News - 26.01.2016

Mohamed Ennaceur : Comment répondre aux attentes des jeunes et des régions 1/3 (Vidéo)

Mohamed Ennaceur : Comment répondre aux attentes des jeunes et des régions

« La Tunisie peut-elle se permettre d’espérer une stabilité durable avec autant de chômeurs et surtout de chômeurs jeunes et diplômés ? s’interroge pensivement Mohamed Ennaceur, président de l’Assemblée des Représentants du Peuple. Ce qui s’est passé il y a quelques jours,ajoute-t-il, même s’il a été instrumentalité par certains activistes, souligne l’aggravation d’une situation chronique qui ne peut pas nous laisser indifférents. L’emploi nécessite d’être pris en charge dans le cadre d’une nouvelle vision d’avenir ».  C’est ce qu’il déclare dans une interview accordée à Leaders à la veille de la présentation ce mercredi 27 janvier, par le chef du gouvernement, Habib Essid, devant les élus de la nation au Bardo, d’une stratégie nationale de développement économique et social. L’Assemblée aura également ce vendredi un débat avec le gouvernement sur les mesures urgentes qu’il compte mettre en œuvre rapidement.

Mohamed Ennaceur reconnaît que malgré les efforts déployés, aucun des gouvernements successifs depuis la révolution,  ne peut prétendre avoir maîtrisé dans son ensemble le problème du chômage dans ses multiples dimensions. Il déplore que le discours des politiques est beaucoup plus orienté conquête du pouvoir que réponse aux attentes pressantes des Tunisiens, d’où le creusement du gap qui sépare les élites dirigeantes de la population. Il appelle à la fois à des mesures urgentes mais aussi à l’élaboration d’une nouvelle vision d’avenir à même de rassurer les Tunisiens sur la bonne orientation que prend le pays.
Intervenant lors du conseil de sécurité nationale tenu lundi à Carthage sous la présidence du chef de l’Etat, Mohamed Ennaceur avait évoqué la nécessité de garantir un revenir décent à chaque famille, indiquant que l’ARP envisage d’entreprendre une proposition législative dans ce sens. Sans en révéler les détails précis, il l’explique dans la première partie de son interview à Leaders. Il répondra successivement dans les deux autres parties qui seront mises en ligne incessamment à nos questions relatives à l’accélération de l’examen par l’Assemblée de plus de 70 projets de loi en instance, et aux répercussions de la crise de Nidaa Tounès sur l’action du gouvernement et celle de l’ARP.
 
Interview

Avez-vous pressenti le déclenchement de cette lame de fond qui est rapidement remontée en surface et avec toute cette ampleur ?

Une vraie lame de fond, peut être provoquée par l’instrumentalisation politique d’une situation sociale difficile. Parce que une manifestation, il s’en déroule souvent, marquée cependant par la mort déplorable du jeune Yahyaoui, s’est propagée à une vitesse très rapide. Cette lame de fond, provoquée dans un but de déstabilisation du gouvernement, est purement politique
J’étais surpris par la rapidité, la synchronisation des événements, la volonté de rappeler le 17 décembre 2010 -14 janvier 2011.Ce n’était pas spontané comme auparavant. Cette fois, ce qui est spontané dans une certaine mesure, est exploité par ceux qui avaient un intérêt à l’instrumentaliser.

Le mal social et la précarité restent pourtant profonds ?  

C’est vrai. Le milieu est particulièrement propice à ce genre de tensions et de contestations. Le chômage en Tunisie ne date pas d’aujourd’hui seulement. Nous l’avons connu dès l’indépendance. Mais c’était un chômage d’une autre nature, ponctué par l’absence de revenu. 
Aujourd’hui, ce sont des jeunes qui ont fait des études, consenti des sacrifices. Les parents aussi ont dû rogner sur leurs besoins essentiels pour permettre à leurs enfants de pousser leurs études jusqu’à l’université, sans pour autant qu’ils puissent accéder au travail. Ces jeunes, diplômés ou pas, se trouvent sans aucune possibilité de participer à la vie du pays et se sentent exclus !
Le principal défi aujourd’hui en Tunisie, c’est l’emploi. C’est le problème majeur qui doit préoccuper la société tunisienne, les élus et l’élite politique de ce pays.

