Lu pour vous - 28.04.2014

«Les Ecrivains maghrébins francophones et l'islam-Constance dans la diversité»

La conjoncture, il est vrai, s’y prête fort bien, La représentation de l’islam au Maghreb dans les romans francophones est devenue depuis les années quatre-vingt, un sujet de débat très prisé en France et ailleurs. C’est en 1986 que parut à Paris, aux éditions L’Harmattan, le premier ouvrage consacré entièrement à ce sujet. Il est signé Jean Déjeux, Le sentiment religieux dans la littérature maghrébine de langue française (Préface de Mohammed Arkoun). Vint ensuite la revue  Nouvelles du Sud N°6 et 7, consacrée à ‘Islam et littératures africaines’, parue 1987, avec notamment deux articles sur le sentiment religieux au Maghreb, celui d’Isaac Célestin Tchecho à propos du roman de Mouloud Feraoun, Les Chemins qui montent, et celui de François Desplanques à propos du roman La Mère du Printemps de Driss Chraïbi. Citons encore les  deux romans de Tahar  Ben Jelloun, L’Enfant du sable (1985) et La nuit sacrée (1986), ainsi que l’ouvrage historico-romanesque d’Assia Djebar, Loin de Médine (1991).

Les Editions L’Harmattan viennent aujourd’hui de publier, de nouveau, un ouvrage collectif volumineux intitulé Les Ecrivains maghrébins francophones et l’islam-Constance dans la diversité, sous la direction de Najib Redouane. Ce dernier, enseignant aux USA, a déjà dirigé plusieurs ouvrages  de ce genre, notamment Où en est la littérature "beur" ?Qu'en est-il de la littérature "beur" au féminin ? et Francophonie littéraire du sud- Un divers singulier Afrique, Maghreb, Antilles,  tous parus aux éditions L’Harmattan.

Comme tout ouvrage scientifique, il est constitué d’une longue et lumineuse‘présentation' et de 24 études touffues et pertinentes. Son titre est d’une prudence extrême. Le sous-titre, ‘Constance dans la diversité’,se veut en effet un signe de  vitalité rassurante, illustrée par une palette riche et variée offerte au lecteur désireux d’explorer ce nouveau corpus.

Le rapport de la femme à l’écriture étant une constante de la pensée féministe,   l’orientation imprimée à l’œuvre est limpide comme l’eau de roche. En effet, sur ces 24 études, 23 sont écrites par des femmes. L’ouvrage est, par ailleurs, dédié à l’auteure de Loin de Médine, Assia Djebar, membre de l’Académie française, « diseuse et scripteuse d’une parole-mémoire, libre et courageuse, pour éclairer notre Histoire. »Enfin, cet ouvrage contient deux études consacrées à cette écrivaine.En effet, Loin de Médine marque un jalon dans la trajectoire des revendications féminines dans le monde musulman. C’est précisément cet ouvrage qu’a choisi Sabah Sellah (Paris), pour souligner « l’attachement indéfectible qui a uni (le Prophète) Mohamed à sa fille Fatima. » (p.192) Intitulé ‘L’amour filial dans Loin de Médine’, son étude, axée sur l’attachement de Fatima à son père et sur ses prises de position à la mort de ce dernier, se veut, en fin de compte, un éclairage sur les profondes motivations ayant conduit Assia Djebar à écrire cet ouvrage. Citant l’historien Benjamin Stora, Sabah Sellah explique :
 «Son roman, écrit en parallèle des événements politico-religieux qui bousculèrent l’Algérie,  … oblige les Algériens à s’interroger sur la généalogie de cette violence». Qu’est-ce qui justifie, en effet, toute cette barbarie, tous ces meurtres, ces viols d’innocentes? Témoin des atrocités qui ensanglantèrent l’Algérie à la fin des années 80, l’auteur tentera de mettre des mots à l’impensable bestialité qui siégea et endeuilla tant de familles.» (p.191).

