News - 04.05.2015

Le discours-vérité du président allemand Dr. Joachim Gauck aux Tunisiens

Discours d’ouverture de Monsieur Joachim Gauck, Président de la République fédérale d’Allemagne, lors de la « Conférence européenne de voisinage » organisée par la Fondation Bertelsmann à Tunis le 28 avril 2015

Le langage du cœur, le langage de la raison, le langage de l’amitié sincère et solidaire : tel a été le ton du discours prononcé par le Président de la République fédérale d’Allemagne, Dr. Joachim Gauck lors de la « Conférence européenne de voisinage » organisée par la Fondation Bertelsmann à Tunis le 28 avril 2015. Un discours qui a retenu l’attention des présents par sa sincérité et sa perspicacité, n’hésitant pas à dire tant de vérité.

Les mots-clefs en sont nombreux : le gouvernement doit oser les réformes, petites et grandes, lutter contre la corruption et respecter les droits. Il faut une société civile forte qui se manifeste régulièrement, des responsables politiques en qui les citoyens puissent avoir confiance, des gouvernants droits et intègres qui jouent un rôle important. La démocratie doit savoir se défendre. Il est plus difficile de gérer la liberté que de l’acquérir. Personne ne doit imposer par la force ses croyances. L’UGTT et l’UTICA doivent travailler en partenariat avec le gouvernement à la modernisation de l’économie tunisienne, à l’investissement et à des bénéfices corrects, à l’emploi et à de bons salaires, et enfin et surtout à des recettes fiscales durables.

Ou encore : Tant que la sécurité n’est pas assurée, les entreprises investissent à reculons et les vacanciers hésitent à partir en vacances. Ceux qui n’ont ni emploi ni avenir sont assez souvent d’ailleurs réceptifs aux idéologies extrémistes. Il est également dans l’intérêt national des Français, des Italiens et des Allemands que la Tunisie affronte plus fermement les terroristes et contrôle mieux ses frontières. La déradicalisation est un volet important de la sécurité.

A la demande de nombreux lecteurs, Leaders publie le texte intégral du discours, précédé d’extraits des principaux passages. Les intertitres sont de la Rédaction.

Les messages de la marche du Bardo 

«J’ai été touché en voyant à la télévision les images montrant les Tunisiens affluer dans la rue immédiatement après l’attentat du Musée du Bardo. En les voyant, un cierge à la main, rendre hommage à la mémoire des victimes mais en même temps proclamer : nous ne nous laisserons pas intimider. Nous qui avons arraché la liberté il y a quelques années seulement à un dirigeant autoritaire, la défendrons de toutes nos forces contre les fanatiques et les ennemis de la démocratie!

Cette attitude a suscité toute mon estime. Et elle m’a confirmé une fois de plus que la liberté est un besoin fondamental de l’être humain. Qui ne peut respirer, penser et vivre librement dépérit intérieurement. De ce fait, la liberté sera toujours une aspiration de l’être humain. Toute personne qui fait confiance à cette aspiration n’aura plus peur. J’ai donc vu à la télévision des Tunisiens qui n’avaient pas peur, j’ai vu des citoyens qui croyaient à un avenir de paix et à la démocratie dans leur république. J’ai vu une société civile forte qui, loin de se résigner face à la menace, défend ses objectifs, ses idéaux».

Le consensus laïcs - religieux  

« L’entente que la Tunisie a réussi à créer à ce jour entre les forces religieuses et laïques témoigne d’une grande maturité politique et d’un fort sens des responsabilités politique.

Faire respecter le droit et prévenir la corruption 

« Les bases politiques d’un avenir démocratique sont ainsi jetées. Il s’agit maintenant de faire respecter la démocratie, et ce, du pouvoir exécutif au pouvoir judiciaire en passant par le pouvoir législatif, aussi bien au centre que dans les régions reculées, et dans l’esprit des gouvernants comme dans celui des citoyens.

