Tendance - 15.06.2014

Klee en Tunisie: Ou l'âme tunisienne honorée de par le monde

Qui ne connaît les aquarelles tunisiennes de Paul Klee? Cet artiste majeur qui a marqué de son empreinte la peinture mondiale du siècle dernier est redevable à la Tunisie de l’explosion de son talent dans la somptuosité des couleurs et des formes qu’il pratiqua en Tunisie, ses villes débordant de sensualité et de spiritualité l’ayant fortement inspiré, comme la ville sainte de Kairouan.

Célébrations à Tunis et à Berne

En avril dernier, Tunis avait déjà rendu hommage, à l’espace Art Sadika de Gammarth, à Paul Klee, ainsi qu’à ses amis Louis Moilliet, un ami d’enfance,  et August Macke, peintre expressionniste allemand connu à Berne. La manifestation, organisée grâce à l’Institut Goethe et aux ambassades d’Allemagne et de Suisse,  eut un grand retentissement.

Aujourd’hui, c’est au tour de Berne de prendre le relais rendant hommage au même trio, «captif amoureux de Tunisie» qui illustre la fécondité de ce que Macke qualifiait de «croisement de styles» d’Occident et d’Orient. Cela se passe au centre Pau Klee à Berne, et ce jusqu’au 22 juin avec pour titre : «Voyage en Tunisie: Klee, Macke et Moilliet ».

C’est le centenaire de la transfiguration réciproque de la peinture occidentale et de la Tunisie orientale  que célèbre cette nouvelle manifestation, les trois artistes étant arrivés en Tunisie le 6 avril 1914 pour y séjourner jusqu’au 19 avril après s’être immergés dans l’univers tout de poésie ordinaire et d’art de rue dans la médina de Tunis, Ezzahra (Saint-Germain à l’époque), Carthage, Sidi Bou Saïd et Hammamet , mais aussi La Goulette et surtout Kairouan qui fut à la fois la dernière étape de leur séjour et son apothéose.  Ce qu’on a retenu de ce voyage mémorable qui influença au plus haut point l’art mondial, c’est à quel point fut grande l’empreinte de l’âme tunisienne que certains ne veulent plus voir aujourd’hui en se voilant la face par un niqab étranger à la mentalité du pays ou en s’aveuglant de théories mutilant la beauté et assassinant la sensualité intrinsèque à la vie des Tunisiennes et des Tunisiens.

L’âme tunisienne magnifiée

C’est cela qui constitua véritablement cette alchimie de lumières et de couleurs ayant ébloui les peintres et qu’on retrouve dans leurs premières aquarelles,  leurs dessins, croquis et autres compositions cubistes aux couleurs délicates, partie éminente désormais de l’art pictural universel. Il est à noter, d’ailleurs, que les historiens d’art ont considéré ce fameux séjour tunisien comme le tournant décisif avec lequel prit fin le mode figuratif et commença le mode abstrait et géométrique.

Ce sont pratiquement  tous les dessins et aquarelles des peintres, des œuvres de petit format au nombre de 140, qui sont exposés à Berne. Elles viennent de plus d’une soixantaine de musées du monde ainsi que de collections privées. Notons aussi que le prix des œuvres est inestimable, les aquarelles de Klee étant estimées à pas moins de 800.000 dollars. À titre d’exemple, rappelons que l’un des tableaux exposés, une huile sur toile de Macke intitulée tout simplement «Tunis», a été vendu chez  Christies en 2000 à 4 millions de dollars.

Signalons qu’un autre amoureux de notre pays, Jean Duvignaud, auquel nous rendons hommage dans notre magazine du mois de juin à travers son livre majeur sur Chebika, a consacré un essai au peintre germano-suisse intitulé «Klee en Tunisie». Comme ce dernier, il estime que notre pays est «une région du monde où tous les sens peuvent être comblés.» Il y étudie l’activité picturale de l’artiste durant ses deux semaines passées en Tunisie en 1914, et citant le Journal de Klee, en conclut que ses dérives (au sens situationniste) dans les villes tunisiennes et leurs rues colorées aux lumières aveuglantes eurent d’importants retentissements sur l’orientation prise par la peinture de Klee.

Duvignaud considère même ce voyage comme une «initiation» pour l’artiste, affirmant : «Ni le Bauhaus, ni son ami Kandinsky, ni la fréquentation des musées parisiens, de Kokochka, de Picasso n’étaient en mesure de lui apporter l’innocente et proliférante suggestion de formes, de sons, d’odeurs, de mouvements. C’est lui qui ajoute, poursuit Duvignaud, cette notation fulgurante: «pays qui me ressemble». Klee n’a-t-il pas reconnu lui-même, d’ailleurs, dans son Journal, cité par Duvignaud, «J’étais en Orient, j’en reste tributaire»?

C’est dire l’importance de cette manifestation et au-delà, à quel point la Tunisie pouvait et peut avoir de valeur sur les consciences si on ne s’évertuait pas à en maltraiter la beauté en se contentant de l’accepter comme elle est. Aussi, le ministère de la Culture serait-il bien inspiré d’inviter nos politiques les plus dogmatiques à une visite de cette exposition pour s’éveiller à la véritable essence de notre pays qu’ils semblent avoir perdue de vue !

F.O.
 
 

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