Opinions - 03.08.2015

L’accord sur le nucléaire Iranien : comment en tirer parti?

L’accord sur le nucléaire Iranien : comment en tirer parti?

L’accord signé le 14 Juillet 2015 et entériné le 20 Juillet 2015 par le Conseil de Sécurité des Nations Unies entre, d’une part, l’Iran et d’autre part cinq grandes puissances (Etat Unis d’Amérique, France, Royaume Uni, Russie, Chine) en plus de l’Allemagne, a fait couler beaucoup d’encre parmi les observateurs, chacun donnant à l’une ou à l’autre des deux parties l’avantage. Toutefois, les observateurs et même les gouvernants dans les pays arabes du Moyen Orient et d’Afrique du Nord paraissent désorientés devant ce développement et en tout cas ne semblent pas décidés à en faire la lecture qui s’impose ni à faire en sorte que leurs peuples en tirent parti comme d’autres n’ont pas tardé à le faire. Il est temps, me semble-t-il, que cela change et que notre région décide d’une architecture innovante de ses relations internes et avec le reste du monde qui fasse entrer nos pays de plain- pied dans la nouvelle ère qui s’annonce. La Tunisie pourrait jouer un rôle actif à cet égard dans son intérêt bien compris et celui de l’ensemble de la région.    

 

Sur le plan des évaluations d’abord. Certains observateurs ont vu dans l’accord du 14 Juillet une victoire pour Téhéran qui ,grâce à sa persévérance et la capacité de négociation de ses diplomates (en particulier de son Ministre actuel des Affaires Etrangères, M Mohamed Javad  Zarif , que j’ai connu au siège des Nations Unies à New York comme étant l’un des Ambassadeurs les plus fins de la place),a réussi à obtenir l’essentiel de ce qu’elle visait ,à savoir la reconnaissance de son droit à la technologie nucléaire civile, la préservation de ses capacités scientifiques pour une reprise éventuelle de ses recherches dans le domaine militaire ,la levée-certes progressive et conditionnelle- des sanctions internationales qui plombaient son économie avec le retour de ses énormes moyens financiers bloqués à l’étranger et, enfin ,et ce n’est pas le moindre de ses gains, implicites ,sa confirmation en tant qu’acteur majeur pour la solution des problèmes régionaux, voire mondiaux. Pour s’en persuader, il n’y a qu’à voir les tractations qui commencent à voir le jour ici et là, avec la bénédiction de Téhéran, pour revisiter des conflits entretenus jusqu’ici dans le but d’isoler l’Iran.

 

D’autres observateurs considèrent que ce sont les grandes puissances, notamment occidentales, qui ont eu la main haute dans les négociations en neutralisant, pour dix à quinze ans, les ambitions nucléaires militaires de l’Iran, donnant ainsi satisfaction à l’aile la plus dure de leur classe politique et,  nonobstant les protestations véhémentes émanant de Tel - Aviv, offrant un long répit à Israël qui restera pour longtemps encore l’unique puissance nucléaire militaire dans la région Mena. Toute velléité de l’Iran de revenir sur l’accord conclu aurait pour conséquence la reprise quasi automatique des sanctions internationales, que ces puissances ont réussi à faire incorporer au texte de la résolution du Conseil de Sécurité, selon la procédure dite du « snap back » . En même temps, ces puissances pensent avoir ouvert les vannes des projets que Téhéran ne manquera pas de lancer pour se reconstruire en utilisant l’énorme réserve financière débloquée des banques essentiellement occidentales et la reprise des ventes pétrolières, ce qui aura pour conséquence aussi, petit bénéfice supplémentaire pour l’Occident en particulier, de faire baisser davantage les prix du pétrole pour ses consommateurs .Pour s’en convaincre, il suffit de voir le nombre de hauts dignitaires de pays, hier ennemis de l’Iran, faire rapidement la queue pour se rendre à Téhéran, sans doute les valises pleines d’esquisses d’affaires juteuses ….Et les experts de parler déjà d’un nouvel eldorado pour les entreprises occidentales, en se félicitant que le plan 2016-2020 de ce pays prévoit une croissance de l’ordre de 8 pour cent et qu’il projette la construction de 15000 km de voies ferrées supplémentaires, l’augmentation de la flotte aérienne de 400 avions, la construction ou la rénovation de neuf aéroports, l’équipement du pays de fibres optiques, le doublement du nombre de touristes étrangers pour atteindre 7,5 millions en 2025, sans parler des projets dans les services, notamment l’assurance, l’agroalimentaire, la pharmacie ou le luxe….(combien d’experts arabes-y compris tunisiens-ont examiné les plans de développement iraniens pour voir les possibilités qui s’offrent à nos pays?)