Vous avez été président de la Conférence Mondiale de l’Emploi du BIT en 1976 et vous avez un regard averti sur cette question…

Effectivement, et la question n’est pas spécifique à la Tunisie. Elle se pose à l’échelle mondiale. Même dans les pays industrialisés, c’est un problème qui préoccupe l’ensemble de la communauté internationale et nécessite des solutions. A ce jour, on s’évertue à trouver les moyens pour promouvoir l’emploi, répondre à un besoin social essentiel. Le droit au travail un élément essentiel des droits de l’Homme, reconnu par les conventions internationales et inscrit en Tunisie dans la constitution, avec une réalité économique qui, elle, a ses propres règles et ses limites. Les efforts des gouvernements, un peu partout, essayent de trouver l’équilibre le plus grand possible entre cette demande sociale générale, naturelle, légitime, avec les impératifs économiques, qui ne sont pas toujours maitrisables, obéissant à des règles de marché et des contraintes de rentabilité.

La communauté internationale n’a pas apporté suffisamment d’appui à la Tunisie pour résorber, ne serait-ce qu’en partie, le chômage ?

L’idée centrale de cette conférence mondiale était que la création d’emplois devrait permettre la satisfaction des besoins essentiels de l’homme. Ainsi devait s’organiser l’activité économique. C’est à partir de cette vision que le problème de l’emploi devrait être résolu à une échelle très large de par le monde. Or actuellement ce n’est pas le cas. 

En Tunisie, les gouvernements successifs après la révolution n’ont pas su tenir leurs promesses pour créer des emplois et y ont laissé leurs crédits ?

Pourtant, cela a toujours été l’objectif. Chacun a fait un effort et réalisé un progrès dans ce domaine. Mais jusqu’à présent, aucun gouvernement ne peut prétendre avoir maitrisé l’ensemble du problème qui a des dimensions multiples. La demande essentielle de chaque être humain est de vouloir participer à la vie de la communauté à travers un travail est une aspiration légitime que ne saurait lui dénier.
Mais, face à cela, les possibilités d’emploi sont nécessairement limitées en raison des contraintes qui ne sont pas maitrisables par les gouvernements. Ceux-ci n’en ont pas la maitrise totale sur à la fois la demande et l’offre. Mais, l’essentiel est de voir dans quelle orientation les gouvernements successifs sont allés.
 
A l’aube de l’indépendance, c’était, l’éducation pour tous, afin d’assurer l’ascension et la mobilité sociales. C’est ce qui a donné des chances égales pour tous les jeunes, un accès à l’école, à la formation, à l’université, pour la majeure partie de la jeunesse tunisienne. Le contexte économique n’a pas répondu aujourd’hui à la demande qui devait absorber les jeunes et leur donne leur chance.
 
Les gouvernements se sont employés à utiliser des politiques actives d’emploi. C'est-à-dire intervenir pour modifier les données du marché, en formant lorsqu’il y a des besoins, en s’adaptant en fonction des possibilités de placement, et en encourageant la création d’une activité indépendante rentable pour ceux qui ne pouvait accéder à l’emploi salarié. En somme, des programmes provisoires pour assurer un revenu minimum en attendant de meilleures perspectives.
 
A un certain moment, l’émigration avait été d’un appoint utile, permettant d’absorber des nombres significatifs. C’est ainsi que des dizaines de milliers de travailleurs partaient chaque année à l’étranger. Aujourd’hui, cette possibilité s’est rétrécie et nous devons essayer de trouver d’autres solutions.

Au-delà des mesures ponctuelles y a-t-il des mesures stratégiques fortes à mettre en place très rapidement ? 

Le gouvernement prépare actuellement une stratégie appropriée que le chef de gouvernement soumettre à l’ARP lors d’une session spéciale. Les perspectives du gouvernement s’orientent vers l’encouragement de l’investissement, l’amélioration du climat des affaires, le renforcement de l’infrastructure dans les régions, la décentralisation du financement des activités dans les régions, et le développement des microcrédits. Tout un arsenal de moyens qui est en cour de mise en place.
 
Mais je pense que tout ceci doit procéder d’une vision de la société. La Tunisie peut elle se permettre d’espérer une stabilité longue avec autant de chômeurs et surtout de chômeurs jeunes. 
 
