Opinions - 20.06.2016

La situation économique en Tunisie et les solutions possibles, vues par un jeune étudiant

Rafic Zribi

La Tunisie post-révolution s’est engagée dans une dynamique économique libérale, en opposition à la politique protectionniste qui prévalait. Le mode de pensée différenciateur et innovant n’avait pas pour habitude de se retrouver dans le domaine entrepreneurial et était cantonné aux arts. L’attitude actuelle se veut réformatrice ce qui n’est pas sans constituer des problèmes liés à la transition.

Sur le plan macroéconomique  

Des réformes concernant la libéralisation des marchés ont été entreprises, on notera dans ce cadre :
  • L’apparition de la carte technologique permettant de payer en devises sur internet.
  • L’indépendance de la banque centrale tunisienne, votée par l’ARP le 12 Avril 2016
  • De nouvelles lois en projet favorisant l’investissement extérieur et la libéralisation des changes, tel que le rehaussement du plafond d’investissement extérieur pour les entreprises locales ou de simplification de la réglementation pour les financements étrangers dans la bourse de Tunis (actuellement de l’ordre de 27% du total des transactions).
Ces lois visent à favoriser l’essor du secteur financier en Tunisie. En effet le pays peut aisément gagner à être plus attractif dans ce secteur au vu de son niveau de développement et de son infrastructure. Cependant, le niveau est encore loin de ce qu’il devrait être. Pour exemple le Maroc, un pays qui a opté pour une politique économique libérale plus tôt que la Tunisie : la bourse de Tunis a actuellement une capitalisation de l’ordre de 6 milliards de dollars contre 60 milliards de dollars pour celle de Casablanca.
 
Un autre volet des réformes actuelles est l’investissement en particulier dans les régions du centre du pays, longtemps marginalisées économiquement. Pourtant il serait plus efficace d’avoir des incitations d’investissement dans les grands centres urbains (Tunis, Sousse, Sfax) mais par choix d’atténuation du clivage côtes-centre, promulgué comme valeur de la nouvelle république, nous y sacrifions quelques points de croissance. Pour atténuer cela, il faut que les zones promues à l’intérieur soient parfaitement reliées aux grands centres urbains, que le coût de transport, aussi bien de personnes, de marchandises que d’informations soit le plus minime possible.
 
Pour ce faire, la série de réforme a un coût qui se manifeste d’un point de vue économique : inflation, réduction du taux de change du dinar par rapport aux devises étrangères et amoindrissement du pouvoir d’achat des classes populaires et moyennes. Ces évènements sont difficilement évitables tant que la Tunisie sera dans un cycle de réformes économiques. Il est évidemment possible de décider du jour au lendemain de libéraliser toute l’économie et d’appliquer toutes les réformes d’un seul tenant, mais leur coût ne saurait être supporté par la population. La Tunisie a d’ailleurs déjà vécu au 19e siècle, ce genre d’expérience sous Ahmed, Mohammed puis Sadok Bey et qui s’est terminée de manière désastreuse pour le pays.
 
C’est pour cela que le gouvernement doit jouer sur le temps et ne prendre une décision qu’après avoir ajusté la précédente et avoir laissé le temps à la population de s’y adapter.
 
Actuellement, les réformes - et indirectement la croissance du pays - sont financées par des emprunts en augmentation. C’est une situation tout à fait normale et inévitable pour un pays en pleine transition. Le danger est d’arriver au cas où le niveau des emprunts et des intérêts deviendrait trop élevé pour conduire efficacement les réformes alors qu’elles ne sont pas finies. 

Sur le plan microéconomique 

En réalité, un des plus gros problèmes de la Tunisie est d’ordre microéconomique plutôt que macroéconomique. Il existe un important problème d’inéquation de l’offre par rapport à la demande dans le marché du travail tunisien : les entreprises privées sont en pénurie de main d’œuvre alors même que le taux de chômage avoisine les 15% de la population active. Les diplômés sont nombreux mais ne trouvent pas d’emploi par insuffisance ou par inadéquation de leur formation. Le gouvernement actuel, semble réaliser ce problème au vue des réformes de l’enseignement entreprises.
 