Le nouveau départ de la Tunisie montre bien que dans une société ouverte, personne n’a besoin d’opprimer les croyants et de les priver de leurs droits religieux. D’un autre côté, les croyants non plus n’ont nullement besoin d’imposer par la force aux adeptes d’autres croyances ou au non croyants des normes héritées d’une tradition pré-démocratique. La grande majorité des Tunisiens appelle de ses vœux une société islamique, non une dictature terroriste.

Ce nouveau départ tunisien nous montre par ailleurs qu’une société civile forte est nécessaire pour pouvoir opérer un contrôle et des corrections lorsque les citoyens ne se considèrent pas comme assez bien représentés dans les actions du gouvernement. En même temps, une démocratie a besoin d’un cadre politique stable. Or pour assurer la sécurité, faire respecter le droit et prévenir la corruption, elle a besoin de l’autorité du gouvernement, de la police et de la justice ».

Une tâche essentielle pour la Tunisie

J’ai parfois l’impression qu’il est plus difficile de gérer la liberté que de l’acquérir. Surtout lorsque la politique, l’économie et la sécurité sont si étroitement imbriquées et qu’il faut réformer en même temps tous les domaines, comme c’est le cas actuellement en Tunisie. Par où commencer ? Quelles priorités fixer ? L’adhésion à la démocratie baisse dès lors que les citoyens ne bénéficient pas à long terme d’un revenu suffisant ; nous le savons par expérience. Tant que la sécurité n’est pas assurée, les entreprises investissent à reculons et les vacanciers hésitent à partir en vacances. Ceux qui n’ont ni emploi ni avenir sont assez souvent d’ailleurs réceptifs aux idéologies extrémistes. Pour que la liberté politique soit garantie dans la durée, il est donc essentiel d’offrir des marges de manœuvre économiques qui permettent aux individus d’assurer leur avenir grâce à leur motivation et à leurs performances. Cela peut entraîner une dynamique économique génératrice d’emplois et de revenus pour beaucoup.

C’est une tâche à laquelle la Tunisie elle aussi doit s’atteler, et elle fournit de ce point de vue de bonnes conditions. Elle possède en effet des spécialistes qualifiés, une base industrielle et des infrastructures relativement performantes. De nombreuses entreprises allemandes savent apprécier ce fait, en particulier celles qui produisent ici déjà depuis des décennies. D’un autre côté, elles font état d’un manque de sécurité juridique, de procédures administratives trop longues et aussi régulièrement de corruption ».

L'UGTT et l'UTICA 

« De plus, la Tunisie dispose de puissants syndicats et organisations économiques, ce qui à mon avis représente un grand atout. Le succès de l’économie sociale de marché en Allemagne repose aussi essentiellement sur un partenariat social fiable entre monde économique et syndicats. Dans le cadre du dialogue national, l’UGTT et l’UTICA ont fourni une importante contribution à la transition pacifique vers la démocratie. Je pense que cela crée une forte base commune permettant de travailler en partenariat avec le gouvernement à la modernisation de l’économie tunisienne, à l’investissement et à des bénéfices corrects, à l’emploi et à de bons salaires, et enfin et surtout à des recettes fiscales durables ».

Les réformes  

« Je souhaite au gouvernement d’oser de grandes et de petites réformes afin qu’un essor rapide redonne espoir aux citoyens. Puisse la Tunisie consolider la confiance de ses citoyens dans la nouvelle démocratie ! Il ne saurait y avoir meilleure publicité pour le système libéral ».

Lutte contre le terrorisme

« Une démocratie doit savoir se défendre. Lorsque des citoyens de nombreux pays du monde se sont réunis pour la première fois fin mars sur le sol arabe pour faire front contre les réseaux terroristes internationaux, c’était un signal fort. Tunisiens, Français, Italiens, Allemands et représentants de l’Union européenne ont manifesté à Tunis, main dans la main. Aujourd’hui, nous le savons : il est également dans l’intérêt national des Français, des Italiens et des Allemands que la Tunisie affronte plus fermement les terroristes et contrôle mieux ses frontières. Et nous savons aussi que des solutions contre le terrorisme international ne peuvent être trouvées qu’ensemble, dans le cadre de l’état de droit et dans le respect des citoyens et des droits de l’homme. Je me réjouis de voir que de nouveaux projets destinés à lutter contre l’immigration illégale et à mettre en place des structures efficaces dans la police et la garde nationale viendront s’ajouter à la coopération policière menée jusque-là entre l’Allemagne et la Tunisie ».

