Opinions - 19.04.2016

Quand la "Grande Muette" paye les frais d’un bras de fer entre un syndicat et un Ministère (!)

Quand la "Muette" paye les frais  d’un bras de fer entre un syndicat et un Ministère (!)

La nomination d’un Colonel de l’Armée Nationale à la tête de l’Hôpital Régional de Sfax a été l'élément déclencheur d'un grave différend entre l’Organisation Syndicale et le Ministère de la Santé; un différend à dimensions multiples: mauvaise gestion, corruption, conflit de compétences entre institutions et même certaines questions d’ordre tout à fait personnel. Cela peut se justifier par l'étape trouble que traverse le pays où les rôles des différentes institutions de l’Etat et composantes de la société, dont celui de l’Administration et des syndicats, ne font pas encore l’objet d’un consensus clair et communément admis.

Mon propos porte précisément sur le rejet catégorique par un syndicat de la désignation d’un Colonel dans une fonction civile, Directeur Général d’un hôpital. En effet, cette désignation est farouchement rejetée par peur, nous apprend notre chère organisation syndicale, d’une éventuelle "askarat" de l’administration civile du pays. Pour étayer leur thèse, ces défenseurs de l’Administration de l’Etat contre la "militarisation", qui n’existe que dans leur imaginaire, nous précisent qu’en cas de différend entre ce militaire et l’un de ses subordonnés, forcément civil, ce dernier serait alors traduit devant un Tribunal militaire, ce qui pour eux, serait absolument inadmissible.

Ce qui est frappant dans l’attitude du Syndicat concerné, c’est l’esprit agressif qui marque son discours. Au lieu de profiter de l’arrivée d’un nouveau Directeur et lui proposer un programme d’actions à même de sauver cet Hôpital sinistré et mieux servir les citoyens de la région, pendant plus de sept mois, ces syndicalistes veulent à tout prix empêcher le Directeur de rejoindre son bureau, par crainte selon leurs déclarations, de voir l’administration "militarisée". Seulement, ils ne nous expliquent pas pourquoi les relations entre le Directeur de l’Hôpital d’une part et cadres et agents de l’autre sont à ce point conflictuelles qu’elles ne peuvent finir que devant la justice militaire ou civile d’ailleurs. La seule explication possible, résiderait dans leur vision de ces relations et de la nature du "combat" qu’ils comptent mener contre, et non pas avec, la Direction de l’Hôpital et du Ministère de tutelle et ce quelque soit le programme d’action de ces derniers.

Et pour mieux souligner  la gravité de ce différend, voilà qu’on nous promet une belle grève sectorielle générale pour le 28 de ce mois (!) De quoi nous édifier sur les dispositions à coopérer pour le bien de l’Hôpital, des citoyens de la région et pour le pays et sur le sens de proportionnalité des mesures annoncées par rapport aux revendications, du moins celles proclamées.

A nos chers syndicalistes, je voudrais quand même leur préciser ce qui suit:

Cette attitude qui se veut, en apparence,  républicaine, légaliste, au point de craindre la "militarisation" de l’Etat par la simple désignation d’un Colonel dans une fonction civile, est certainement au niveau des principes, très louable; seulement, ses fervents défenseurs doivent d’abord nous expliquer  ce qui suit:

  • Où étiez-vous quand pas moins de huit officiers de ces " aseker ", comme vous aimez bien les appeler, étaient désignés à la tête de gouvernorats ? d’ailleurs l’un d’entre eux était aussi un Colonel Major Médecin ? n’avez-vous pas eu peur en ce moment pour l’Etat ? ou bien vous avez plutôt préféré profiter des qualités de ces cadres issus de l’institution militaire, pour éviter l’effondrement du pays et tant pis s’ils se trouvent être des "asekers"? faites attention, il y a encore un " asékri " qui tient jusqu’à ce jour l’un des gouvernorats frontaliers des plus sensibles, ne faut-il pas l’en évincer, surtout que le poste de gouverneur est éminemment politique? un " askri " qui fait de la politique au temps de la deuxième république sous le regard des syndicats, "garants des institutions de l’Etat" (!) Cela, ne  valait-il pas une grève bien générale, dans tout le pays et dans tous les secteurs ? S’il vous plait Messieurs, un peu de sérieux, vous faites perdre un temps précieux au pays alors que le navire "Tunisie" coule.

