il ne fait plus aucun doute que le gouverneur de la BCT comme le ministre des finances ont dû lui communiquer des informations dont la teneur n’a toujours pas été dévoilée au grand public. Un risque de défaut de paiement sur une échéance de remboursement d’un prêt? Une impossibilité d’équilibrer les finances générales du pays pour 2017? Un avertissement des bailleurs de fonds internationaux?

Des signes de mauvaise humeur de chancelleries étrangères? Des tensions internes exacerbées au sein du landernau politique aux limites de la rupture? Nous en sommes réduits à de pures conjectures même si manifestement il y a un peu de toutes ces raisonsévoquées et d’autres dissimulées.

Voilà pour le pourquoi maintenant ! Anticipation réelle ou manœuvre de circonstance?

Quoiqu’il en soit le président aura déjà réussi sur un plan. Prendre de court et de vitesse des «formations politiques» en embuscade, y compris dans son propre camp. Il ne sera pas dit, par conséquent, qu’en dirigeant avisé, il n’aura pas averti et tenté d’apporter remède… etce quel que soit la suite. Une initiative qui aura eu le mérite d’exister. Un avantage tout à fait précieux, par les temps qui courent! Même en cas d’échec, autrement dit, de reconduite d’un gouvernement sans véritable changement dans sa composition comme dans son orientation générale, BCE pourra se targuer d’avoir tout entrepris. Si division il y a encore, elle ne serait pas de son fait, la faute incomberait à ceux qui ne veulent toujours pas «jouer le jeu». Peut-être par souci d’exactitude faudrait-il dire «son» jeu!

BCE a lu ses classiques et connait son histoire. Il est fin connaisseur de la société politique. Celle-ci présente l’immense avantage d’être totalement prévisible chaque foisque se présente une crise aigüe.
La seule évocation de la nécessité de l’union de toutes les forces vives du pays face aux dangers imminents qui menacent suffit à raviver le sentiment nationalet faire accepter l’idée d’un dialogue devant déboucher sur un large consensus. BCE connait cet éthos largement partagé par les élites sociales et politiques. En réactivant et en actualisant l’idée de consensus (mythe fondateur s’il en est), BCE s’est su seul, véritablement,en mesure de provoquer ce sursaut de la société politique.Un appel donc à l’ardente obligation de dialogue national mais qui n’estpas dépourvu de menaces ni de sommations.En effet ce dialogue joue aussi sur les registres implicites de la dualité: pour/contre la nation, dedans/dehors, avec/contre l’intérêt général… on ne saurait trouver meilleur piège!

On ne peut donc manifestement pas s’étonner de la réception unanime à cet appel, tous les partis politiques donnant leur accord à une participation à ce dialogue. BCE a gagné la première manche.
La suite est bien plus complexe et tarde à prendre forme. Quels objectifs pour quel gouvernement? D’autant que très vite et après les rituels d’assentiment, d’approbation, et de loyauté envers l’initiative, chaque formationa avancé ses propositions et ses conditions à une éventuelle présence effective dans le gouvernement.

C’est à ce point crucial que l’on rejoint la seconde question: Pourquoi faire? Le Président a-t-il une solution? De quelle nature pourrait être celle-ci? Pis-aller ou réel projet pesé et réfléchi?
Sans surprise les deux organisations syndicales UTICA et UGTT ont expliqué, arguments à l’appui, qu’elles soutenaient l’idée d’un gouvernement d’union nationale, mais qu’elles ne pouvaient y participer pour d’évidentes raisons de conflit d’intérêts. Dont acte.Faute de pouvoir obtenir mieux, BCE marque encore un point décisif. Il «neutralise» ces organisations en obtenant le soutien de la première, et la promesse d’une réduction des tensions sociales de l’autre. Un retour à la «paix sociale», objectif implicite mais fondamental pour BCE, -sans être totalement acquis-, pourrait trouver une issue favorable. Une accalmie après la tempête des derniers mois, c’est toujours ça de pris. BCE savait aussi ne pas pouvoir compter sur le Front Populaire. Celui-ci a fait mine de partager un tant soit peu le diagnostic tout en émettant de vives réserves, pour finir par faire savoir qu’il ne partageait pas les orientations et priorités avancées lors des premières rencontres. Qu’importe! Le Président n’a probablement pas envisagé, fut-ce une fraction de seconde, l’éventualité d’un soutien même indirect de cette formation. Les visions sont bien trop éloignées, et les objectifs diamétralement opposés. Ce faisant le président «isole» cette formation ou pour le moins tente de le faire en prenant à témoin l’opinion. Une très large union est donc à portée de main!

Resterait la délicate question de la feuille de route et de ses priorités, et le non moins irascible et difficile mode de désignation-cooptation des membres du gouvernement et de son premier ministre.
Le Président le sait, il a fort à faire ! Le programme ne devrait pas constituer un obstacle majeur. BCE en a rappelé les lignes générales et ne compte pas en dévier. L’heure est toujours aux «réformes structurelles», au respect des engagements pris, à la mise en œuvre du plan 2016-2020.
A quoi bon donc chercher à élargir une majorité politique, déjà largement dominante au plan parlementaire. L’apport de partis sans représentativité notable est-il à ce point décisif? Le Président semble le penser! Une aubaine à double effet et ainsi faire d’une pierre deux coups. Ce serait autant de voix qui cesseraient leur critique, mais aussi réussir à faire taire dans l’avenir des ministres en exercice. Le président fait allusion en quelque sorte enparodiant la phrase célèbre de Gambetta appelant à un gouvernement de Défense Nationale:«Quand la nation aura fait entendre sa voix souveraine, il faudra se soumettre ou se démettre», ou encore plus trivialement par référence au bon mot de Chevènement: «Un ministre, ça démissionne ou ça ferme sa gueule»…A bon entendeur….
Toutefois le Président n’est pas au bout de ses peines. Quid de la sortie du premier ministre en poste?
L'article 98 §2 de la constitution suppose un vote de défiance de l’assemblée. Si BCE peut compter sur le vote unanime et discipliné de son allié de circonstance, en sera-t-il de même des factions éclatées de son propre camp ? Rien n’est acquis et le suspens de se prolonger.

Au demeurant on peut se demander ce que contient «l’accord de Carthage» fondé sur le triptyque de la lutte contre le terrorisme, la corruption, le chômage et la pauvreté. A vrai dire rien de nouveau !
Mais aussi difficilement opposable. On aurait peine à trouver un seul tunisien qui aurait à redire!
Ainsi vont les choses, sans illusion ni nouvel élan d’enthousiasme.

De quoi ce gouvernement resserré et réagencé serait-il alors le nom ? Celui d’un changement de forme dans une continuité de fond, sans grand risque de se tromper.

Hédi Sraieb,
Docteur d’Etat en économie du développement

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