Hommage à ... - 22.09.2014

In Memoriam : Thierry Bianquis (1935-2014)

C'est avec émotion et tristesse que nous avons appris le décès du Professeur Thierry Bianquis de l'Université de Lyon II. L'Université française perd un de ses aînés, un ancien disciple du grand orientaliste Claude Cahen, spécialiste des études sur le monde arabe médiéval et plus particulièrement le Proche-Orient. Né à Broumana au Liban de parents  enseignants, il était destiné à vivre et à aimer ce Proche-Orient dans lequel, il a passé une grande partie de sa vie.

Après avoir été reçu à l'agrégation d'arabe, il a séjourné durant de longues années à Damas, comme pensionnaire scientifique à Damas (1968-1971) puis  au Caire, comme membre scientifique de l'Institut Français d'Archéologie Orientale du Caire (IFAO). Il retourne à Damas comme directeur de l'Institut Français des Études Arabes de Damas, IFEAD (1975-1981), succédant ainsi au regretté André Raymond.

C'est une grande perte pour ses proches, pour ses disciples, pour ses collègues et pour ses amis. Toute la famille des spécialistes du monde arabe médiéval en particulier, les Égyptiens côtoyés durant de longues années comme Ayman Fu'ad al-Sayyid et bien d'autres, les Syriens surtout comme Sarab Atassi, Selim Barakat, Souhayl Chbat et sa sœur, Jamal Chehayed et le Père Jacques Picard.  Son intérêt et son attachement pour la Syrie se retrouveront tout au long de sa carrière et de sa vie. Sa thèse en est la preuve évidente, Damas et la Syrie à l'époque fatimide (359-1076), 2 volumes, IFD, Damas,1986.

Rentré en France en 1982, il est rattaché à la Maison de l'Orient avant d'être nommé à l'Université de Lyon II, comme professeur d'histoire et de civilisation du monde arabe. Il a ensuite remplacé Charles Pellat (m.1992) comme éditeur de la deuxième édition de l'Encyclopédie de l'Islam, dans laquelle il a également publié des articles. L'Académie des Inscriptions et belles Lettres lui a décerné un prix en 2008, pour sa direction de l'Édition Française de l'Encyclopédie de l'Islam.

Thierry Bianquis a collaboré à tous les grands projets collectifs sur le monde arabe et musulman médiéval, comme les quatre volumes de la collection Nouvelle Clio des Presses Universitres de France(PUF):

  • Etats, Sociétés et cultures du monde musulman médiéval (Xe-XVe) siècle), trois voulumes dirigés par Jean-Claude Garcin (2000)
  • Sous sa direction cette fois, le quatrième volume : Les débuts du monde musulman (VIIe-Xe siècle) de Muhammad aux dynasties autonomes (2012) et qui compte parmi ses collaborateurs Faouzi Mahfoudh
  • Il a également participé à un volume de la prestigieuse Cambridge History of Egypt, "Autonomous Egypt from Ibn T?l?n to K?f?r, 868–969". In Petry, Carl F. The Cambridge History of Egypt, Vol. 1: Islamic Egypt, 640–1517. Cambridge University Press. (1998), pp. 86–119

Un autre grand projet bien abouti également,celui du volume sur Les Grandes villes islamiques (2000)dans le cadre d'une Étude sur les Mégapoles Méditerranéennes, conçue et publiée par les soins de Feu Claude Nicolet alors directeur de l'École Française de Rome. Un beau projet qui a réuni dans une réflexion commune les villes du Nord et du Sud de la Méditerranée. Thierry Bianquis y a collaboré en écrivant l'article sur Damas.

Son amour pour la Syrie l'a amené à privilégier ce champ d'étude sur tous les autres : Damas miroir brisé d'un Orient arabe dirigé par son épouse Anne-Marie Bianquis et Elisabeth Picard dans la collection Autrement, (1993)
Plusieurs articles dans des ouvrages collectifs comme les trois volumes successifs de la Casa de Velasquez : Castrum3 (1988) et Castrum4(1992), Castrum 8 (2008) tous sur la Syrie médiévale.

