Opinions - 20.06.2016

Les avantages de la sécurité judiciaire

La sécurité judiciaire

Le terme sécurité vient du latin «securitas» qui signifie sûr, en qui l’on peut faire confiance; qui n’offre aucun danger; dont on ne peut douter.

Depuis les temps immémoriaux, la justice a toujours eu une place de choix dans la société et sans elle la vie quotidienne deviendrait impossible.

Elle est un catalyseur inexorable pour garantir les équilibres sociaux en tant que service public. La bonne justice stimule inéluctablement toute promotion dans la société y compris la promotion économique. Selon un rapport récent de la banque mondiale «un système judiciaire efficace sera un soutien à l’activité économique et un facteur d’attraction des investisseurs, notamment les investisseurs étrangers».
Etant conçu comme protecteur et garant des droits et des libertés, le juge doit-il dépasser son rôle traditionnel, comme diseur de droit, afin d’enraciner la sécurité judicaire et de le faire développer?
A ce propos, le justiciable attend de son juge, la liberté, l’audace, la sérénité, l’impartialité et l’indépendance.
En effet, le juge doit être loyal de bout en bout, ce qui signifie que non seulement, il doit rendre une sentence juste et équitable, mais il doit aussi conduire le procès d’une manière intelligente, humaine et imperméable aux fluctuations politico-sociales.

En un mot, le juge doit dire le droit, rendre la justice et donner à chacun son dû.
Dès las, la sécurité judiciaire est en grande partie l’apanage du juge lui-même, mais l’office du juge ne doit pas être une licence pour faire n’importe quoi.

I- La sécurité judicaire est inhérente au juge

Avec des bons juges- dit Platon- «les mauvaises lois peuvent être supportables»
Soucieux de la protection des droits, le juge doit prendre en considération que ces droits sont généralement considérés comme le corolaire des droits naturels. Or la morale est d’importance capitale dans la matière. Pour que le juge du droit positif puisse jouer pleinement son rôle, la réunion de certaines conditions semble inévitable.

A- Un juge bien formé et spécialisé

Le droit moulant la diversité des activités de la société comporte de nos jours des aspérités dont il faut que le juge soit bien instruit. Le juge moderne, ancré dans la vie quotidienne de son peuple, devient créateur, voire même promoteur de la règle de droit. Dans ce dessein, le magistrat doit recevoir une formation juridique approfondie et continue, faut-il alors plaidoyer pour un nouveau profil du magistrat ?
Oui, le juge d’aujourd’hui doit se débarrasser de la banalité et de la paresse d’esprit. Dans une société moderne et libérale, soucieuse d’efficacité et de perfection, le juge est appelé à sortir du rôle passif.
 En outre la course effrénée à la spécialisation exige de notre magistrat le recours perpétuel à une formation accentuée en vue d’exercer sa fonction sous des bons auspices.

B- Un juge gardien des droits

Un juge protecteur des droits doit être à l’avant-grande, en outre, il doit être le soignant qui ordonne la posologie d’application de la règle de droit pourvue qu’elle est générale, abstraite et obligatoire.
Une telle attitude du juge assure inéluctablement une garantie supplémentaire aux justiciables. Une conception du «juge gardien» renforce l’Etat de droit.

1- La protection du droit à l’égalité

D’un point de vue moral, l’égalité entre les justiciables découle de l’idée qu’existe une dignité inhérente à toute personne humaine.

D’un point de vue politique, l’égalité est la source de la démocratie sans laquelle les droits de l’homme ainsi que les libertés ne peuvent réellement exister. Violer l’égalité entre les justiciables, c’est corrompre la démocratie et condamner la paix sociale à brève échéance.

Le principe d’égalité devant la loi préconise l’égalité devant la justice. En un mot, l’égalité est l’âme de la justice.

Ce principe se manifeste par le libre accès à la justice de tous les citoyens et qu’ils soient jugés par un juge de l’ordre judiciaire siégeant dans les conditions qui ne recèlent aucune discrimination entre les justiciables. A coté du droit à un juge ordinaire, s’ajoute le droit d’être jugé selon la même procédure. Or la justice d’exception, abstraction faite de sa dénomination, sape le principe fondamental d’égalité qui irrigue toutes les constitutions et les déclarations universelles des droits de l’homme.