La deuxième étude consacrée à Assia Djebar, est de Brigitte Weltman-Aron, de l’université de Floride. Intitulée‘Le sang et les oranges’, elle est une analyse pertinente d’un récit de Assia Djebar, La Beauté de Joseph, paru en 1998 aux éditions Actes Sud. Ce récit est l’histoire évoquée dans le Coran (Sourate XII), de Joseph (ou Youssef) que Putiphar, la femme de son maître, tente de séduire. A partir de cette célèbre histoire, Assia Djebar a voulu montrer « la place donnée au désir féminin dans deux livres religieux majeurs (la Bible et le Coran), rappeler la résonance de cette histoire dans la culture musulmane (…) et enfin et surtout, proposer une autre lecture, autorisée jusqu’à un certain point par les textes mêmes. » (p.217)

Les Ecrivains maghrébins francophones et l’islam-Constance dans la diversité contient une longue et lumineuse contribution portant sur deux ouvrages de notre compatriote, la romancière Emna Bel Haj Yahia, Chronique frontalière (1991)et Jeux de rubans (2011), écrits donc à vingt ans d’intervalle. Dans cette contribution, Anne Marie Miraglia de l’université Waterloo (Canada), se propose « d’examiner la place accordée au port du voile et au foulard et à leur apport aux questions identitaires qui informent l’écriture romanesque d’Emna Bel Haj Yahia ». (p.77) Il faut reconnaître que ce sujet a fait couler beaucoup d’encre. En se focalisant sur ce signe ostentatoire, le tapage médiatique accentue la peur et le rejet de l’autre. Toutefois, dans cette étude, Anne Marie Miraglia a habilement évité de prendre part aux débats sociopolitiques suscités par ce sujet. Elle se contente de noter en conclusion que ces deux ouvrages « montrent que si des personnages féminins mûrs considèrent ce phénomène avec appréhension, de jeunes femmes… continuent de se forger une plus grande autonomie en acceptant de se voiler pour poursuivre leurs études, pour gagner leur vie et de cette façon s’affirmer et s’épanouir. L’Occident a tort d’y voir le signe de la soumission de la femme, d’un retour au passé ou de l’essor d’un extrémisme religieux ». (pp.94-95)

Précisons que toutes les études de cet ouvrage collectif frappent par leur originalité, leur diversité et leur richesse. Leur importance est à souligner dans la mesure où c’est précisément sur ce genre de retour sur la religion et la prise en compte des réalités d’aujourd’hui, que la mémoire culturelle d’une nation peut fonder ses valeurs humaines, s’épanouir et s’enrichir.  Malheureusement nous ne pouvons pas les résumer toutes. Signalons toutefois, en conclusion, la longue et excellente étude de Faouzia Bendjelid, de l’université d’Oran,  Chercheuse associée au Centre de Recherche en Anthropologie Sociale et Culturelle (C.R.A.S.C.), intitulée ‘Manifestation des signes du religieux chez Mimouni. De la cohésion à l’éclatement.’ Auteure d’une thèse de doctorat, intitulée : « La rupture dans l’œuvre romanesque de Rachid Mimouni », Faouzia Bendjelid sait donc de quoi elle parle. Rachid Mimouni (1945-1995) est connu notamment pour deux beaux romans écrits au début des années quatre-vingt, réédités en 2000, Le Fleuve détourné et Tombéza, deux classiques de la littérature francophone, reliés par un même message en filigrane de l’auteur : « Ce que nous voulons, c'est réveiller nos compatriotes de leur sommeil, leur apprendre à se méfier, à revendiquer leur part de vie en ce monde, afin que les suborneurs ne puissent plus exploiter l'ignorance des masses.»

Rafik Darragi
rafikdarragi.over-blog.com

Les écrivains maghrébins francophones et l'islam-Constance dans la diversité Sous le direction de Najib Redouane,  L’Harmattan, 458 pages.


 

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1 Commentaire
Les Commentaires
Wafa Bsais Ourari - 07-03-2015 15:24

Bonjour, je suis moi-même docteur et chercheur en littérature maghrébine francophone; je suis professeur univesitaire en Tunisie et je travaille actuellement sur l'Islam dans cette littérature et j'aimerais bien recevoir cet ouvrage merci de me répondre pour de plus amples renseignements

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