 

Les commentateurs des pays arabes du Moyen Orient et d’Afrique du Nord, tout en reconnaissant avec le reste du monde que l’accord sur le nucléaire iranien constitue un développement majeur, se sont mis à se demander si ce développement sera politiquement bénéfique pour nos pays ou, au contraire, contribuera davantage à leur marginalisation politique et sécuritaire. Très peu se sont posés la question de savoir comment nos pays peuvent-ils, par des actions concrètes, tirer parti de cet accord, y compris sur le plan économique. Ma modeste contribution à cet égard est la suivante:

 

Les répercussions de l’accord sur la région du Moyen Orient et d’Afrique du Nord dépendront largement de l’attitude de nos dirigeants et de leur capacité à considérer la nouvelle situation avec réalisme. Le comportement des pays arabes, notamment,  à l’égard de l’Iran depuis la révolution de 1979 a été empreint pour certains de suivisme de la vendetta lancée par certains leaders régionaux contre le nouveau régime de Téhéran pour commencer et de l’acharnement des puissances occidentales contre ce même régime ensuite. Pour d’autres, l’attitude a été dictée par des considérations dogmatiques, voire sectaires, avec le retour du schisme détestable entre sunnisme et chiisme. Il faut dire que certains responsables religieux iraniens ont parfois alimenté ce retour par leurs positions extrêmes et leurs tentatives initiales d’intervenir ouvertement dans les affaires intérieure de certains pays musulmans. Il ne faut pas oublier non plus que les  divergences idéologique ont toujours caché des prétentions d’hégémonie régionale, voire des considérations bassement intéressées pour la domination du marché du pétrole et du gaz et, son corollaire, le contrôle de la voie d’eau du Golfe et notamment ses entrées. Aujourd’hui, il faudrait que les pays arabes, tous les pays arabes y compris ceux du Golfe, acceptent la réalité de la position de l’Iran parmi eux en tant que puissance qui se dit «islamique »mais qui, fort heureusement, s’est grandement assagie du fait de l’expérience et des épreuves endurées.

 

La rivalité religieuse entre cette puissance « chiite » et les puissances « sunnites » de la région n’est plus de mise, tout autant que la rivalité entre « catholiques » et « protestants » en Europe et dans d’autres pays du christianisme où la relation conflictuelle a été remplacée par une complémentarité bénéfique pour tous les chrétiens. Tous les efforts devraient désormais se  tourner  vers la diminution, voire la disparition, de cette rivalité entre chiites et sunnites surtout si elle est accompagnée d’un apaisement parmi les sunnites eux même entre wahabistes, salafistes, malikites modérés,.....avec une action commune et déterminée en vue de l’élimination du danger terroriste  représenté par l’extrémisme toutes obédiences confondues. Ce faisant, les pays arabes élimineraient le risque de voir certaines puissances étrangères  continuer à jouer sur la corde religieuse en qualifiant publiquement et officiellement certains pays du Golfe de « sunnites » .A-t-on jamais vu le chef de la plus grande puissance mondiale se référer à tel pays européen ou américain comme « catholique »,tel autre comme « protestant »  et un troisième comme« orthodoxe » ?

 

La réduction ou la disparition des conflits sectaires permettrait à un  « ensemble Moyen Orient/Afrique du Nord » en paix avec lui-même, de mettre l’accent sur l’essentiel, à savoir : sa position dans le monde multipolaire qui se dessine, le sort du peuple palestinien frère et l’avenir de l’économie des pays de la région :

 

1/La position de cet ensemble pourrait bénéficier du retour de l’Iran en tant qu’acteur important, sinon «pivot».Dans la région d’abord, puisque Téhéran, débarrassée définitivement de ses dérives d’antan, rassurée quant aux intentions à son égard de ses voisins et des grands de ce monde, pourrait confirmer le rôle stabilisateur qu’il semble vouloir jouer vis-à-vis des zones de conflit dans lesquels il intervient actuellement. Les peuples d’Irak, de Syrie, du Liban, du Yémen, du Bahreïn, en particulier, pourraient en bénéficier grandement. Si l’on ajoute à cela la solution, tout à fait possible, du différend entre l’Iran et les Emirats Arabes Unis sur les trois îles dans le cadre d’une entente globale sur la sécurité dans le Golfe arabo- persique, l’on aurait les ingrédients nécessaires à la normalisation des relations entre les pays arabo-musulmans du Moyen Orient, ce qui les dispenserait des interventions extra- régionales qui ont rarement apporté du bon à la région. Et si, par un excès mesuré d’optimisme, l’on envisageait également la solution de certains problèmes endémiques en Afrique du Nord, tels celui du Sahara «  occidental », il ne serait pas exclu de voir l’ensemble Moyen Orient/Afrique du Nord cesser d’être considéré comme « l’homme malade »du monde, ouvert à toutes les convoitises, mais bien un facteur de paix pouvant coopérer avec les autres ensembles en faveur de la sécurité collective telle que prévue par la Charte des Nations Unies. En tout état de cause, il ne devrait plus être toléré que des composantes de cet ensemble, liés par une attitude de non agression à l’égard des autres composantes et à l’égard du reste du monde, soient continuellement visées par des sanctions internationales aussi pénalisantes pour les peuples.