Ce qui s’est passé il y’a quelques jours, même s’il a été instrumentalité par certains activistes, c’est quand même l’aggravation d’une situation chronique qui ne peut pas nous laisser indifférent. L’emploi nécessite d’être pris en charge dans le cadre d’une nouvelle vision.  
 
Le Tunisien aujourd’hui attend sans doute des solutions immédiates, mais aussi et surtout une vision d’avenir. Ce gouvernement a été élu, jouissant d’une majorité confortable au sein de l’ARP pour pouvoir construire cet avenir. Il a été investi de la confiance de peuple, précisément, pour restaurer cet espoir parmi les Tunisiens, surtout les jeunes. Y procéder dans le cadre d’une réforme de système éducatif, à tous les niveaux, d’une refonte du cadre de l’investissement et de l’activité économique d’une façon générale et de la garantie d’un revenu minimum à toutes les familles tunisiennes. Procurer un revenu minimum durable pour chaque foyer doit être inscrit dans les perspectives les plus proches.
C’est un objectif qui est à la portée de la Tunisie aujourd’hui.
 
Un revenu ou un emploi au chef de famille, une discrimination positive en matière d’emploi au chef de famille, avec une aide essentielle et consistante pour tous ceux qui sont à mesure de créer leur propre activité économique qu’il s’agisse d’artisanat, de services, et même de travail à domicile. Vous vous rappelez les programmes de la famille productive, à un certain moment. Nous  avons aidé les familles à avoir une source de revenu à travers de l’un des membres de la famille.
 
Voila des projets qui peuvent réussir parce qu’ils vont dans le sens, d’un côté, de l’emploi pour le maximiser et, de l’autre, de pourvoir un revenu stable, procédant d’une vision d’avenir plus positive. 

Cette vision ne tardera-t-elle pas à venir. Cela fait maintenant un an que ce gouvernement est en place ?

 Effectivement, cela fait un an qu’il est au commande et certain intendance a lui reprocher  de ne pas avoir fait grande chose, mais un an c’est court en fait, il a beaucoup fait mais il n’arrive à résoudre tous les problèmes en si peu du temps. En tout cas il a mis en œuvre une stratégie qui sera débattue avec les élus de la Nation.   
 
Cette stratégie apporte des éléments qui peuvent rassurer les Tunisiens sur l’avenir et les porter à croire que nous allons vers une situation ou tous les Tunisiens auront leur chance et que personne ne sera laissé au bord de la route. 

Certains disent qu’il y a au fond une crise politique et institutionnelle. Partagez-vous ce sentiment ?

Une crise politique, oui ! Dans le sens où le discours politique de l’élite est de moins en moins perméable à la population. De moins en moins perçu !
 
Il ya un écart qui se creuse entre le discours des politiques et les attentes de la population. Le discours est trop orienté conquête du pouvoir, prise du pouvoir. Alors que les citoyens attendent des hommes politiques qui leur disent ce qu’ils vont faire pour eux, pour résoudre leurs problèmes et améliorer leur quotidien ? Et comment ils comptent y procéder ? Très, très rarement, les discours répondent à ces questions.
Nous assistons d’une part à un rush vers le pouvoir avec tous les coups et les mauvais coups au sein de la classe politique et, d’un autre côté, nous trouvons un peuple de plus en plus indifférent à cette course et ce discours politiques. Un peuple qui sent de plus en plus loin de cette élite censée le conduire, en démontrant sa capacité à s’intéresser à ses besoins et proposer des solutions. Ce travail, essentiel, ne saurait être fait par un parti contre d’autres. Nous avons aussi besoin, et son manque fait partie des causes de la crise politique, d’unifier nos efforts.
Il y a un effritement des partis politiques tunisiens. Même certains parmi eux créés après les dernières élections sont en train de voler en éclat.
 
Cette situation nuit à l’ensemble et aggrave la crise politique. Se retrouver ensemble en dépassant les divergences dans les projets socio-économiques convenir des choix doivent l’emporter. Nous avons besoin de cet effort d’élévation pour que la classe politique se situe au niveau des attentes des Tunisiens. 
 
La vision ne doit pas se limiter au temps présent mais s’étendre à l’avenir. C’est ce redressement qui mente aujourd’hui d’être accompli. La classe politique est en pleine gestation. Nous ne sommes pas encore dans un système où les partis politiques ont pris leur place définitive.
 
(A suivre)