Opinions - 26.05.2014

Les deux rives de la Méditerranée : Déconfiture et Autodestruction

Le survol de la méditerranée, de l’Europe au Maghreb ou vice versa,  laisse un goût amer. Vue du ciel, la mer est belle. Mais l’atterrissage en Europe nous pose sur un continent déchiré et masochiste. C’est un continent qui se débat dans des contradictions internes qui ressemblent de plus en plus à une volonté effrénée à saper les bases idéologiques du vieux continent qui pourtant ne cesse de se considérer le berceau de la démocratie et des droits de l’homme et qui ne cesse de s’enorgueillir de la construction de la construction de l’Union Européenne.

Les élections européennes d’hier ne sont qu’une désolante démonstration de la déconfiture annoncée de l’Europe.
Encore plus désolant est l’atterrissage sur les rives du Maghreb. Une région en pleine tourmente. Le terrorisme, l’instabilité politique, l’insécurité et la crise économique plongent les pays maghrébins dans un cycle de folle autodestruction à l’intérieur de chaque pays et dans les relations de ces mêmes pays. Si l’Union du Maghreb Arabe (UMA) est un mort né, le Maghreb-au sens politique et social-est en danger de mort par auto destructio.

La déconfiture annoncée du vieux continent

Depuis presque trois décennies l’Europe de l’ouest, enivrée par la chute du mur de Berlin et à peine décomplexée de son passé colonial, a tourné le dos à ses références humanistes et s’est recentrée sur son nombril en exerçant une action expansionniste vers les pays de l’est européen, en forçant, si nécessaire, les évolutions et les mécanismes d’adhésion de ces pays à l’Union Européenne. Les dirigeants politiques de l’Europe ont ainsi commencé à faire peu de cas des relations historiques politiques et économiques qui les relient au Maghreb et au monde arabo-musulman en général. Le peu de cas avec lequel -par exemple- les efforts de la Turquie de se rapprocher étaient traités ou, pire encore la manière cavalière avec laquelle est menée la politique de coopération avec le Maghreb dénotent cet état d’esprit. Comme si la boussole européenne s’étant emballée, l’Est peut remplacer le Sud!  Le pire c’est que cette attitude s’est renforcée, surtout en France, sous tous les gouvernements, ce qui n’a fait que préparer le lit au développement rampant du mouvement xénophobe.

La sécurité et la migration étaient ainsi devenues le fer de lance de toutes les campagnes électorales de gauche ou de droite. Comme si on avait oublié que la xénophobie et le racisme ne font pas beaucoup de différence entre un Maghrébin et un Kosovar ou un Bosniaque, entre un bronzé et un blond, lorsqu’il s’agit de rejeter «l’autre» ou de se renfermer dans des pseudos certitudes de sa supériorité ou de conserver des avantages économiques illusoires et éphémères.  C’était du pain béni pour l’extrême-droite qui n’a pas hésité à commencer à tirer à boulets rouges -ou plutôt  noirs-sur l’Union Européenne….Eh oui! C’est comme les poulpes qui, affamées, commencent à manger leurs propres tentacules!

Rejointe par des hordes  de ce qu’on appelle les euroseptiques et des masses encore plus nombreuses d’abstentionnistes, l’extrême droite européenne victorieuse hier, continuera à approfondir et intensifier le déboulonnement de l’Union Européenne, ressassant les chimères protectionnistes et les slogans d’un autre âge, tel que l’état-nation. De telles visions et de tels comportent en filigrane les spectres de l’Europe en guerre du siècle dernier et ainsi que les attitudes dédaigneuses et colonialistes. Même la Suisse, pays réputé pour son humanisme et sa modération, n’a pas échappé à ce dangereux fléau. Aussi, ne faudrait-il pas s’étonner du rejet de la Suisse de rejoindre l’Union Européenne (UE) et même l’Association Européenne de Libre Echange (AELE). Le rejet, n’est donc pas uniquement celui de l’africain ou de l’arabe, il atteint l’Européen, même les européens de l’UE et le frontalier!

L’Europe a commencé à se gangréner de l’intérieur en tournant le dos aux valeurs universelles de démocratie et des droits de l’Homme, seul fondement actuel du rayonnement de l’Europe après son déclin  mondial en termes économiques et militaires.

Et pendant ce temps….. le Maghreb devenu masochiste s’autodétruit!

Sur les rives du Maghreb, la situation n’est pas seulement aussi attristante ; elle est en plus  désespérante et sanglante. A  peine dégrisés par ce que je n’ose plus appeler «printemps arabe», la descente aux enfers du Maghreb commence. En termes politiques, économiques et surtout sécuritaires. D’attentats terroristes en guerres civiles et tribales, de diplomaties frileuses et bureaucratiques en déconfitures sociales et économiques, les politiques et les responsables du Maghreb n’arrivent pas à s’entendre pour innover leurs approches et coordonner leur coopération. Tout comme en Europe, la coopération n’est vue que sous l’angle restreint de l’intérêt national étroit ou du calcul boutiquier des appétits politiques égoïstes.

La Libye où sévit un très grand nombre de milices incontrôlées et surarmées est devenue un foyer où règnent la terreur et d’où s’exporte le terrorisme. Le désarroi dans lequel se trouvent les diplomaties des pays maghrébins oscille entre un soutien «carré» à la légitimité et des appels à d’obsolètes pseudos médiations diplomatiques.

Tant que les dirigeants maghrébins n’ont pas fait de la lutte contre la menace terroriste une affaire maghrébine commune et non une affaire de protection nationale, le danger terroriste continuera à menacer tous ces pays. Le terrorisme est mobile, rapide et bien implanté. Partout!  Et puis ce n’est pas seulement l’affaire des dirigeants seulement. C’est l’affaire de tous. Mais c’est aux gouvernants et à tous les responsables politiques du Maghreb de décider et mettre immédiatement en œuvre une stratégie pour que la lutte contre le terrorisme et du refus de la violence devienne une culture bien enracinée dans les sociétés maghrébines. Sur un plan plus spécifique,  notons que la grande carence des diplomaties du Maghreb c’est de n’être pas arrivé à persuader l’Europe que pour le terrorisme, le Maghreb est l’antichambre de l’Europe. Bien sûr il ne suffit pas de le dire. Il faut le démontrer. C’est sous nos yeux que l’autodestruction de notre Maghreb se fait par la violence criminelle  des terroristes et les errements ou la frilosité des autres.

Il ne faudrait pas oublier que le terrorisme n’est pas seulement des actions violentes et sanglantes. Il vise aussi à déstructurer nos sociétés, à diviser les pays du Maghreb et à instaurer la peur et la suspicion comme étalon des relations entre les pays, les diverses couches sociales et  les individus. Il nous pousse ainsi à nous auto détruire et à annihiler notre tolérance et notre ouverture historiques. Comme en droit il ya le crime de non assistance à personne en danger, il ya en politique et en histoire la responsabilité pour non assistance à société en danger.   
Que les politiques des deux rives de la Méditerranée le gardent à l’esprit.
 

Taoufik Ouanes
Ancien diplomate à l’ONU, Avocat à Tunis et à Genève

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