Déradicaliser

« Il serait bon que la coopération internationale mette l’accent sur une autre chose encore, sur le fait que nous devrions offrir de meilleures perspectives d’avenir à ceux qui voient dans l’islamisme radical une promesse de salut. À la propagande des terroristes, nous devons opposer l’information par des démocrates. Il n’appartient pas qu’à certains États de lutter contre la radicalisation. C’est la mission de tous ceux qui souscrivent à la démocratie et aux droits de l’homme universels. La déradicalisation est un volet important de la sécurité ».

Prérequis 

« La démocratie fournit le cadre nécessaire pour organiser, dans des conditions qui changent constamment, une vie autant que faire se peut censée, sûre et prospère. Pour cela, il faut des institutions démocratiques, transparentes et en même temps stables jusqu’au niveau des communes. Et il faut une société civile forte qui se manifeste régulièrement comme ici, en Tunisie. Pour finir, il faut des responsables politiques en qui les citoyens puissent avoir confiance.

Des gouvernants droits et intègres jouent un rôle important dans les sociétés en transition justement. C’est pourquoi nous qui vivions dans l’ex RDA ne considérions pas comme paradoxal le fait de préparer la société à affronter les exigences du futur tout en assimilant le passé ».

 

Le discours intégral

J’aimerais tout d’abord vous remercier, vous, Monsieur le Premier ministre, qui m’honorez, qui nous honorez tous, de votre présence. Et je tiens aussi bien entendu à remercier la Fondation Bertelsmann qui organise cette conférence intéressante et importante. Vous discutez aujourd’hui de nombreuses questions qui me tiennent également à cœur. Comment une démocratie peut elle naître de dictatures ou de régimes despotiques ? Comment, après avoir acquis la liberté, les citoyens apprennent ils à gérer cette liberté ? Un solide équilibre entre les dominés et persécutés d’hier et les dominants et privilégiés d’hier est il possible ?

Je suis conscient des nombreuses différences qui existent entre un pays européen qui s’est libéré du pouvoir communiste régnant sur une partie de son territoire et un pays du Maghreb qui a fait fuir un despote. Au delà des différences, qu’elles soient d’ordre culturel, économique ou politique, certains problèmes liés au changement de régime me semblent néanmoins comparables. C’est pourquoi je me réjouis d’avoir l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.

J’aimerais toutefois commencer par dire combien j’ai été touché en voyant à la télévision les images montrant les Tunisiens affluer dans la rue immédiatement après l’attentat du Musée du Bardo. En les voyant, un cierge à la main, rendre hommage à la mémoire des victimes mais en même temps proclamer : nous ne nous laisserons pas intimider. Nous qui avons arraché la liberté il y a quelques années seulement à un dirigeant autoritaire, la défendrons de toutes nos forces contre les fanatiques et les ennemis de la démocratie!
Cette attitude a suscité toute mon estime. Et elle m’a confirmé une fois de plus que la liberté est un besoin fondamental de l’être humain. Qui ne peut respirer, penser et vivre librement dépérit intérieurement. De ce fait, la liberté sera toujours une aspiration de l’être humain. Toute personne qui fait confiance à cette aspiration n’aura plus peur. J’ai donc vu à la télévision des Tunisiens qui n’avaient pas peur, j’ai vu des citoyens qui croyaient à un avenir de paix et à la démocratie dans leur république. J’ai vu une société civile forte qui, loin de se résigner face à la menace, défend ses objectifs, ses idéaux.

J’exprime tout mon respect pour ce que les Tunisiens ont osé et réalisé ces dernières années. Nul ne pouvait se douter, le 17 décembre 2010, qu’en s’immolant par le feu un marchand de légumes ferait tomber un régime autoritaire. Et à plus forte raison, nul n’aurait pu imaginer que les grandes manifestations dans votre pays donneraient le coup d’envoi d’un réveil et d’une révolte à l’échelle de la région tout entière. Des autocrates despotiques et corrompus ont été chassés du pouvoir, et il a été mis fin à un clientélisme qui avait régné durant plusieurs décennies.

