Opinions - 31.03.2015

Ce dont les Tunisiens ont le plus besoin : du courage, encore et plus que jamais

Le courage, encore plus que jamais

Faut-il attendre une deuxième tragédie comme celle du Bardo pour se rendre à l’évidence : la Tunisie est malheureusement entrée de plain-pied dans une longue et éprouvante guerre. Elle sera faite «de sang, de sueur et de larmes», de lâcheté et de courage, de clairvoyance et de myopie, d’union sacrée et de divisions. A la différence de toute autre guerre, la Tunisie la livre contre un double ennemi : un ennemi extérieur sanguinaire, oppresseur, tentaculaire qui agit en bandes organisées, labellisées comme en franchise. Et un ennemi intérieur, avec certains de ses propres enfants, égarés, dévoyés, aveuglés, inféodés à une puissance mythique, virtuelle, dont ils ne connaissent que l’apologie du meurtre et de la destruction.

Tout un monde souterrain grouille sous nos pieds, soudoie nos enfants et les retourne férocement contre la patrie, son modèle de société, ses valeurs communes, sa liberté et sa démocratie naissante. Armes, argent et hallucinants circulent à flots. Endoctrinement, mariages coutumiers et promesse du paradis avec ses nymphes finissent par envoûter des âmes.

Tandis qu’une main étrangère s’introduit jusqu’au fin fond de nos quartiers, de nos villes et villages, dans toutes les classes et tranches d’âge, ciblant plus particulièrement cette jeunesse livrée à l’ignorance, à la précarité et à l’oisiveté, avide d’un héroïsme mythique. Ce qui est visé, c’est l’Etat dans ses institutions, la nation dans son unité, la démocratie dans ses vertus, l’économie dans sa prospérité, la Tunisie millénaire dans sa multiculturalité : tout ce qui fait l’âme du Tunisien, son identité et son génie. Une confrontation totale et sans merci qui ne prévoit d’autre issue que l’extermination de l’ennemi ou la capitulation—impossible—du pays.

Dans cette guerre qui ne fait que commencer, la Tunisie se retrouve seule. De grands discours, de belles paroles et quelques pacotilles lui sont dispensés ici et là de par le monde. De la gesticulation en menus gestes symboliques et de réconfort.

Rien d’effectif, cependant, à la mesure du désastre qui la menace. Comme si l’Occident n’était pas suffisamment conscient, surtout après les attaques contre Charlie Hebdo et le musée du Bardo, toutes deux d’une même signature, que c’est l’Europe qui sera la cible immédiate, une fois que la Méditerranée et à son coeur, la Tunisie, auront été embrasées.

Faut-il se taire et l’accepter ? Faut-il se draper de pudeur et de dignité et ne rien réclamer à ces grandes puissances qui ne sont pas toutes exemptes d’une quelconque responsabilité dans ce fléau ? Nous savons tous qui l’a cultivé, nourri et armé avant de le lâcher contre nous.

La classe politique tunisienne ne doit pas manquer de courage.

Haut et fort, elle doit exiger tout l’appui dont elle a besoin, dans le respect de sa souveraineté totale. Appui politique et diplomatique total, coopération militaire et sécuritaire, échange de renseignements et formation, dons d’équipements, y compris militaires, à la pointe de la technologie, et financiers—non des crédits—et bien d’autres ressources indispensables : rien ne doit lui manquer.

Ce courage réclamé à la classe politique, il en faut beaucoup, pour transcender les clivages, raboter les ambitions, renoncer à la surenchère des revendications, tourner la page du passé, accélérer la réconciliation nationale, remettre les structures en fonctionnement et le pays au travail. Le gouvernement aussi doit faire preuve de courage pour décider toutes les nominations là où il le faut, oser toutes les réformes, aussi douloureuses soient-elles, ne céder à aucun chantage et ne procéder à aucune concession qui sera un jour regrettée. Sans oublier les syndicats, qui doivent dire la vérité à leurs adhérents et les rallier au sacrifice dans cette grande mobilisation générale.

Du courage est indispensable pour toutes les familles des martyrs et des blessés, pour toutes les forces sécuritaires et armées, pour les hospitaliers et médicaux, pour tous les Tunisiens et toutes les Tunisiennes, face à ce qui, malheureusement, risque de nous menacer encore longtemps.

Face à la lâcheté, il n’y a que le courage pour se défendre, endurer et triompher. La formule de Platon garde toute sa vérité : «Ce sont les hommes et non les pierres qui forment le rempart de la Cité.»

T.H.