Opinions - 02.12.2014

Sur la bonne voie…

La Tunisie achève une séquence politique majeure et à bien des égards déterminante pour son avenir. Que de chemin parcouru depuis janvier 2011 ! Nous avons connu durant ces dernières années le pire et le meilleur mais nous sommes convaincus d’être sur la bonne voie.Optimisme béat ? Non, car si nous ne méconnaissons pas les difficultés, la confiance en notre capacité à les surmonter demeure. Il est vrai, cependant, quenotre jeune démocratie est fragile. Les menaces sont nombreuses: le terrorisme qui sévit à nos frontières, le contexte régional instable, l’instrumentalisation des sentiments religieux à des fins politiques, la contrebande et ses réseaux mafieux, l’affairisme débridé et la rémanence préoccupante de la pauvreté, le délitement de l’Etat et des services publics sont autant de motifs d’inquiétude. Notre responsabilité collective est d’y répondre avec intelligence et détermination.  Celle des politiques est de s’en donner les moyens, dans le respect de la souveraineté populaire. Lourde tâche qui suppose – au-delà des joutes politiciennes – de se donner un cap et de s’y tenir. Le seul qui vaille est celui fixé par la Révolution: liberté, dignité et justice sociale. Plusieurs voies pour tenter d’y parvenir sont possibles. Certaines sont des impasses ou se révèlent périlleuses.

Le peuple s’est prononcé : du fait d’un bilan jugé mauvais, les partis composant la Troïka n’ont plus la majorité. Nida Tounès qui a fondé sa campagne sur la défense d’un modèle séculier – au demeurant largement transcrit dans notre Constitution – a gagné.Nul ne comprendrait – et en premier lieu ses partisans – qu’il s’associe aux islamistes dans un «gouvernement d’union nationale» en contradiction flagrante avec ses engagements.Le reniement est toujours possible (et malheureusement souvent avéré) mais il est presque toujours sanctionné. Par ailleurs, il est sain dans une démocratie apaisée qu’il existe une majorité et une opposition, capable chacune d’assumer le pouvoir selon le principe de l’alternance.

Reste donc pour la constitution d’un gouvernement une seule autre option, en apparence plus difficile mais aussi paradoxale qu’elle puisse paraitre, plus solide. Dans la mesure où notre système électoral repose sur la proportionnelle, le parti qui a la majorité relative se doit de rechercher des compromis avec des partenaires susceptibles d’exercer le pouvoir avec lui. Il se trouve que la gauche tunisienne sous la bannière du Front Populaire – qui a eu le mérite de fédérer une bonne partie de ses sensibilités - a fait une entrée remarquée au Parlement. Il la doit, pour une grande part, à sa défense acharnée des acquis de la Révolution pour lesquels il a payé le prix fort. Mais au-delà de l’émotion consécutive aux assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, le Front Populaire a su se départir de la caricature d’opposant radical et systématique qui lui était accoléepour faire des propositions sérieuses et argumentées. La campagne présidentielle très réussie de son porte-parole charismatique Hamma Hammami, a achevé de crédibiliser sa démarche.

De son côté, AfekTounesa démontré sa capacité à renouveler la manière de faire de la politique et a su mobiliser, notamment les jeunes, autour d’un programme socio-libéral et d’un projet de société qui fait la part belle à des valeurs que ces trois partis ont en commun.

Pourquoi dès lors ne pas tenter de trouver des convergences susceptibles de constituer un contrat de gouvernement ? Parce que les valeurs sont, pour une part significative communes mais que les démarches et les parcours sont largement différents, les termes de ce contrat devront faire l’objet d’un engagement public le plus précis possible afin que la confiance réciproque soit de mise. A défaut, les uns pourraient craindre de s’exposer à une instabilité gouvernementale préjudiciable à la stabilité du pays tandis que les autres ne veulent pas jouer le rôle de supplétifs sans aucun pouvoir réel à l’instar de ce que furent le CPR et Ettakatol avec Ennahdha.

Certes, un tel contrat ne fait pas partie de la tradition politique du pays mais à ce compte la démocratie, non plus…De surcroit, il existe tout de même un précédent. Même si le contexte était différent, l’accord intervenu lors de la constitution du Front du Salut National (dans lequel Nida et le Front Populaire étaient associés), ne s’appuyait-il pas sur un texte «fondateur» auquel les parties prenantes se référaient tout au long de ce processus? Enfin, cette garantie formelle obtenue, Nida, le Front tout comme les sociaux-libéraux d’Afek, (et d’autres encore) n’ont-ils pas promis aux Tunisiens de privilégier l’intérêt supérieur de la Nation sur toute autre considération ? Or, d’aucuns s’accordent à considérer que la Tunisie a besoin de mesures sociales urgentes d’une part et de réformes structurelles qui permettent de retrouver des marges budgétaires susceptibles d’assurer le développement harmonieux du pays et de répondre au drame du chômage de masse, d’autre part. Ces mesures doivent évidemment se compléter et concourir au même but : permettre la réalisation effective des objectifs de la Révolution. A ce titre, une réforme fiscale juste, la remise à plat voire l’audit de la trajectoire d’endettement afin d’éviter d’étrangler nos finances, la lutte acharnée pour l’emploi, notamment des jeunes, le souci de l’environnement et l’accent qu’il faut mettre sur les services publics essentiels comme ceux de l’éducation et de la santé, ne peuvent-ils pas faire l’objet d’un consensus entre le centre-droit et la gauche?
Malgré ou peut être en raison de nos positionnements politiques respectifs, nous sommes convaincus que chacun aura à cœur, au delà des positions idéologiques réelles ou supposées, d’assumer ses responsabilités. L’avenir de la Tunisie nouvelle, l’exige. Et alors, oui, nous serons sur la bonne voie…

Elyès Jouini,
Professeur des universités, ancien ministre,

Hakim Bécheur,
Médecin-Chef de service à l’hôpital Bichat (Paris)

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1 Commentaire
Les Commentaires
T.B. - 04-12-2014 00:50

Si "la bonne voie n´est pas du "sable mouvant" alors le probleme est facile á resoudre. Le parti qui a obtenu le plus de voix peut former un gouvernement minoritaire, et élaborer une politique pour le pays ambitieuse et progressiste, et nationale(l´interêt superieur de la Nation)une telle politique pourrait obtenir l´accord de la plupart des partis. Puisqu´en Tunisie il n´ya pa d´obstacle qui appelle á l´instrumentalisation de la politique(par ex. l´Islamisme( en Europe on voit la politique est bloquée par des partis qui se servent de l´Islamophobie et l´immigration) pour bloquer toute politique prise par un grand parti mais non majoritaire. Alors si on ne met pas des batons dans la roue en instrumalisant pour créer des problèmes et des (excuses)alors le consensus est toujours possible, meme si comme je l´ai dit avec un gouvernemnt minoritaire. La bonne voie, c´est celle de la démocratie.

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