Par ailleurs, la productivité du tunisien est extrêmement faible. Il ne s’agit pas d’un problème de potentiel de productivité, qui lui est élevé, mais de manque d’incitation au travail et de sureffectif, en particulier dans le secteur public. Il devient alors apparent que ce qui manque à la Tunisie, ce sont plus des leaders à même de motiver la force salariale, plutôt que des entrepreneurs. On peut supposer que ce problème prend racine dans la nature excessivement hiérarchique du précédent régime qui s’est reflété dans la société et qui ne favorisait absolument pas les actions personnelles. De même cela se voit encore aujourd’hui dans l’administration fortement bureaucratique ne servant pas en premier lieu l’intérêt du citoyen, voir ne le servant pas du tout si ce n’est pour l’intérêt de l’état. 
 
On peut conjecturer que les décisions de modernisation rapide des technologies de l’information en Tunisie (qui d’ailleurs patinent en ce moment) débutées sous le gouvernement Jomaa, découlent d’un désir d’augmenter la productivité sans passer directement par de lourds remaniements de l’administration qui seraient difficilement acceptés par les employés. 
 
Ironiquement pour un état qui se disait fortement centralisé, c’est bien le manque de centralisation des données qui cause la perte de l’administration tunisienne en la rendant rigide et inefficace, permettant la corruption et ralentissant la croissance. Une grande réforme et avancée, serait un dossier numérique commun pour chaque citoyen auquel aurait accès tous les départements relevant de chaque ministère tunisien. Ce dossier contiendrait tous les documents et les informations relatives au citoyen et mettrait un terme aux duplicatas et démarches rébarbatives pour lui et bloquerait par la même occasion les failles utilisées dans les actions de fraudes et corruption. Ces données numériques seraient alors contrôlées par une instance indépendante.

Géopolitique 

Concernant la dimension internationale, dans le sens où vont les choses et pour peu que l’Europe reste un espace géopolitiquement stable et attractif, la Tunisie semble engagée dans une intégration lente au sein de l’espace européen. Chose supportée dans les faits à défauts de dits par Bruxelles.
 
Aussi, un des volets majeurs en cours de négociation pour la période actuelle est le traité de libre-échange avec l’Europe dit ALECA. Cet accord va parfaitement de pair avec les nouvelles politiques du pays et sa situation géopolitique. Toutefois, comme déjà décrié, il présente des problèmes majeurs. En effet, il existe deux problèmes fondamentaux d’iniquité de droits entre tunisiens en Europe et européens en Tunisie :
  • Premièrement, la libre circulation des personnes n’est pas identique, un européen n’a pas besoin de visa pour venir en Tunisie tandis qu’un tunisien en a besoin d’un pour aller en Europe.
  • Deuxièmement, l’euro constitue une devise acceptée presque partout dans le monde et relativement stable, tandis que le dinar tunisien n’est valable qu’en Tunisie, n’est pas librement convertible et son taux de change subit de plein fouet la situation houleuse du pays. Ce qui limite considérablement les potentialités d’investissement des tunisiens vers l’étranger.
Il convient bien entendu de régler ces problèmes avant de s’engager davantage dans l’ALECA.
 
Quelques solutions aux problèmes récurrents de devises apparaissent :
  • La libéralisation du dinar : Cette politique va dans le sens des réformes, mais impose un coût très important sur les franges populaire et moyenne de la population. Elle ne saurait être mis en place dans l’immédiat et ce pour le bien d’autres réformes.
  • L’Adoption d’une devise : Le dinar commun avec potentiellement l’Algérie et/ou le Maroc, ou bien de l’Euro par discussion avec l’UE, voir en troisième option l’indexation du taux de change du dinar tunisien sur l’euro, le dollar américain ou une autre devise ce qui constituerait une forme d’aide indirecte et qui donnerait une certaine stabilité au pays le temps de mener à bien les réformes.

Socio-historique 

D’un point de vue historique pour conclure, on peut également noter que durant son histoire jusqu’à l’indépendance, la population tunisienne a toujours été constituée d’une importante part d’étrangers. Aujourd’hui il est visible que les Tunisiens constituent un peuple multiethnique ayant une culture commune. La force de la culture tunisienne est d’ailleurs son remarquable pouvoir d’assimilation. Cette composante étrangère a été bizarrement retirée après l’indépendance du pays sur fond de nationalisme alors qu’elle constituait une force du pays. Il serait bon que le pays soit (ou plutôt redevienne) plus attractif et ouvert d’un point de vue législatif et juridique à l’installation d’étrangers, chose totalement bénéfique à la société, à la culture et à l’économie.
 
Rafik Zribi
Etudiant à l'IESEG School of Management, Lille, partant en échange Eurasmus en Finlande