Rappelons également un livre important sur La famille arabe médiévale, aux Editions Complexe (2005) qui est un développement de l'article qu'il avait publié auparavant dans un volume collectif, sur l'Histoire de la famille, paru sous la dirction de Jack Goody en 1986, sous le titre, « la famille en Islam arabe ».

Il a par ailleurs publié de très nombreux articles qui portent en majorité sur la période fatimide. Il laisse pour lui succéder de brillants disciples: citons au moins l'un d'entre eux, Mathieu Tiller qui a été un de ses collaborateurs dans le quatrième volume de la Nelle Clio mentionnée plus haut.

Thierry Bianquis n'a pas été qu'un grand chercheur et un enseignant, c'était aussi un intellectuel engagé qui a  pris position en faveur des Palestiniens et bien sûr de la Recherche française au Proche-Orient; citons  à titre d'exemple deux de ses prises de position:

Il a signé la pétition des universitaires contre le congrès franco-israélien qui s'est tenu à Toulouse en mars 2005, Congrès médical qui avait pour thème «la place de  l'enfant dans l'espace du conflit » qui ne tenait compte que de l'enfant israélien en omettant celui de l'enfant palestinien.

Un extrait d'une lettre qu'il a envoyée à  l' Association médicale franco-palestinienne, Lettre, figurant au Point d'Information n°64 du 22 mai 2000)  est plus éloquente que ce que nous pourrions en dire :
«Le silence quasi total des journaux télévisés français, publics ou privés et de la plupart des quotidiens sur l'injustice quotidienne à laquelle est soumise la population palestinienne est effrayant... Il me semble que l'aveuglement de la presse face à la réalité du traitement subi par les Palestiniens  est plus réel en france que dans n'importe quel autre pays occidental.»

Il a également signé un texte pour défendre la recherche française en Égypte lorsque le CEDEJ,(le Centre d'Etudes et de documentation Economiques, Juridiques et Sociales)  a été menacé de fermeture  « Non à la casse de la Recherche Française en Egypte » (décembre, 2009), pétition qui a rassemblé plus de 2000 signatures.

Toute personne qui a connu et vécu et visité Damas et la Syrie s'en éprend, rappelons-nous la description enthousiaste de Damas par Ibn Battuta ; bien des siècles plus tard et après bien des voyageurs, Thierry Bianquis n'y a pas manqué lui non plus. Voici ce qu'il écrit dans la revue “Qantara” de l’Institut du Monde Arabe (avril 1993). “Damas, une gravure jaunie, la sécheresse et la fraîcheur, l’ombre et le soleil, l’eau jaillissante et le roc brûlé. Une ville fauve, tapie sous sa falaise décharnée, que l’on dirait plus prête à bondir et à mordre qu’à ronronner.

Et pourtant, une ville qui travaille avec soin, fignole son ouvrage, crée des décors aux formes harmonieuses, tisse des brocarts lumineux, construit des ouds délicats et des qanouns savants. Au printemps, leurs cordes égrènent toute la mélancolie de la terre, toute la tristesse d’un passé glorieux qui n’en finit pas de mourir. Certes, Damas n’oublie pas de mettre le nez au vent pour humer l’air du temps, utile précaution pour qui vit en un lieu où la foudre ne surgit pas que du ciel d’orage.

De la steppe comme de la montagne, du Nord comme du Sud depuis trois mille et quelques années que la ville partage sa vie entre des petits matins industrieux et de longues soirées délectables à l’ombre des noyers de l’oasis de la Ghouta, bien des envieux ont lorgné sur ses beautés, sur les trésors accumulés de là cité, sur le savoir-faire de ses habitants.

Pour survivre si longtemps dans un environnement menaçant, il faut savoir distinguer avec soin les amis d’hier des ennemis de demain, pour subsister quotidiennement quand on est commerçant et voyageur dans le sang, il faut s’intéresser au monde”.

Mounira Chapoutot-Remadi
Professeur Emérite d'histoire du monde arabe et musulman médiéval de l'Université de Tunis

Faouzi Mahfoudh
Professeur d'achéologie islamique de l'Université de La Manouba
et Directeur de l'Institut Supérieur d'histoire de la Tunisie Contemporaine

 

 

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