News - 11.10.2015

Fadhel Moussa : Le prix Nobel une nouvelle hirondelle pour confirmer le printemps

Fadhel Moussa : Le prix Nobel une nouvelle hirondelle pour confirmer le printemps

«C’est à Naples que j’ai appris la nouvelle de l’attribution du prix Nobel au quartet du dialogue national ». Cette « exclamation » pour Paolo De Luca, du journal Napoli Repubblica, a été retenue comme titre de notre entretien. C’était en marge d’assises tenues à Naples du 7 au 10 octobre sur « La libre pensée: Dissension, désobéissance et démocratie ».

Son article publié le 10 octobre recuillera, dans sa version électronique, et en quelques heures plus de 45 000 « j’aime ». Ceci dénote toute la sympathie et la considération dont jouit la Tunisie à l’étranger et en Italie en particulier. C’est un « premium meritato» qui récompense une expérience originale et réussie de la transition démocratique estiment-ils. J’ai eu à relever ce sentiment auprès de toutes les personnes rencontrées sur place et/ou celles que j’ai croisées.

Le 10 octobre au matin deux quotidiens sur trois afficheront la nouvelle en première page. Aux deux aéroports, sur le chemin du retour, certains compatriotes m’interpellaient me posant la sempiternelle question : Où va-ton ? J’ai trouvé cette fois une réponse prête.

Avec un seul geste et sans commentaire je leur arbore trois grands titres de trois journaux différents que j’ai pris au hasard sur les étals des salles d’embarquement de Naples et de Frankfurt: La Repubblica : « Il Nobel della pace alla rivolta del gelsomini »(pp 18/19), FrankfurterRundschau : « Ansporn fur Tunesiens Revolutionare » (pp2/3/11), FTWeekend : « Nobel Prize won by Arab Spring group : Tunisia, Peace award» (p4) Les photos de la révolution et du sit in errahil avec la photo des quatre leaders du quartet illustreront ces titres qui seront approfondis sur des pages entières à l’intérieur. Sans oublier les journaux télévisés et autres émissions spéciales qui ont accordé dès le 9 au soir des minutes précieuses à cette nouvelle mondialement attendue avec curiosité et suspense.

Ce prix a relevé le prestige de la Tunisie de plusieurs crans. Il compense le recul qu’elle n’a cessé d’enregistrer auprès de plusieurs organisations et agences de notations dans différents domaines. Le gouvernement peut maintenant faire l’économie d’une campagne publicitaire pour redorer le blason de la Tunisie. Il 2 n’en a plus besoin pour un bon bout de temps. Toutefois, il doit montrer sa capacité à confirmer cette excellente note par sa gouvernance du pays.

Pour revenir à cette consécration et pour être juste avec l’histoire, il ne faut pas oublier les éléments préparatoires dont l’accumulation et la succession ont permis l’émergence du Quartet et à sa tête l’UGTT. On enregistre ainsi deux assassinats politiques : Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, le boycottage de l’ANC par une quarantaine de constituants le 25 juillet, la constitution d’un « Front du salut national » et le lancement du sit in « errahil » au Bardo et ailleurs. On ne peut oublier la contribution des centaines de milliers de citoyennes et de citoyens qui, pendant trois mois, ont manifesté et réclamé ostensiblement la dissolution de l’ANC et la démission du gouvernement. Tous ceux-là à des degrés divers ont accompagné le Dialogue national proprement dit et la signature de la fameuse feuille de route.

Le Quartet est considéré comme l’expression de la société civile mais il faut bien reconnaître que les partis politiques ont fini par comprendre qu’il n’y avait qu’une seule voie celle du compromis et du consensus. L’intermédiation initiée obstinément par le Quartet a accompagné, facilité et bouclé le processus.