Pour revenir un instant à votre refus de vous soumettre éventuellement à la juridiction militaire et pour vous suivre dans votre raisonnement jusqu’au bout, vous devez savoir Messieurs les syndicalistes, que c’est le Pouvoir législatif, représentant du peuple, qui a fixé les compétences de cette juridiction nationale et décidé, entre autres, quand un civil doit ou ne doit pas lui être soumis et ce avec toutes les garanties d’un jugement juste. Cessez donc d’en parler comme s’il s’agissait de la juridiction d’occupation sioniste(!)

  • Par vos déclarations, vous semblez nous confirmer que vous êtes bien pour l’ordre républicain qui veut que chaque institution s'en tient au rôle qui lui est légalement dévolu, rien de plus sensé. Seulement, pouvez-vous expliquer aux Tunisiens que vient faire la désignation des chefs des établissements sanitaires dans les prérogatives des organisations syndicales? Il n’échappe à personne  que les syndicats n’hésitent plus à s’immiscer à tous les niveaux dans tous les processus décisionnels et de gestion de l’Administration que vous voulez bien protéger des militaires, comme on se protège de la "peste" (!). Le moins qu'on puisse dire est que nous sommes en présence d'une conception bizarre du syndicalisme? La grande Centrale syndicale, de sa part, ne se gêne plus d'exprimer haut et fort des positions éminemment politiques; et dans certains cas, sa seule objection se limite à faire remarquer qu’elle n’a pas été consultée au préalable pour telle ou telle décision gouvernementale, alors que ces décisions ne relèvent aucunement des prérogatives syndicales. C’est comme si tout gouvernement, même issu d’élections acceptées par tous, devrait impérativement soumettre au préalable, toute décision à l’aval de la Centrale Syndicale, au fait un supra gouvernement. Donc messieurs, les farouches défenseurs de l’ordre républicain, de l’Etat de droit et des institutions, ne faut-il pas commencer par soi-même et montrer l’exemple à suivre? Quant au rôle de l’UGTT dans le dialogue national, par ailleurs incontestable, ne peut en aucun cas vous donner le droit de vous immiscer dans des affaires qui ne ressortissent pas à votre compétence: politiques, de gestion et de direction des institutions de l’Etat.
  • Messieurs les syndicalistes, l’étape transitoire étant achevée, il est peut-être difficile, pour certains d’entre vous, de quitter la sphère politique après y avoir vécu  de grands moments de joie et de fierté, par ailleurs bien mérités et partagés par tous les tunisiens. Ainsi, il est compréhensible que vous soyez tentés de vous approprier pour toujours quelques prérogatives d’ordre politique, c’est même légitime, mais dans ce cas, il fallait quitter les organisations syndicales, rejoindre les partis politiques existants ou en former un nouveau,  Les activités syndicales et celles politiques obéissent à des règles totalement différentes.
  • Les militaires ne demandent jamais d’eux-mêmes à être désignés dans des fonctions civiles et quand ils y sont exceptionnellement désignés, c’est parce que des autorités civiles le jugent nécessaire pour affronter une situation grave comme l’est probablement aujourd’hui à l’Hôpital Régional de Sfax. Dans tous les cas, mis à part de très rares exceptions, les nombreux " asèkers " qui ont eu à assumer de telles lourdes charges civiles s’en sont dignement tirés avec la probité, la rigueur, le sérieux, le dévouement et le sens du sacrifice qu’on leur reconnait. Une fois la mission accomplie, ils retournent dignement et surtout en silence, à leur caserne.
  • Sachez aussi, Messieurs les syndicalistes, que depuis l’indépendance, l’Armée tunisienne a toujours été appelée à contribuer à l’effort national de développement. Ces mêmes militaires  ont eu le privilège et l’honneur de participer au renforcement de la base infrastructurelle du pays particulièrement dans les zones reculées où les entreprises civiles, pour des raisons de rentabilité ou de sécurité ne veulent pas ou ne peuvent pas y intervenir, la palmeraie de R’jim Maatoug, la route d’el jerid ( Kébii-Tozeur), celles reliant Douz à Matmata et Remada à Dhéhibat, ne sont que quelques exemples parmi tant d’autres œuvres réalisées par ces" Asèkers" en étroite coordination avec les autorités régionales et locales civiles et avec des techniciens et ouvriers civils recrutés sur place, sans pour autant poser ce faux problème de militarisation de l’Etat :  aucun civil n’a été traduit, dans ce cadre, devant un Tribunal ni militaire ni civil d’ailleurs. Je ne reviendrai pas sur l’attitude républicaine et exemplaire de l’Armée pendant les évènements de 2011, parce qu'elle trop connue pour être soulignée.