De surcroit, le principe d’égalité se manifeste aussi par l’institution du juge aiguilleur. Sa mission consiste essentiellement dans l’information des justiciables aux venelles procédurales par lesquelles il doit passer à la justice. Cette tâche est assumée par le ministère public.

De plus, la mise en place du système d’aide judiciaire accordée aux justiciables les plus démunis dénote clairement la mise en œuvre de l’égalité devant la justice.
En outre, la justice est en grande partie bénévole.

2- La protection contre l’abus de l’administration

Selon “Montesquieu“, la liberté juridique est «le droit de faire tout ce que les lois permettent».

La protection de la liberté juridique doit porter essentiellement sur son exercice.

La protection du justiciable contre l’abus de l’administration est assurée par trois ordres juridictionnels, à savoir, l’ordre judiciaire, l’ordre administratif et l’ordre constitutionnel.

En effet, pour assurer la protection judiciaire du citoyen contre le pouvoir de l’administration, le juge administratif et le juge constitutionnel peuvent intervenir soit préalablement à l’atteinte au droit du citoyen -par le rôle de conseiller du gouvernant- soit postérieurement à cette atteinte -par la fonction juridictionnelle- en matière d’annulation et en matière d’indemnisation.
Bien que l’Etat soit une puissance publique, elle est assujettie à la justice à l’instar du citoyen.
En outre, l’ordre judiciaire et l’ordre administratif ne cessent de luter contre l’abus de l’administration fiscale bénéficiant d’un pouvoir exorbitant en matière de taxation d’office, alors que les garanties accordées aux contribuables restent en grande partie insuffisantes à cause de la complexité et de la technicité de la matière fiscale. 

C- Un juge indépendant

Les magistrats de tous les lieux et de tous les cieux ont fait du principe de leur indépendance un idéal à atteindre.

La justice est l’un des piliers sur lesquels repose l’édifice de la démocratie et l’Etat de droit.

Dans cet Etat de droit, la magistrature représente un rempart contre les abus du fort à l’égard du faible, du riche à l’égard du pauvre, du pluriel à l’égard du singulier.

L’assemblée générale des Nations Unies a adopté les principes fondamentaux sur l’indépendance judiciaire en novembre 1985.

1-Les manifestations de l’indépendance

L’indépendance des juges se manifeste à travers plusieurs mécanismes. En effet elle ne peut être assurée que sur deux plans : plan organique et plan fonctionnel.

  • L’indépendance organique

Le principe selon lequel le magistrat est gardien des droits découle du principe fondamental de la séparation des pouvoirs qui a une valeur constitutionnelle dans la quasi-totalité des Nations. Principe énoncé et systématisé par Montesquieu dans son œuvre « l’esprit des lois ».

En un mot, l’indépendance des juges suppose leur pouvoir à part entière, sans pouvoir pas d’indépendance. Ce qui exclut la conception du juge auxiliaire du pouvoir étatique et serviteur de la loi. C’est pour cette raison de l’article 102 de la nouvelle constitution l’a dit expressément «un pouvoir».

Dans son aspect organique, la séparation des pouvoirs signifie que chaque pouvoir doit respecter l’indépendance de l’autre et éviter l’ingérence.
La conception organique l’emporte, après une gestation, dans notre nouvelle constitution, parce qu’elle instaure un équilibre réel entre les trois pouvoirs de l’Etat.
L’indépendance de la justice n’est pas l’apanage de la constitution mais aussi des statuts de la magistrature. Une vielle loi organique du 14 juillet 1967 reste en vigueur bien qu’elle n’est plus au diapason des aspirations profondes des magistrats.

L’indépendance des magistrats doit trouver sa genèse dans une nouvelle loi statutaire qui répond aux demandes des juges et qui va de pair avec les conventions internationales.
Cependant, les magistrats souhaitent disposer d’un statut autonome de la fonction publique.
Un tel statut aura le mérite de protéger d’avantage les juges contre les menaces et les attaques de quelque nature que ce soit. A coté du statut de la magistrature, l’association des magistrats tunisiens (A.M.T) crée en 29 octobre 1971, a retrouvé son activité normale échappant à la marginalisation qu’elle avait connu et constitue un organe corporatif important confortée par la naissance du syndicat et de l’association des jeunes magistrats, pourvu que ces derniers assurent l’agrégation des juges pour la simple raison que l’union fait la force.