C’est à tous ceux-là, au peuple tunisien et à ses martyrs en tête que revient cette distinction exceptionnelle. C’est d’ailleurs ce que disent tous les commentaires médiatiques étrangers. Un double exploit pour le Quartet : il est, d’une part, le récipiendaire du Nobel et donc objet de tous les égards et d’autre part, il s’est avéré un digne représentant de la nouvelle Tunisie pour l’œuvre qu’il a accompli.Je persiste à penser qu’il y a bien une exception tunisienne. Je ne vois pas un seul cas où en moins de cinq ans un peuple « société civile et classe politique » a réussi à : déboulonner un régime indéboulonnable, entrer dans une période de transition démocratique en franchissant tous les obstacles, changer quatre gouvernements, suspendre la Constitution et élire une Assemblée nationale constituante, résister au terrorisme et aux assassinats politiques et à la violence, adopter une nouvelle constitution démocratique et consensuelle, organiser deux élections une législative et une présidentielle dans les délais constitutionnels, réussir du premier coup l’alternance au pouvoir selon un processus démocratique qui a été validé malgré ses insuffisances, passer aux 3 institutions pérennes après celles provisoires et recevoir en prime tout simplement le prix Nobel de la paix qui récompense des représentants de la société civile.

C’est plus qu’une prouesse c’est une ruse de l’histoire. En effet, le monde a connu depuis les années 70 toutes sortes de changements démocratiques en Amérique latine, en Afrique, en Asie et en Europe aussi bien avant qu’après la chute du mur de Berlin. Aucune expérience n’a connu un tel honneur. La récompense à travers le Quartet au peuple tunisien c’est ce que nous devons retenir.

Est-ce vraiment tout le peuple tunisien sans exception ? Que doit-on penser de ceux qui ont boycotté le Dialogue national et l’ont même combattu : doivent-ils être exclus de la fête ? Certains, oui, il s’agit de ceux qui ne croient pas dans l’Etat de droit, l’Etat civil et démocratique, ceux qui ne reconnaissent pas l’idée de constitution, ceux qui ont un autre projet de société pour la Tunisie qu’ils entendent imposer par la violence. Ceux-là de toute façon ne croient pas non plus à la symbolique et à l’importance du prix Nobel de la paix.

Quant aux autres, ils ne doivent pas être exclus de la fête car on ne peut méconnaître à personne le droit à la libre pensée. Un droit qui s’accommode de la dissension et même de la désobéissance bien comprises c’est cela la démocratie. C’est l’enseignement des assises du festival de la libre pensée de Naples.

Dans ces assises un panel a été consacré au thème : « Est-ce la faillite du printemps arabe ? » j’ai opiné : tant que la Tunisie tient il n’y a pas encore d’échec du printemps arabe car c’est elle l’initiatrice, qui tient lieu de référence et de baromètre. Plus généralement on ne peut parler de faillite car de toute façon rien ne sera plus comme avant, même si la renaissance ou plutôt la refondation du monde arabe prendra du temps, l’essentiel c’est d’être sur la bonne voie et d’avancer.

J’ai beaucoup insisté sur la déception que nous avons en Tunisie de ne pas recevoir un traitement économique privilégié et significatif de l’extérieur et notamment de l’Union européenne. Il est pourtant reconnu que la Tunisie a eu un apport décisif au développement démocratique et politique du monde 4 arabe qui s’est compliqué par l’intégrisme religieux qu’elle a réussi à surmonter ce qui est en soi un exploit.

Le prix Nobel arrive à point nommé pour compenser l’indigence d’un soutien économique spécial pour la Tunisie afin de l’aider à perpétuer cette plus belle des saisons. Si maintenant après toutes les hirondelles que nous avons eues auxquelles vient s’ajouter celle du prix Nobel de la paix ce n’est toujours pas le printemps c’est quoi alors ? Le professeur Pasquale De Sena traduira « questo riconoscimento così importante rappresenta molto di più che una semplice “rondine” per la primavera tunisina”.

FM

11/10/2015

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