Dès lors, ce que l’on appelle le « Printemps arabe» a marqué,et reste, un tournant décisif puisqu’il a conduit, y compris à «l’Ouest», à la prise de conscience suivante : les régimes despotiques ne sont à la longue ni stables ni capables de s’adapter.

Dès que suffisamment de personnes courageuses refusent de continuer à se soumettre, ils s’effondrent.

Nous savons tous que la première révolte n’a malheureusement mené que dans de rares pays à des réformes de grande envergure.

Souvent, les protestations ont été brutalement réprimées ou des concessions ont été faites aux gouvernés pour les calmer. Dans d’autres pays, la guerre civile se poursuit ou s’est même aggravée, et certains pays sont devenus le théâtre militaire où des puissances étrangères rivalisent pour obtenir la suprématie régionale. La Tunisie n’a pas seulement conservé sa pleine souveraineté. Après avoir rompu avec le despotisme, elle a su opérer la transition vers la démocratie, sans escalade de la violence. Par ailleurs, elle a initié à deux reprises, lors d’élections libres, un changement de gouvernement - là aussi sans violence.

La Tunisie est devenue sans conteste un exemple à suivre pour les habitants de la région épris de liberté. Comme elle l’avait déjà fait en 1956 lorsqu’elle s’est libérée de la puissance coloniale française, elle table aujourd’hui encore sur les négociations entre les ennemis d’hier.

Ainsi naissent des coalitions encore souvent fragiles et des compromis qui restent souvent insatisfaisants, mais jusqu’à maintenant, les efforts en ont valu la peine. Tandis que la haine et la violence montent dans les pays qui l’entourent, la Tunisie défend son indépendance et sa démocratie. Pour tant d’habitants du monde arabe, en particulier venant de Libye, elle est aujourd’hui une destination, un pays leur offrant momentanément refuge. Et aussi un havre d’espoir pour les êtres épris de liberté de toute une région.

Monsieur le Premier ministre, le chemin dans lequel s’est engagé votre pays suscite un grand respect chez nous, en Allemagne.

L’entente que la Tunisie a réussi à créer à ce jour entre les forces religieuses et laïques témoigne d’une grande maturité politique et d’un fort sens des responsabilités politique.
Par responsabilité vis à vis de votre pays, vous avez créé une Constitution qui réunit ce que beaucoup considéraient comme inconciliable, et c’est précisément ce qui l’assure d’avoir la majorité derrière elle. L’islam y est consigné en tant que religion d’État mais la Constitution garantit la liberté de croyance et de conscience ainsi que, contrairement aux autres pays arabes, le droit de ne pas avoir de religion du tout. Les femmes et les hommes y sont égaux en droits.

Pour la première fois dans le monde arabe, les femmes obtiennent autant de places sur les listes électorales que les hommes.

Les bases politiques d’un avenir démocratique sont ainsi jetées. Il s’agit maintenant de faire respecter la démocratie, et ce, du pouvoir exécutif au pouvoir judiciaire en passant par le pouvoir législatif, aussi bien au centre que dans les régions reculées, et dans l’esprit des gouvernants comme dans celui des citoyens.

Le nouveau départ de la Tunisie montre bien que dans une société ouverte, personne n’a besoin d’opprimer les croyants et de les priver de leurs droits religieux. D’un autre côté, les croyants non plus n’ont nullement besoin d’imposer par la force aux adeptes d’autres croyances ou au non croyants des normes héritées d’une tradition pré-démocratique. La grande majorité des Tunisiens appelle de ses voeux une société islamique, non une dictature terroriste.

Ce nouveau départ tunisien nous montre par ailleurs qu’une société civile forte est nécessaire pour pouvoir opérer un contrôle et des corrections lorsque les citoyens ne se considèrent pas comme assez bien représentés dans les actions du gouvernement. En même temps, une démocratie a besoin d’un cadre politique stable. Or pour assurer la sécurité, faire respecter le droit et prévenir la corruption, elle a besoin de l’autorité du gouvernement, de la police et de la justice.