  • L’indépendance fonctionnelle 

L’indépendance organique n’a aucun sens et aucune importance, si le juge n’est pas le maître de sa décision judicaire. Dans son aspect fonctionnel, elle signifie que le pouvoir judiciaire, à l’instar des autres pouvoirs, a le monopole d’une fonction, il contre balance le pouvoir exécutif aussi que le pouvoir législatif. 

L’organisation hiérarchique de la justice ne porte guère atteinte au droit du juge de statuer en toute liberté. Seulement, le ministère public qui reste en bonne partie sous le joug et la merci du pouvoir exécutif.

Il faut signaler que la chambre criminelle de la cour de cassation française dès l’arrêt de 15-12-2010 considère que le ministre public n’est pas une autorité judiciaire au sens de la convention européenne des droits de l’homme. Les procureurs sont bien des magistrats du parquet mais ne sont pas des juges « Le magistrat juge, le procureur poursuit » et c’est toute l’architecture du système pénal français qui s’en trouve bouleversé.

A cet égard, le juge règle les affaires dont-il est saisi en toute liberté et en toute indépendance, selon son interprétation des lois et sa qualification des faits juridiques et selon son intime conviction en matière pénale. En effet, la mission de rechercher la vérité judiciaire au sens de l’article 86 du code de procédures civiles et commerciales exige une liberté d’action et une sérénité dont seul le magistrat du siège peut justifier.

Le juge n’est-il pas aujourd’hui un simple automate, exécuteur de la volonté du pouvoir légiférant? Est-il encore «la bouche de la loi»?
Le juge surtout pénal, n’a-t-il pas un pouvoir créateur?

On peut dire d’une manière générale que l’accroissement effréné du rôle du juge a éclaté la tradition dogmatique en faveur d’une école nouvelle créatrice, d’où le rôle créateur du juge. L’application d’une règle de droit suppose toujours un passage de l’abstrait au concret, la transposition d’une disposition impersonnelle à un cas particulier, un intermédiaire entre la règle de droit et les faits supposent inévitablement une marge créatrice.
La justice pénale est devenue le théâtre spectaculaire de l’action du juge surtout en matière d’individualisation des peines. Il ne faut pas oublier le rôle du juge civil en cas de vide, d’ambigüité, de lacune et des règles juridiques lapidaires.

A vrai dire, si le pouvoir légiférant reste toujours la source principale du droit, il est abusif de voir en lui la source exclusive de tout droit. La cour de cassation qui se trouve au sommet de la pyramide judiciaire ne cesse de censurer la jurisprudence orthodoxe produite par les juges du fond.

2-La consolidation de l’indépendance

Pour produire une justice effective et durable, le juge doit assumer sa fonction dans la sérénité et doit avoir le sentiment d’être à l’abri de toute menace.

  • La protection du juge

Le juge doit être protégé par la loi pénale contre les outrages, les menaces et les violences dans l’exercice ou à l’occasion de sa fonction.

Il est rassuré de toute responsabilité lors de l’exercice de sa fonction, la loi du 29-10-2002 a instauré le principe de la responsabilité de l’Etat en ce qui concerne les dommages causés par la marche de la justice.

Toutefois, l’un des problèmes épineux qui entrave l’indépendance de la justice, c’est l’absence d’une indépendance économique du juge.
Comment résister à la tentation de l’argent lorsque le juge lui-même nourrit des ambitions sociales qui lui imposent des obligations sans commune mesure avec les moyens dont- il dispose?
La sécurité matérielle du juge dans l’exercice de ses fonctions constitue un élément primordial qui pèse considérablement sur l’autonomie de la magistrature et par voie de conséquence sur la sécurité judiciaire.

Seulement, le budget réservé à la justice est considéré manifestement insuffisant. L’Etat qui clame l’indépendance de la justice est appelé à allouer davantage de ressources à ce secteur.

Cependant, le juge doit être orgueilleux et fier de son Toge et il doit refuser de se prosterner devant la puissance de l’argent.

De surcroit, comment dire le droit en toute indépendance lorsque les intérêts politiques agit comme des facteurs déterminants de la réussite professionnelle?

