News - 20.05.2014

Amel Karboul prône la «Convivencia du 21e siècle» contre vents et marées

Incontestablement, Amel Karboul a été la vedette du pèlerinage annuel de la «Ghriba», la synagogue située sur l’île de Djerba et dont le nom signifie «étrange» en arabe. Mais  s’agissant de la jeune ministre du Tourisme, qui a déjà volé la vedette à tous les membres du gouvernement provisoire, rien d’étrange.

Auditionnée le 9 mai par des membres de l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) à la suite de l’autorisation de l’entrée en Tunisie de ressortissants israéliens, la ministre du Tourisme Amel Karboul a juré neuf jours plus tard depuis la synagogue de la «Ghriba», sur l'île de Djerba, qu’elle ne baisserait pas les bras pour que se réalise en Tunisie la «Convivencia du 21e siècle», en référence à l’âge d’or de la tolérance religieuse qui avait fait la prospérité de l’Andalousie d’antan.

«J'ai foi en la capacité de la Tunisie d’avoir son âge d’or, pas seulement elle, mais toute la région. Elle ne sera pas une exception, elle montrera la voie. J'ai foi en cela, et je m’y engage. Je le fais précisément pour ne jamais renoncer, me résigner, baisser les bras et me retirer en silence. Parce que nous projetons notre désespoir autour de nous lorsque nous perdons la foi. Quant à moi, je refuse de perdre la foi», a martelé Mme Karboul.

«Que nous soyons musulmans, juifs ou chrétiens (…), nous rejetons le nihilisme du désespoir. Appelez cela de la naïveté si vous le voulez, dites que c'est impossible et idéaliste si vous le pensez, mais une chose est sûre: Reconnaissez que c'est humain», a poursuivi la ministre en en répétant sept fois le mot Convivencia.

Le «vivre ensemble»

Son allocution était émaillée de références historiques, judaïques, coraniques, picturales.. à l’adresse d’une assistance subjuguée, en présence des ministres du commerce Najla Harrouche et de la Culture Mourad Sakli, du grand rabbin de Tunisie et des ambassadeurs des Etats-Unis, d’Allemagne, de France, de Serbie, du Sénégal, de Malte, du Japon et d’Autriche.

Ce fut le couronnement idéal du pèlerinage annuel de la «Ghriba», un monument emblématique du patrimoine judéo-tunisien qui a coïncidé cette année avec la clôture du mois du patrimoine à Djerba, qui a fait vivre l’île au rythme de fêtes, de musiques et de rencontres interculturelles.

«Une journée riche en émotions et en rencontres(…) une occasion m'était encore offerte de m'adresser aux médias nationaux et internationaux venus nombreux. Le pèlerinage de la Ghriba fut une vraie réussite et s'est déroulé dans d'excellentes conditions. Il a accueilli plus de 2500 pèlerins cette année. Un événement que j'ai tenu à saluer par ce discours prononcé à la cérémonie de clôture hier à 18h00», devait écrire plus tard Mme Karboul sur sa page facebook.

L’allocution a été saluée par l’homme d’affaires franco-tunisien, René Trabelsi, qui a fait part à « Leaders » de son « admiration» à Amel Karboul qui a su, selon lui, «redonner une image positive de la Tunisie à l'étranger, l’image d’une cohabitation communautaire et religieuse, le vivre ensemble dans le respect mutuel».

La hantise

«Ce discours devrait effacer les répercussions négatives des débats à l’ANC (lors du vote des motions de censure contre Mme Karboul et contre le ministre auprès du ministre de l’Intérieur chargé de la sécurité nationale, Ridha Sfar), le secteur touristique devrait connaître un rebond, à condition toutefois qu’il n’ait pas d’attentat durant la saison touristique», à estimé une éminente personnalité tunisienne, sous couvert d’anonymat.

Le rituel s’est certes déroulé sans aucun incident et dans une ambiance de kermesse à laquelle rien ne manquait, depuis les milliers de bougies allumées pour tous les êtres chers disparus, les prières de bénédiction récitées par des rabbins, les fruits secs et la Boukha (eau de vie de figue), symboles d’abondance et de fertilité, distribués à la ronde, jusqu’à la procession finale des pèlerins et des Djerbiens réunis tous dans l’oukala, le caravansérail en face de la synagogue, la plus ancienne d’Afrique.

Mais, grâce à été rendue par tous, notamment par le grand rabbin de Tunisie, aux autorités qui ont déployé partout, notamment autour de la «Ghriba», un dispositif de sécurité draconien, pour parer à toute tentative visant à troubler la fête ou à endeuiller le pèlerinage.

Le souvenir de l'attentat-suicide au camion piégé d’avril 2002 revendiqué par Al-Qaïda et qui avait fait 21 morts dont une majorité de touristes allemands, est toujours dans les esprits, comme en témoigne le dispositif de sécurité encore plus imposant et dissuasif devant le monument en mémoire des victimes où l’ambassadeur d’Allemagne en Tunisie, Andreas Reinicke, a déposé une gerbe de fleurs, et où se sont rendus des membres des familles des victimes et plusieurs personnalités pour réciter des prières.

Mémoire plurielle

L’île touristique, qui reprend lentement son rythme habituel, a été au centre d’une table ronde organisée en marge du pèlerinage avec la participation notamment de l’Association Chemins Croisés des Civilisations, la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba, la Faculté des sciences humaines et sociales de Tunis, l’Association de Sauvegarde de l'île de Djerba et l’Association Tunisienne Citoyenneté et Libertés.

Outre l’éminente personnalité tunisienne, de nombreux historiens, archéologues, universitaires, chercheurs et journalistes se sont attelés durant plusieurs heures dans la matinée à répondre à diverses questions ayant trait à la «Mémoire plurielle de Djerba» pour que l’île touristique puisse jouer un rôle dans le développement du pays.

Ils ont également examiné les moyens de préserver la richesse patrimoniale de l’île, dont l’inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, a été âprement défendue par les participants.
 

 Habib Trabelsi

 

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