News - 12.04.2016

Les leçons d’une exposition sur l’Algérie à Marseille

Les leçons d’une exposition sur l’Algérie a Marseille

Correspondance spéciale pour Leaders - Une exposition consacrée à l’Algérie baptisée « Made in Algeria. Généalogie d’un territoire » se tient au Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MUCEM) à Marseille depuis la mi-janvier 2016 et jusqu’au 2 mai 2016. Le MUCEM est un très beau bâtiment, remarquablement situé avec une vue superbe. Il a permis de magnifiquement réhabiliter tout un pan de la cité phocéenne.

Notons de prime abord que le MUCEM prévient que la guerre d’Algérie n’est pas le sujet de l’exposition.

De quoi s’agit-il alors ?

« C’est ce qui s’est passé en amont de cette guerre qui est présenté… C’est une exposition dédiée à la représentation d’un pays et de sa terre, l’Algérie. Une tentative de mise à plat d’une aventure moderne qui a commencé il y a plus de deux siècles et dont les effets durent jusqu’à aujourd’hui : la fabrique coloniale d’un territoire. »
C’est clair et net. : la guerre d’Algérie demeure un sujet sensible pour tout le monde… notamment dans cette France méridionale où Pieds Noirs, harkis, droite façon Sarkozy et Front National ont une présence bien affichée.

Organisée avec l’Institut National de l’Histoire de l’Art et de la Bibliothèque Nationale de France, l’exposition donne à voir près de 200 cartes, dessins, peintures, photographies, films… ainsi que des œuvres d’artistes contemporains partis à la découverte de cet immense territoire longtemps appelé « Barbarie » ou « Berbérie » - c’est selon - et sur les côtes duquel se sont mesurées des puissances dites « musulmanes » à des puissances dites « chrétiennes » avant même l’instauration de la régence d’Alger en  1515. C’est dans le droit fil de ces confrontations que, en 1682-1683, la flotte française bombardera la ville d’Alger qui sera gravement incendiée.  Issus de cette hostilité, fleurissent, depuis, les clichés et les stéréotypes à la vie bien dure !
L’exposition reflète l’évolution de la perception des Français de cette histoire marquée par bien des bouleversements. Elle est déclinée en quatre périodes principales : d’abord une Algérie précoloniale, puis la colonisation française suivie par la décolonisation et enfin l’époque actuelle.  L’arrivée massive des colons débute en 1842. En 1848, l’Algérie est officiellement proclamée « territoire français » prolongeant par-delà la mer le territoire national comme département. Mais en 1870 - l’année de la Commune de Paris, une révolution prolétarienne - 500 000 ha de terres algériennes sont confisqués et attribués aux colons.

A quoi sert la géographie?

L’exposition montre « comment l’invention cartographique a accompagné la conquête de l’Algérie et sa description » précise le dépliant de l’exposition. L’espace blanc de la carte joua un rôle majeur quant à l’invention d’un territoire, de son orientation culturelle et du récit qui en a été fait de lui. »

« La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre. » : parcourant cette exposition, jamais la fameuse formule de ce maître qu’est Yves Lacoste ne nous a parue plus juste. L’outil cartographique permet en effet la connaissance progressive d’un territoire profondément méconnu pour devenir par la suite un instrument militaire capital servant d’abord la conquête et ses massacres, puis l’exploitation du pays. Il permet notamment de parvenir, en 1845, à la délimitation de la frontière avec le Maroc ( on disait alors « Régence de Fès »). « L’Algérie, écrivent les organisateurs, a été la fabrique de la cartographie moderne, un laboratoire qui a permis d’explorer et d’expérimenter la saisie d’un territoire et de mettre en scène une vaste palette d’outils propre à la colonisation. »