 

2/La paix dans « l’ensemble Moyen Orient/Afrique du Nord »ne serait pas totale et durable sans une solution juste pour le peuple palestinien frère. Le fait que les pays arabes et l’Iran puissent agir demain de concert et avec le reste de la communauté internationale pourrait aider à trouver cette solution sur la base de négociations sérieuses qui préservent les intérêts nationaux de tous et en particulier du peuple palestinien dans le cadre des résolutions de l’Organisation des Nations Unies. Les deux états indépendants qui résulteraient de ces négociations et qui seraient d’essence démocratique rejetant les tendances dominatrices et agressives envers les voisins, seraient,s’ils le souhaitent ,des candidats valables pour appartenir à «l’ensemble Moyen Orient/Afrique du Nord ».La Turquie ,de son côté, une fois débarrassée de ses aspirations impériales révolues et des ambigüités qui caractérisent sa position à l’égard du terrorisme islamiste, pourrait elle aussi constituer un apport de grande importance pour « l’ensemble »

 

3/Un tel ensemble, outre son poids politique et stratégique ,aurait un poids économique impressionnant avec ses centaines de millions de consommateurs, les grandes richesses de son sous-sol et de ses zones maritimes, son potentiel de production agricole et ses ressources humaines, à condition qu’une coopération bien étudiée soit établie prenant en considération les complémentarités entre ses différente composantes .Y-a-t-il par exemple  une fatalité à ce que les possibilités offertes par le retour de l’Iran au circuit normal de l’économie mondiale profite uniquement à ceux qui l’ ont longtemps maintenu hors de ce circuit ?

 

L’ensemble des pays du Moyen Orient et d’Afrique du Nord ainsi envisagé pourrait être considéré comme chimérique ou une simple vue de l’esprit. D’aucuns pourraient même y voir une  version de l’ensemble totalitaire  recherché par certains, en oubliant que nous parlons ici de pays qui sont et resteraient indépendants et, idéalement, tous démocratiques dans le sens mondialement connu du terme. Les seuls liens qui existeraient entre ces pays sont la zone géographique qu’ils partagent et des aspirations communes à vivre en paix, à jouer le rôle qui leur revient dans le monde et à mettre leurs ressources à la disposition de leurs peuples. Il ne s’agirait ni d’un état unitaire, ni d’une fédération, ni d’une confédération, ni même, dans une phase initiale au moins, d’une union à l’instar de l’Union Européenne. Les groupements politiques ou économiques existants continueraient à fonctionner. Les gouvernements des pays de cet ensemble pourraient réaliser leurs objectifs par une coopération bilatérale ou des relations multilatérales. L’ensemble dispose déjà d’organisations de concertation et de coordination  tels que la Ligue des Etats Arabes, l’Organisation de la Coopération Islamique et de nombreuses organisations sectorielles. Ces organisations gagneraient, dans les nouvelles circonstances que nous vivons, à se pencher sur leurs méthodes de travail et sur leurs objectifs afin de devenir réellement les instruments d’une coopération politique et économique plus efficace entre les composantes de cet ensemble de pays et en renonçant au « ronronnement » souvent inutile qui a si longtemps caractérisé leurs réunions.

 

Mis à part quelques malentendus  passagers au début de la révolution de 1979, la Tunisie et l’Iran ont toujours maintenu des relations  correctes et un niveau d’échanges commerciaux et culturels assez significatif. Notre pays peut aider à développer la réflexion sur la façon dont elle et les autres pays de la région pourraient tirer parti de la nouvelle donne née de l’accord historique sur le nucléaire iranien. En attendant, notre diplomatie et les Départements et Organismes tunisiens concernés devraient pouvoir s’appuyer sur les acquis afin de rechercher rapidement de nouveaux horizons pour notre coopération future avec l’Iran.

 

Ali Hachani
Ancien Ambassadeur  
                                                                              
 
                
              
                                                                                      
 

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