Opinions - 02.07.2016

Ah, ce grand parti séculier qui nous manque!

Ah, ce grand parti séculier qui nous manque!

L’absence d’un grand parti séculier pèse lourdement sur le paysage politique tunisien. Entre à droite, un parti Ennahdha qui s’impose en force rampante et leader sur l’échiquier et, à gauche, une Ugtt qui constitue un acteur majeur

incontournable, le vide, au centre, est béant. L’implosion de Nidaa Tounès et l’atomisation des autres partis conduisent la Tunisie vers une nouvelle bipolarisation qui se veut actuellement douce et quasi invisible mais finira par marquer les clivages et attiser les antagonismes. L’accord contracté par neuf partis et trois organisations nationales qui ont rallié l’initiative du président Caïd Essebsi pour un programme de gouvernement d’union nationale, aussi méritoire soit-il, serait-il à même de fonder un socle solide pour le reste de la législature et du mandat présidentiel? Simple passeport pourlespartisafind’obtenirsinonlaprésidencedugouvernement, du moins un quota de ministères et de secrétariats d’Etat?

Au-delà du programme, avec sa vision et ses priorités, c’est cette négociation qui primera. Une entente finira par être trouvée, même si à l’intérieur des partis, le nombre des déçus qui ne figureront pas au gouvernement sera grand et leur frustration vive. Des fractures sont inéluctables.

Quant au nouvel attelage gouvernemental, il devra être renforcé à chaque débat fondamental, lors de chaque grande décision à prendre. Les réunions du Conseil des ministres et en conseils restreints nous réserveront sans doute beaucoup de surprises.

Quels seront les acteurs majeurs sur la scène politique à même de «prédicter» l’action du gouvernement, l’inspirer dans la mise en œuvre du programme conclu et arbitrer ses divergences internes?

Incontestablement, Ennahdha et l’Ugtt. Tout se jouera entre Rached Ghannouchi et Houcine Abassi. Tous deux ont fait preuve, durant l’examen de l’initiative Caïd Essebsi, de beaucoup de sagacité et d’habileté politique. Ils ont déployé tout leur art dans un jeu qui préfigure leurs nouveaux styles, amadouant les uns, arrondissant les angles pour les autres, donnant doucement le tempo souhaité, marquant les pauses et activant les reprises. Dans cet art qu’ils maîtrisent, ils n’ont pas hésité à lâcher des rumeurs, tout en démentant d’autres, à entretenir le mystère, et à brouiller les cartes. Ce tête-à-tête, aujourd’hui apaisé et charmeur, sans une majorité au centre qui se hisse au pouvoir, une opposition conséquente et une société civile qui retrouve sa vigueur du sit-in au Bardo l’été 2013, est-il sain pour la démocratie? Le rôle déterminant d’un parti démocratique massif, attractif, mobilisateur et agissant devient un impératif de sécurité nationale si on veut éviter l’hégémonie des uns ou la domination des autres.

Si un consensus est réuni pour ce qui est de la lutte contre le terrorisme, face à la dégradation catastrophique des finances publiques, d’une part, et à la nécessité d’engager une vraie guerre contre la malversation et la contrebande, de l’autre, de grandes décisions seront nécessairement prises, de lourds sacrifices inévitablement consentis. Quitte à dénoncer des décisions et des nominations prises sous la Troïka. Quitte à remettre en cause des accords préalablement signés par le gouvernement Essid et la centrale syndicale. Quitte à appliquer, partout et à tous, la loi, rien que la loi, sans aucun passe-droit. A lui seul et quelle que soit la base politique qui le soutient, le nouveau gouvernement, dépourvu d’un véritable noyau dur, sera-t-il en mesure de prendre le taureau par les cornes et d’affronter courageusement toutes ces questions brûlantes. A peine osera-t-il effleurer les intérêts des uns ou des autres qu’il finira par sombrer dans les tiraillements et s’enliser dans les menaces de rupture.

Qu’est-ce qui empêche aujourd’hui l’émergence d’un grand parti séculier? Les Tunisiens sont-ils déçus des politiques, trahis par leurs promesses non tenues, désenchantés par leurs ambitions dévorantes, désespérés par leur petitesse? Ont-ils perdu confiance ? Sont-ils si désabusés de la politique qu’ils s’en détournent? Difficile de le croire. C’est la qualité de l’offre politique qui ne les attire pas. A quel parti adhérer ? Selon quels paramètres par rapport aux autres? Quel idéal mobilisateur y incarner? Et quel rôle actif y jouer? Les réponses n’étant guère convaincantes, les Tunisiens, s’ils ne sont pas démobilisés, sont dans l’attente de beaucoup plus et mieux.

Tout l’enjeu de la transition démocratique est pourtant fondé sur cette solide architecture d’un pluralisme politique porté par des partis forts et une société civile vigilante. C’est cette configuration, garante de rééquilibrage, qui aura à confirmer la sécularité de l’Etat, à préserver les acquis et à accélérer l’avancée irréductible vers le progrès et la prospérité. En cet été, la Tunisie qui chante, danse et se baigne doit pourtant s’y atteler. De toutes ses énergies.

 

Aïd mabrouk et bonnes vacances.

 

Taoufik Habaieb