Lorsque je compare notre révolution pacifique dans l’est de l’Allemagne en 1989 avec la situation en Tunisie, je me rends compte combien la situation était, et reste, bien plus difficile ici. Dans l’ex RDA, nous pouvions compter sur la solidarité des Allemands de l’Ouest, qui nous ont apporté leur soutien économique, politique et en termes de ressources humaines lors de la restructuration. Nous avons également pu reprendre dans l’est de l’Allemagne un système politique qui avait d’ores et déjà fait ses preuves dans l’ouest du pays. Pour de nombreux habitants de l’ex RDA, la révolution pacifique a été synonyme de nouvelles opportunités professionnelles et de nouvelles perspectives de vie. D’autres en revanche ont vu leur situation économique se dégrader temporairement, même si des prestations sociales ont en partie du moins amorti cette perte. Quant à l’analyse critique des actes commis sous le régime d’injustice qui s’était effondré, tout le monde a vite été d’accord. En effet, après avoir refoulé dans un premier temps le souvenir des crimes nazis après la fin de la Seconde Guerre mondiale, nous avions appris que se taire n’engendre pas la paix sociale. Au contraire, ce silence fait naître la mésentente et la méfiance, et suscite les protestations de la génération suivante.

J’ai parfois l’impression qu’il est plus difficile de gérer la liberté que de l’acquérir. Surtout lorsque la politique, l’économie et la sécurité sont si étroitement imbriquées et qu’il faut réformer en même temps tous les domaines, comme c’est le cas actuellement en Tunisie. Par où commencer ? Quelles priorités fixer ? L’adhésion à la démocratie baisse dès lors que les citoyens ne bénéficient pas à long terme d’un revenu suffisant ; nous le savons par expérience. Tant que la sécurité n’est pas assurée, les entreprises investissent à reculons et les vacanciers hésitent à partir en vacances. Ceux qui n’ont ni emploi ni avenir sont assez souvent d’ailleurs réceptifs aux idéologies extrémistes. Pour que la liberté politique soit garantie dans la durée, il est donc essentiel d’offrir des marges de manoeuvre économiques qui permettent aux individus d’assurer leur avenir grâce à leur motivation et à leurs performances. Cela peut entraîner une dynamique économique génératrice d’emplois et de revenus pour beaucoup.

C’est une tâche à laquelle la Tunisie elle aussi doit s’atteler, et elle fournit de ce point de vue de bonnes conditions. Elle possède en effet des spécialistes qualifiés, une base industrielle et des infrastructures relativement performantes. De nombreuses entreprises allemandes savent apprécier ce fait, en particulier celles qui produisent ici déjà depuis des décennies. D’un autre côté, elles font état d’un manque de sécurité juridique, de procédures administratives trop longues et aussi régulièrement de corruption.

Ayant nous mêmes ce problème dans notre pays, nous savons combien il est difficile de maîtriser une bureaucratie excessive. Et pourtant, c’est un combat qui en vaut la peine car il dégage des forces, des forces qui sont utiles pour tous dans la vie économique. De plus, la Tunisie dispose de puissants syndicats et organisations économiques, ce qui à mon avis représente un grand atout. Le succès de l’économie sociale de marché en Allemagne repose aussi essentiellement sur un partenariat social fiable entre monde économique et syndicats. Dans le cadre du dialogue national, l’UGTT et l’UTICA ont fourni une importante contribution à la transition pacifique vers la démocratie. Je pense que cela crée une forte base commune permettant de travailler en partenariat avec le gouvernement à la modernisation de l’économie tunisienne, à l’investissement et à des bénéfices corrects, à l’emploi et à de bons salaires, et enfin et surtout à des recettes fiscales durables.