A vrai dire, le juge doit rester en dehors de toute pression extérieure. La finalité de sa noble tâche implique une indépendance totale vis-à-vis à tous les groupements. Le juge doit être donc en dehors de la bagarre et doit refuser d’être utilisé dans les desseins politiques notoires ou cachés du pouvoir publique ou de certaines organisations nationales ou internationales. Toutefois, et comme l’a évoqué Montesquieu, chaque détenteur du pouvoir est tenté d’en abuser. D’où l’obligation de rédiger un code de déontologie qui trace les confins du métier.
Faut-il signaler, que l’indépendance de la justice repose avant tout sur des qualités personnelles du juge ; Celui qui a choisi cette fonction doit faire preuve d’indépendance et d’impartialité par rapport au réseau des relations diverses assimilées aujourd’hui aux toiles d’araignées.

  • La protection contre le juge

L’office du juge ne doit pas être une licence pour faire n’importe quoi.
Les magistrats sont tenus à rendre la justice d’une manière impartiale, sans considération de personnes, ni d’intérêts. Il est prohibé de se prononcer en se fondant sur des connaissances personnelles sur l’affaire judiciaire. En un mot, l’impartialité est un composant majeur de l’éthique du juge. Les garanties contre la partialité du juge sont de deux ordres:

- Les garanties préventives

Les cas de récusation des juges sont énumérés par la loi. Par conséquent, tout magistrat connait une cause de récusation existant entre lui et un justiciable doit la déclarer. Cette impartialité objective du juge est conjuguée, surtout en matière pénale, de trois règles procédurales fondamentales à savoir:

- qui saisit ou donne son avis ne peut juger
- qui instruit ne peut juger
- qui a jugé ne peut rejuger

Les garanties postérieures

Le justiciable victime d’une partialité prouvée bénéficie de moyens pour obtenir «la punition» des magistrats coupables et la réparation des dommages causés.

En absence de sanctions pénales, les magistrats de l’ordre judiciaire obéissent à une procédure disciplinaire juridictionnalisée. Le pouvoir disciplinaire est confié à un organisme juridictionnel doté d’un pouvoir de décision propre qui est généralement le conseil supérieur de la magistrature. La responsabilité personnelle d’un juge ne pouvait être engagée que sur la base d’une procédure très lourde dite de la prise à partie.

A cet égard, la cour de cassation est seule compétente pour connaitre de la prise à partie parce qu’elle est compliquée et grave.

En outre, toute décision judiciaire heurtant l’habituelle manière d’ appliquer la loi doit attirer l’attention des chefs de la juridiction concernée ,qui devront rechercher si la cause de la nouvelle application de la loi est juste .Toute liberté du juge en dehors de la loi doit être sanctionnée .Cela n’est nullement une entrave à l’indépendance qui elle-même ne doit s’exercer que dans le cadre de la loi .Selon Montesquieu: «la liberté juridique est le droit de faire tout ce que les lois permettent».La protection de la liberté juridique doit porter essentiellement sur son exercice.

Il faut signaler que le service public de la justice n’a pas échappé aux malaises constatés dans tous les services étatiques d’une manière générale. On est arrivé, aujourd’hui, à croire que celui qui gagne un procès a forcément fait peser dans la balance des atouts autres que ceux issus de la loi.

Il faut reconnaitre que les travers ainsi décriés sont parfois justifiés.

Alors, est-il souhaitable de dynamiser les services d’inspection judiciaire pour contrôler et au besoin sanctionner les comportements indélicats de certains.

Cependant, il est erroné de croire que la sécurité judiciaire n’est que l’apanage des juges. Elle doit être en outre recherchée dans l’œuvre des auxiliaires de la justice parce qu’ils représentent le contact direct avec les citoyens qui entendent saisir la justice .IL est impératif que ces acteurs soient d’une bonne moralité et exercent leurs professions dans le strict respect de la bonne conduite du métier et des lois en vigueur.

De même, l’organisation interne des tribunaux doit être faite, tant du point de vue structurel que du point de vue des ressources humaines, de façon à optimiser globalement le rendement de ces juridictions.
Il convient aussi de rechercher une bonne fluidité du trafic contentieux et son bon règlement par des personnes présentant le meilleur profil.

Est-il temps de permettre à la justice de retrouver sa place de choix et de jouer son rôle d’impulseur de développement, comme véritable moteur civilisationnel de la Tunisie postrévolutionnaire?

Enfin, la sécurité judicaire n’est pas un luxe égoïste des magistrats. L’établissement d’une justice sûre et certaine est l’unique moyen de stabilité sociale et économique. Elle est présentée comme un facteur primordial, une locomotive pour assurer le développement dans tous les secteurs.

Taher Ben Turkia
Président de Chambre à la Cour d’appel de Nabeul

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