La grande famille des ingénieurs tunisiens vient d’être de nouveau endeuillée par la perte de l’un des plus valeureux représentants, en la personne de si Lassaad Ben Osman, comme on a coutume de l’appeler. Que Dieu l’accueille dans son immense paradis.
Si Lassad faisait partie de ce petit groupe de pionniers parmi les ingénieurs qui contribuèrent d’une manière significative à l’édification de la Tunisie indépendante, malgré la rareté des moyens et des ressources humaines qualifiées. Il fait partie de ces grands serviteurs de l’état qui sont capables de beaucoup créer à partir de peu, grâce à une vision pertinente et grâce à cette aptitude à fédérer les intelligences et faire de la synergie un facteur multiplicateur, à même de pallier la carence des moyens qu’ils soient matériels ou humains. Ce sont malheureusement parmi les qualités les moins partagées entre les humains.
Ingénieur diplômé de la prestigieuse Ecole des Mines de Paris, si Lassad avait la possibilité d’embrasser une belle carrière, dans l’une des grandes entreprises en ingénierie à l’étranger. Il a préféré rentrer au pays, recevoir un salaire modeste, mais compensé, en contre partie, par l’opportunité de vivre une aventure passionnante en tant que pionnier, dans un pays qui luttait pour son indépendance qu’il allait bientôt recouvrer alors que le jeune ingénieur qu’il était se trouvait au mieux de ses aptitudes.
Mû par un sens aigu de l’intérêt général et habité par le goût du service public, il contribua d’une manière significative, avec ses collègues et ses collaborateurs patriotes, à la conception et la mise en œuvre d’une stratégie nationale de maitrise de cette ressource précieuse et nécessaire à toute vie : l’eau. Cette stratégie, qui fut enrichie et complétée, en 1989, grâce à un apport significatif de Si Ameur Horchani, dont il fut l’un des proches collaborateurs, a permis à la Tunisie d’offrir à la majorité de ses citoyens de disposer de cette ressource primaire pour leurs besoins domestiques et professionnels, alors que d’autres pays beaucoup plus riches connaissent des coupures d’eau épisodiques. Certes le problème de disponibilité de l’eau consommable et de lutte contre le stress hydrique demeure l’un des défis majeurs de notre pays, mais il convient de souligner que c’est grâce à une vision pertinente de si Lassad et ses valeureux continuateurs que la Tunisie a pu éviter le pire dans ce domaine stratégique et est considéré, à cet égard, comme un pays modèle, un exemple à suivre à l’échelle internationale
Si Lassad a également été l’un des principaux concepteurs d’une stratégie nationale, plus globale, de développement de notre agriculture, pour avoir été durant environ une décennie et demi ministre en charge de ce secteur stratégique.
Cette stratégie s’articule autour de quatre axes principaux :
- La bonne gestion des ressources en eau et en sol, ces deux ressources constituent en effet les deux piliers d’une agriculture qui se veut efficiente et durable
- L’introduction de techniques et de pratiques adaptées, comme la technique du goutte à goutte et la culture sous serres
- L’adoption d’une carte agricole, permettant l’optimisation des ressources disponibles dans chaque région du pays, en tenant compte de ses données climatiques, pédologiques et environnementale
- L’encouragement de la recherche et de l’innovation, même si beaucoup reste à faire dans ce domaine, notamment pour ce qui a trait à la valorisation des produits de la recherche agronomique et l’amélioration des conditions humaines et matérielles des chercheurs.
Outre ses qualités en tant qu’ingénieur et de bâtisseur, si lassaad était également connu pour ses grandes qualités en tant qu’homme humble, affable, chaleureux et de grande probité. C’est ce qui lui a valu d’être aimé et respecté par tous ceux qui l’ont connu et côtoyé.
Je me rappelle d’une scène qui date de 1975 et qui est restée gravée dans ma mémoire. C’était à l’occasion de la présentation au Président Bourguiba des grands projets programmés dans le gouvernorat de Bizerte, dont en particulier le pont mobile, à l’issu des évènements ayant marqués la célébration de la fête de l’évacuation de cette ville, chère à tous les tunisiens, cette année là. Si lassad était à cette époque ministre de l’équipement et j’étais jeune ingénieur des ponts et chaussées, en charge de l’étude d’un projet relevant d’une entreprise sous tutelle de ce ministère. J’étais alors chargé de présenter ce projet au leader Bourguiba.
A son arrivée, le Président Bourguiba salua, comme de coutume, les grandes personnalités présente et, arrivé au niveau de si Lassad, j’étais tout près de la scène, il s’adressa à celui-lui en ces termes : « Ah vous êtes là, il ya donc sûrement des choses intéressantes à voir ». J’ai pu relever dans la posture du Zaim, la timbre de sa voix et la douceur de son regard, à quel point il appréciait et respectait son fidèle collaborateur.
Si bien que nous déplorons la perte d’un grand patriote, un valeureux serviteur de l’état, mais si Lassaad restera présent dans notre mémoire collective, au travers de ses nombreuses réalisations et son exemple en tant qu’homme et en tant qu’ami.
Que Dieu ait son âme et console les membres de sa famille.
ALLah Yarhmou
Ahmed Friaa