Tout cela nécessite bien entendu un cadre juridique approprié. Je me réjouis que les entreprises allemandes aient repris confiance dans votre pays après la révolution, qu’elles continuent de produire ici et qu’elles emploient 50 000 Tunisiens. J’aimerais d’ailleurs que les investisseurs allemands et d’autres investisseurs étrangers soient encore plus nombreux à connaître les avantages du site économique tunisien. La Tunisie dispose d’un énorme potentiel qu’il appartient prioritairement au nouveau gouvernement tunisien d’exploiter. Les Tunisiens sont nombreux à vouloir mener la révolution à bien en consolidant la démocratie et l’économie, m’a t on dit. Je souhaite au gouvernement d’oser de grandes et de petites réformes afin qu’un essor rapide redonne espoir aux citoyens. Puisse la Tunisie consolider la confiance de ses citoyens dans la nouvelle démocratie ! Il ne saurait y avoir meilleure publicité pour le système libéral.

Ce matin, j’ai visité le Bureau de proximité avec les citoyens de Siliana, un « espace citoyens » qui regroupe tous les services de la ville. C’est à mes yeux un excellent exemple de ce qu’il est possible de faire avec des moyens limités pour simplifier l’administration et la rendre plus <>. D’autres projets, y compris ceux soutenus par la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit, ont trait à la mise en oeuvre de la démocratie à l’échelon local. Ils me rappellent comment nous avons appris, nous, le fonctionnement de la démocratie dans les villes et les communes alors communistes. Comment légitimer l’exercice du pouvoir sur le terrain ?

Comment fonctionne une administration communale proche des citoyens ? Quelles solutions nous conviennent en matière de planification des routes et des transports, de gestion communale des déchets ou d’économie énergétique ? Comment associer les citoyens aux projets dans leur commune? Nous avions appris une chose alors, à savoir qu’il peut être utile de s’inspirer des expériences des autres, même s’il est clair que nombre d’adaptations et modifications sont nécessaires.

Dans cette phase importante du développement de la Tunisie, l’Allemagne lui offre un soutien sous des formes multiples : à travers la GIZ, que j’ai mentionnée plus haut, et via les fondations politiques, les fondations privées, le Goethe Institut et le DAAD. Mais il peut être tout aussi utile d’obtenir de l’étranger une aide directe, qu’elle soit de nature financière ou touche aux ressources humaines. Le gouvernement allemand ainsi que plusieurs organisations européennes et internationales ont fourni pour cela des fonds à long terme à la Tunisie. Mais en définitive, et cela vous le savez bien mieux que moi, le soutien apporté ne peut qu’être une aide à l’autoassistance. Consolider la démocratie et l’économie représente pour la Tunisie une grande épreuve, une épreuve qui sera peut être décisive.
L’un des paradoxes de la démocratie est qu’elle donne également des impulsions aux forces qui aspirent à détruire ses fondements. En Allemagne comme en Tunisie, il y a des mosquées où des imams prêchent régulièrement la haine. Dans nos deux pays, de nombreux jeunes se laissent séduire par des extrémistes, voire partent pour une guerre qu’ils considèrent à tort comme une guerre sainte. Et il y a ceux qui, rentrant au pays, ne sont pas désillusionnés mais apportent la terreur avec eux sur leur sol natal. Les attentats de Paris et de Tunis ont montré que, des deux côtés de la Méditerranée, nous sommes confrontés au même ennemi. Aucun pays d’Afrique, du Proche Orient, et aucun pays d’Europe non plus n’est vraiment à l’abri des attaques terroristes islamistes.

Mais une démocratie doit savoir se défendre. Lorsque des citoyens de nombreux pays du monde se sont réunis pour la première fois fin mars sur le sol arabe pour faire front contre les réseaux terroristes internationaux, c’était un signal fort. Tunisiens, Français, Italiens, Allemands et représentants de l’Union européenne ont manifesté à Tunis, main dans la main. Aujourd’hui, nous le savons : il est également dans l’intérêt national des Français, des Italiens et des Allemands que la Tunisie affronte plus fermement les terroristes et contrôle mieux ses frontières. Et nous savons aussi que des solutions contre le terrorisme international ne peuvent être trouvées qu’ensemble, dans le cadre de l’état de droit et dans le respect des citoyens et des droits de l’homme. Je me réjouis de voir que de nouveaux projets destinés à lutter contre l’immigration illégale et à mettre en place des structures efficaces dans la police et la garde nationale viendront s’ajouter à la coopération policière menée jusque là entre l’Allemagne et la Tunisie.