De fait, on passe sur le plan de la cartographie, « d’une vision floue à une vision en canon de fusil » écrit Daho Djerbal qui ajoute : « les terres d’Afrique sont convoitées, ce ne sont plus les marchands négociants mais les militaires, ceux qui les précèdent ou les accompagnent sur les champs de bataille, qui donnent maintenant le ton des représentations communes. » Alexis de Tocqueville n’a-t-il pas établi dès 1833 - trois années seulement après le débarquement français à Sidi Ferruch, en juin 1830 - « la colonisabilité » de ce pays de Barbarie dont on a démoli la citadelle de la Casbah, à la recherche du « trésor du beylick » malgré la convention de capitulation signée avec le dey? C’est ainsi que, de 1918 à 1939, les produits du sol algérien contribuera à la richesse de la France et lui permettra de panser les terribles dégâts de la Première Guerre Mondiale. Mais l’indigène ne sera qu’un sous-citoyen de la 3ème République et deviendra partenaire du colon européen qui va substituer - jusqu’à la dernière heure de l’occupation - aux noms autochtones des noms nouveaux pour les centres de colonisation et pour les villes algériennes sur la carte de géographie.  Tout comme font les sionistes aujourd’hui en Palestine (Lire Shlomo Sand). La statue équestre du duc d’Orléans - qui a pris la smala d’Abdelkader - trônera en pleine place du Gouvernement défiant la casbah qui lui fait face. Les Algériens, par dérision, parleront de « la place du cheval » !  Nous avons connu en Tunisie la statue de Jules Ferry et celle du cardinal Lavigerie avec son énorme croix à Bab Bhar, à l’entrée de la rue Jemaâ Ezzitouna !

La science au service de la colonisation ?

La colonisation n’a pas apporté « la civilisation » et « la paix » en Algérie, comme le proclament certains politiciens contemporains. D’abord parce que les Algériens n’ont jamais cessé de résister aux Français. C’est ainsi que les insurrections dans les Aurès et en Kabylie n’ont pas cessé de 1850 à 1870 et que la famine a ravagé le pays entre 1866 et 1868.

Un fait remarquable cependant : le 24 août 1839, est créée la commission d’exploration scientifique d’Algérie. Géologues, archéologues(1), chimistes, minéralogistes, vétérinaires, botanistes et militaires vont explorer, évaluer, inventorier et mesurer les richesses naturelles de l’Algérie qu’ils dévoileront à Paris en 1842, à la fin de leur mission. C’est ainsi aussi que le général Philippe Thomas - vétérinaire féru de géologie - mettra en évidence les phosphates du bassin de Gafsa, près de Metlaoui le 18 avril 1885. En 1798, Napoléon Bonaparte avait instauré la Commission des Sciences et des Arts en Egypte inaugurant ainsi l’introduction de la science et des savants dans les conquêtes et les expéditions coloniales en vue d’une exploitation rationnelle des richesses des pays colonisés et, incidemment, de leur dépossession de leurs trésors archéologiques, voire la destruction de leur environnement. C’est ainsi par exemple, que le lion de Barbarie - que l’on voyait chez nous au nord-ouest et près du Kef - a disparu en quelques décennies, exterminé par à la chasse aux trophées livrée par les Tartarins français.  

Un océan de questions submerge le visiteur à la fin de cette pérégrination au MUCEM. Franz Fanon vient à la rescousse en psychiatre - cité par Daho Djerbal - quand il écrit qu’il serait illusoire de considérer l’indépendance comme libération de l’asservissement créé par la domination coloniale qui a imposé la soumission. La libération politique ne suffit pas pour passer du statut de soumis « silencié » à celui de citoyen « libre », engagé dans un vivre-ensemble. « Il faut que les peuples colonisés, il faut que les peuples qui ont été dépouillés perdent l’attitude mentale qui jusqu’à présent les a caractérisés. »

Mohamed Larbi Bouguerra

(1) Les archéologues n’étaient intéressés que par le passé romain et les vestiges chrétiens de l’Algérie ! Un peuple colonisé n’a ni passé ni art pour ces « savants ».
 

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