Il est certains que les arguments présentés et relatifs à la qualité militaire du Directeur de l’hôpital de Sfax, ne sont qu’un alibi qui cache, en réalité, d’autres vrais conflits de gestion et peut- être politiques, plus profonds entre le Syndicat de cet établissement, qui serait soutenu par sa Centrale, d’une part et le Ministre de la Santé et le Gouvernement de l’autre. Ainsi le Directeur,  tout simplement parce qu’il est "Askri", se trouve "piétiné, humilié…" et en paye les frais; d’ailleurs, à travers ce Colonel Médecin, l’Armée tout entière s’en trouve indirectement, négativement touchée; un signe élégant de reconnaissance dans ces moments difficiles, pour les sacrifices consentis et services rendus à la collectivité nationale par ces mêmes  "asekers" (!!!)

Tôt ou tard, ce conflit sera résolu, et tant mieux pour la région de Sfax et pour tout le pays, en attendant, je voudrais dire aux différentes parties concernées ce qui suit:

a- Mr le Ministre de la Santé

vous devez assumer les conséquences de vos décisions, en clair, quelle que soit l’issue de ce bras de fer entre vous et le syndicat, vous ne devez en aucun cas lâcher ce Directeur et le sacrifier au nom d’un quelconque compromis et d’intérêt du pays. Jusque-là, vous avez voulu vous montrer en homme de principe, ce qui est largement apprécié ; ainsi, le cas échéant,  le départ de ce Colonel Médecin de la Direction de l’hôpital de Sfax ne peut être envisageable que s’il est précédé de votre départ même du Ministère de la Santé.

b- Mon Colonel

je vous conseille vivement de poursuivre votre mission, comme vous l’avez appris en tant que bon "Askri" stoïquement et surtout en silence. Ne vous laissez surtout pas trainer par ces syndicalistes sur le terrain médiatique, par ailleurs très glissant, cela ne vous servira point, ils exploiteront la moindre imprécision linguistique et vous feront dire ce qu’ils veulent eux-mêmes vous faire dire. Vous ne faites pas réellement partie de cette guéguerre entre le Ministre et le Syndicat, laissez-les donc régler leurs comptes entre eux, retirez vous de cette bataille qui ne vous concerne nullement. Retenez que, seules vos réalisations concrètes à l’hôpital pour l’intérêt général et votre conduite exemplaire de chef militaire responsable, pourront militer pour votre cause personnelle et à travers vous, redorer davantage, si besoin en est, le blason de toute l’Institution militaire que vous représentez. Concentrez-vous donc sur ce qui est utile, malgré le climat hostile que vous ont crée ces syndicalistes.

c- MM. les Syndicalistes

vous vous êtes trompés de cause et d’adversaire. Vous avez tout à gagner à revoir votre position vis-à-vis de ce militaire qui reste en tout cas un médecin tunisien, efforcez-vous plutôt à tirer profit de ce qu’il peut donner de bénéfique à votre institution, et si par malheur il fait preuve d’incompétence ou d’agissements inacceptables, attirez alors l’attention du Ministère de tutelle qui s’en chargera et personne, dans ce cas, ne vous en voudra. Quant à la "Askarat" de l’hôpital que vous imaginez, pour les militaires, elle est plutôt synonyme de rigueur, de sérieux, de probité, de sacrifice pour l’intérêt général et la Patrie…je suis certain, vous aussi, vous appréciez bien ces valeurs! 

d- La Centrale Syndicale

je suis convaincu que vous n’avez de leçon à recevoir de personne, permettez moi quand-même de vous suggérer tout modestement, d’assumer pleinement votre rôle de direction vis-à-vis des syndicats de base et de vos affiliés, ne vous laissez pas entrainer toujours par leurs mouvements et surtout quand ceux-ci ne servent pas les intérêts du pays, un tel comportement vous fera perdre le contrôle de la situation dans le pays. Votre rôle et responsabilité sont décisifs quant à la maitrise de la situation sociale, encore très fragile dans le pays; vous avez tous les moyens pour y réussir. Les calculs pour les prochaines élections au sein de l’UGTT ne peuvent en aucun cas prévaloir sur les intérêts nationaux.

Mohamed Meddeb