Il serait bon que la coopération internationale mette l’accent sur une autre chose encore, sur le fait que nous devrions offrir de meilleures perspectives d’avenir à ceux qui voient dans l’islamisme radical une promesse de salut. À la propagande des terroristes, nous devons opposer l’information par des démocrates. Il n’appartient pas qu’à certains États de lutter contre la radicalisation. C’est la mission de tous ceux qui souscrivent à la démocratie et aux droits de l’homme universels. La déradicalisation est un volet important de la sécurité.
Au cours du siècle dernier, l’Europe a connu à deux reprises des systèmes totalitaires qui prétendaient que la fin justifie les moyens et qu’il est légitime d’assassiner des millions de personnes au nom d’un avenir soi disant rayonnant. C’est néanmoins un leurre que de croire que le salut éternel puisse jamais exister sur terre. Et c’est un crime que de déchaîner le mal en prétendant lutter pour le bien. Comme le disait le philosophe Karl Popper après la fin de la tyrannie national socialiste et de la terreur stalinienne, si nous ne voulons pas précipiter à nouveau le monde dans le malheur, nous devons renoncer à rêver d’imposer notre conception du bonheur universel.

Il est possible que les réponses apportées par les extrémistes soient tentantes, car elles sont simples. La démocratie, elle, ne l’est pas. Mais la mise en équation des différents intérêts crée des solutions auxquelles adhère la majorité d’entre nous. La démocratie fournit le cadre nécessaire pour organiser, dans des conditions qui changent constamment, une vie autant que faire se peut censée, sûre et prospère. Pour cela, il faut des institutions démocratiques, transparentes et en même temps stables jusqu’au niveau des communes. Et il faut une société civile forte qui se manifeste régulièrement comme ici, en Tunisie. Pour finir, il faut des responsables politiques en qui les citoyens puissent avoir confiance.

Des gouvernants droits et intègres jouent un rôle important dans les sociétés en transition justement. C’est pourquoi nous qui vivions dans l’ex RDA ne considérions pas comme paradoxal le fait de préparer la société à affronter les exigences du futur tout en assimilant le passé.

Nous voulions répondre aux citoyens qui posaient ces questions lequel des anciens dirigeants porte la responsabilité de graves injustices et est pénalement responsable ? Qui a soutenu le système répressif en espionnant ses concitoyens et perdu ainsi, en tant qu’enseignant, juriste ou policier, la qualification morale d’exercer un emploi dans la fonction publique ?

D’autres sociétés ont répondu autrement que nous en Allemagne à ces questions difficiles et chargées d’émotions. Je rappellerai tout simplement l’Afrique du Sud où l’amnistie a été promise à ceux qui reconnaissaient la vérité. Néanmoins, à mes yeux, il était important, et il l’est toujours, de respecter un principe fondamental, à savoir montrer que la nouvelle démocratie aide la justice à percer et guérit par conséquent les anciennes blessures. Cela renforce la confiance des citoyens dans l’État de droit et favorise l’unité à l’intérieur du pays.

Certaines questions fondamentales dont vous vous préoccupez ne sont pas loin des questions que nous avons dû traiter à l’époque en Allemagne, nous en sommes conscients. Ce qui se passe actuellement en Tunisie est donc pour moi très proche. Cela me touche. Car c’est un nouveau chapitre qui s’ouvre dans l’histoire de la démocratie, cette fois dans un pays de culture arabe islamique. En tant qu’alliées dans le même esprit et dans la politique de démocratisation, l’Allemagne et l’Europe se tiennent solidairement à vos côtés.

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1 Commentaire
Les Commentaires
Ghayyour - 05-05-2015 13:20

Une bonne feuille de route. Le gouvernement devrait savoir l'exploiter.

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